Réponse aux lamentables sous-entendus sur l’irresponsabilité des professeurs face à la violence

Réponse aux lamentables sous-entendus sur l’irresponsabilité des professeurs face à la violence

 

  • Suite aux exactions policières contre des lycéens que la mise à disposition non censurée de l’information rend visible à tous, la propagande consiste désormais à accuser à demi mots (une moitié de trop) des fonctionnaires de l’Etat français. En réponse, que les choses soient claires et clairement exposées. Le métier de professeur, attaqué aujourd’hui comme d’autres corps intermédiaires de l’Etat, est en première ligne face aux violences sociales. En première ligne, de plus en plus isolé et cela depuis des années. Les professeurs sont bien souvent les derniers remparts, les ultimes digues face à la violence. Ils n’ont, à ce titre, aucune leçon de bonne conduite à recevoir de ceux qui en font commerce dans leur porno spectacle informatif ou qui comptent demain mater toute résistance politique en la brandissant comme une dernière menace.

 

  • Qui se doit d’encadrer et parfois d’apaiser l’angoisse des élèves lors des différentes alertes intrusions et autres dispositifs de prévention anti-terroriste ? Qui se doit d’entendre la colère d’un élève de terminale qui travaille à mi-temps chez Mac Donald’s pour obtenir un diplôme insuffisant sur un marché qui réclame de plus en plus de « compétences » non scolaires ? Qui était en première ligne pour porter les valeurs de la République, une et indivisible, en 2015, quand des intellectuels démagogues pourfendaient « l’esprit Charlie » ? Qui pour expliquer que la satire n’est pas une violence gratuite mais peut-être aussi une violence qui libère ? Qui pour recevoir les paroles déprimées de jeunes étudiants en colère qui ne voient pas d’avenir dans un monde en marche forcée vers le vide aux mains de parvenus surfaits ? Qui pour articuler la violence réelle et la violence symbolique afin de donner un peu de sens à l’action ? Qui pour se dresser face aux pires aliénations du marché dont les conséquences ne sont visibles que sous la forme de feux de poubelles une fois l’an ? Qui pour construire un discours structuré, articuler passion et raison, révolte et responsabilité ? Qui pour faire demain ce travail essentiel sans lequel il ne restera plus à terme qu’une pure violence à mater par un surcroît de violence ?

Supposer que des professeurs puissent ne pas être responsables des élèves dont ils ont la charge est une saloperie de plus dans le cortège déjà très long des trahisons républicaines.

 

  • Dois-je rappeler que les professeurs ne sont pas des directeurs de conscience. Ils n’ont pas, c’est le sens de leur mission, à embrigader les esprits, à énoncer le Bien ou le Mal. Cette conception de l’éducation correspond peut-être aux attentes d’un régime liberticide certainement pas à celles d’une République ayant pour ambition de former des esprits souverains. Eduquer, n’est pas dresser ; instruire, n’est pas endoctriner. Deux saines exigences en ces temps troubles qui pourraient servir de repères à tous.

 

  • Les professeurs sont souvent pris entre deux formes de violence. L’une qui consiste à leur faire jouer des rôles qu’ils ne peuvent pas tenir. Ces rôles sont d’ailleurs souvent le résultat des démissions d’autres services de l’Etat. L’autre qui consiste, face à cette violence du social qu’ils connaissent parfaitement, à établir un lien de confiance sans lequel toute instruction serait impossible. Imaginer qu’ils puissent être les acteurs de ce contre quoi ils se battent au quotidien, relève d’une stratégie de pouvoir aujourd’hui rouée : rendre les services de l’Etat français responsables de leurs propres déroutes afin d’affranchir les politiques de toutes responsabilités.

 

  • Derrière cette stratégie, une autre, encore plus perverse que la première : entretenir la défiance à l’égard des corps intermédiaires de l’Etat, créer une suspicion utile en période de liquidation républicaine. Il existerait, au sein des agents de l’Etat, des forces contraires à l’intérêt général ? C’est ainsi que commencent les purges, insidieusement, les mises au pas qui éliminent progressivement la responsabilité des hommes au détriment des ordres d’un pouvoir qui n’a plus de compte à rendre au peuple qu’il gouverne en faisant de la violence l’ultime alibi de son salut.

Méprise

Méprise

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  • Le mépris ? Ai-je du mépris ? Je constate l’état des forces en présence, la logique promotionnelle, celle qui décide ce qui doit être lu et offert au public. J’observe depuis dix ans les renvois de courtoisie, la main mise des médias de masse sur la diffusion des idées. Je déplore la disparition d’un espace critique et politique digne de ce nom, la réduction de la réflexion à un commerce. Je note la lâcheté et la couardise de ceux à qui je m’adresse. J’accuse un milieu spectaculairement endogène qui se cache derrière la culture pour ne pas se mouiller et sauver sa gamelle en paraphant l’existant.

 

  • Dans le fond, tout est presque foutu. La gauche critique n’existe plus, le marché a tout avalé. Du moins dans sa forme inchoative, anarchisante, corrosive, violente. Radicale ? Radicale. Je rêve d’une vie intellectuelle réouverte dans laquelle les coups partiraient. Mais les publications narcissiques insipides, les essais de rien du tout, la pâte à papier journalistique dégueule sur les étals du marché. Aucune vie, aucune sève. Un formatage opportuniste, un recyclage de la presse au livre, un massacre inaudible qui ne fait l’objet d’aucune contestation. Des objets de pensée miniaturisés. Little philo. Dans la course à la médiocrité, à chacun son couloir. Des pages publicitaires ventent un tel, encensent un autre sous le titre « critique littéraire ». De gros bandeaux rouges encerclent la vanité et le patronyme. Je les cite, ils sont connus de tous. Est-ce moi le criminel ? Est-ce moi le salaud ? Est-ce moi le visible ?

 

  • Ce qui est inacceptable en régime de positivité intégrale, c’est que l’on puisse vouloir la non-réalisation d’une chose ou d’une idée. Les positifs appelleront cela frustration, vengeance, ressentiment, mépris. Je les fais moutons et ânes. Qu’est-ce que l’Empire du Bien sinon ceci : la réalisation de tout, l’optimisation maximale d’une réalité intégrale où rien ne se perd. C’est ainsi que la programmation planifiée de la fête vous dégoûtera de la fête, que l’organisation rationnelle des voyages vous fera vomir les voyages, que la planification étatique de la culture suscitera en vous le dégoût de la culture, que l’épandage massif de philosophie en magazines vous incitera à brûler la bibliothèque.

 

  • Alors mon rêve, oui, le rêve de Krank, s’est transformé en cauchemar. Un cauchemar labyrinthique aux mille visages. Un cauchemar chaotique d’où sortent des coups. Un cauchemar à déchanter, à démolir, à dévoter. Un joyeux cauchemar pour notre temps. Un cauchemar à la hauteur. Condescendance ? Non plus. Déchirure. En situation de légitime défense, je cherche des armes fatales qui arracheraient enfin un bout du morceau. Travail monstrueux et dérisoire. Travail  inaudible.

 

 

Reality Macron

Reality Macron

La démocratie gagne et rassemble les siens

Macron est le champion de l’Empire du bien

Ne sifflez pas, regardez les

Des turbogédéons, des cyber franciliens

Les recettes sont vieilles, usées jusqu’à la corde

Les conflits sont finis, jamais plus de discorde

Ne sifflez pas, regardez les

Des milliers de nimbus sautillent à la concorde.

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Political bridge

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Cuba c’est du passé, admirez les marchants

L’esclavage est en vous, plus besoin de tyran.

Face à l’horrible bête, il a fait triompher

Les valeurs de la France et l’honneur des banquiers.

 

De quelle liberté, êtes-vous les héros ?

Pour quelle société levez-vous vos drapeaux ?

Insensibles au néant qui tapisse vos vœux.

Vous choisissez l’image, l’irréel et le creux.

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Pont musical / political bridge x2

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Dégagez les extrêmes, détournez-vous des cieux 

En marche vers la bouillie, elle est juste au milieu

Ne sifflez pas, regardez les

Des milliers d’adaptés, autant de bienheureux

La démocratie gagne et rassemble les siens

Macron est le champion de l’Empire du bien

Cuba c’est du passé, admirez les marchants

L’esclavage est en vous, plus besoin de tyran.

Le silence de Jean-Luc Mélenchon

Le silence de Jean-Luc Mélenchon

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  • Il est toujours souhaitable de se poser les bonnes questions. Pour quelle raison le silence de Jean-Luc Mélenchon, en vue du second tour de la présidentielle, suscite autant de considérations morales et si peu d’analyses politiques ? C’est que la morale est compatible avec la logique économique en cours. La politique, beaucoup moins. Là encore, nous suivons le modèle américain. A intervalles réguliers, de grandes purges morales médiatiques réactivent l’implacable logique de domination économique et financière. Pour des raisons d’arithmétiques électorales, d’histoire contemporaine, de matraquage médiatique,  de démonologie et j’en passe, post-it Macron est déjà président de la République et il le sait. J’entends aussitôt le philosophe de salon, ton suave et œil de biche :  – vous vous arrangez avec votre conscience. En choisissant de ne pas choisir, ce qui est un choix (relisez Sartre), vous laissez faire à d’autres ce que vous n’assumez pas de faire vous-même. Autrui aux mains sales vous permet de garder votre belle âme propre. D’ailleurs, si tout le monde faisait comme vous, Marine Le Pen, ce que vous ne souhaitez manifestement pas, homme de mauvaise foi, serait élue le 7 mai. Cela contredirait en passant votre premier constat.

 

  • Vous noterez à quel point cette causerie morale nous écarte de la question politique. Jean-Luc Mélenchon ne fait pas la morale de l’info, il n’a rien d’un curé déguisé sous le  maquillage moderniste du philosophe dans le vent ou de l’économiste en vue. Les deux se tiennent aujourd’hui la main pour fournir aux post-it macronisés du nouveau monde leur assise idéologique. Jean-Luc Mélenchon fait de la politique. Cela signifie qu’il cherche à peser, comme d’autres,  sur l’institution de la société, sur ses choix fondamentaux auxquels, abstentionnistes ou pas, nous devrons nous plier car il feront demain – plus sûrement cet été en douce – force de loi. Comme tout politique, il a lu, avec post-it Macron, son Machiavel. Il est aussi stratège. Quelle est donc la meilleure stratégie politique à adopter afin de sortir du jeu de dupe qui consiste à brandir, à intervalles réguliers, l’épouvantail Front national, ce diable utile, afin de ne surtout rien changer (1) ? A côté de cette réflexion politique, virile au sens machiavélien,  les considérations des perruches morales philosophes et autres courtisanes économistes sont de peu de poids. Derrière Jean-Luc Mélenchon, sept millions d’électeurs qui n’ont choisi ni le Front national ni la bouillie Macron servie à des citoyens en coma festif dépassé. Que cette masse d’électeurs soit hétérogène est une chose – toutes les masses le sont – qu’elle puisse être réduite à une broderie morale en est une autre.

 

  • Libération, le lendemain du premier tour, page 3, étale sur une demi page, en gros caractère : « MACRON UN CENTRE ANTI-POISON. Dernier rempart contre le Front national de Marine Le Pen, la météorite d’En marche réussit son pari de se placer au-dessus du clivage gauche-droite. Benoît Hamon et François Fillon ont déjà appelé à faire barrage. » (2) Météorite pour Libération ; fusée pour le Nouvel Obs. La conquête spatiale de Jacques Cheminade n’est finalement pas si loin. Voilà ce que le journalisme « critique » dit de gauche, dans ses pages Idées et Rebonds, propose aujourd’hui à ses tous derniers lecteurs. Mais cette indigence politique et stratégique peut encore compter sur le renfort des perruches philosophes et des courtisanes économistes. Télévision, radio, Internet, show, prime, punchline, tout est bon pour venir au secours d’une presse moribonde.

Le centre anti-poison Macron recrute tous ceux qui feront demain barrage au Mal et aux extrêmes.

 

  • Dans ce contexte, le silence de Jean-Luc Mélenchon est certainement le seul acte politique de cette campagne électorale. Dans cet étau, entre économisme et moraline, toute la difficulté consiste à créer un espace politique autonome. Nombreux seront les fins esprits, armés de quelques arguments, qui railleront cette tentative. Jean-Luc Mélenchon, l’ancien du PS et son gros ego holographique. Les urbains insoumis branchés et leur vote tendance. La horde de cyber activistes et leurs jeux vidéos en ligne. Autant de portraits qui pourraient avoir leur pertinence s’ils n’étaient pas aussi les alliés objectifs d’un processus de dépolitisation en cours, processus qui laisse les mains libres aux pires salopards. Ceux-là ne veulent surtout pas de politique et de la critique qui vient à sa suite. Encore moins d’une philosophie qui fournirait des armes intellectuelles aux âmes perdues de la grande cause mondialiste. Ils veulent, sur toutes les chaînes et à toutes les heures, des moralistes philosophes, ces curés du nouveau monde, et des experts économistes pour faire passer les plats des soubrettes financières au pouvoir. Ils veulent dépasser les vieux clivages, les anciens conflits. Ils veulent la paix des commerces, la soumission  du plus grand nombre et des petites bougies les soirs d’attentat. Marine Le Pen, qui ne brille tout de même pas par son intelligence, est leur allier objectif. Ce sera encore le cas le 7 mai.

 

  • Il est donc temps de savoir ce que nous voulons. Sauver le Bien ou faire de la politique. Baratiner à la radio avec des bribes de Jean-Paul Sartre ou résister tant bien que mal au processus de liquidation en cours en pensant un peu. Faire les malins ou sauver notre peau. On me demandera peut-être quel est mon intérêt, en quoi suis-je concerné par cette résistance, moi qui suis professeur de philosophie dans l’Education nationale. La réponse tient en peu de lignes. Il existe un rapport très étroit entre la philosophie et le politique, un rapport essentiel. Post-it Macron ne me contredira d’ailleurs pas sur ce point, lui qui est passé d’un mémoire sur Machiavel à la commission Attali, d’une pseudo collaboration avec Paul Ricœur au ministère de l’économie et des finances.

 

Sans politique, la philosophie est la morale des curés ; sans philosophie, la politique est l’état de fait des salopards.

……..

(1) Dans la novlangue politique, « en marche » est un jingle pour annoncer la prochaine saison. « A suivre… » marche aussi.

(2) Libération, 24 avril 2017. Pour faire barrage, n’oubliez pas de consulter le Lexique de lepénologie pour le second tour.

 

 

 

La critique insoumise

La critique insoumise

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« L’Empire du Bien triomphe. Il est urgent de le saboter. »

Philippe Muray

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Dimanche 23 avril, 23h54

  • Le sentez-vous gonfler, le sentez-vous s’agréger de toutes les bonnes volontés, de toutes ces petites bougies qui scintillent. Regardez-le s’épandre, se rassembler le plus largement possible pour une belle victoire le 4 mai 2017. Chacune et chacun y aura sa place. Aucun perdant. Considérez maintenant cette évidence : le choix du Bien et de son Empire.

 

  • Jean-Luc Mélenchon n’appelle  pas, ce soir, à voter Emmanuel Macron contre Marine Le Pen. Outrage. Les mêmes qui le désignaient comme nouveau tribun populiste sud américain la veille s’insurgent, le lendemain, contre ses silences coupables quand il s’agit de dire à la masse ce qu’elle doit penser. Le journaliste insiste :  – « on notera que Jean-Luc Mélenchon n’appelle pas à voter pour Emmanuel Macron ». L’intéressé c’était pourtant exprimé sur le sujet quelques jours avant : « Une chaise ou un banc serait mieux élue qu’elle dans ce pays ». Marine Le Pen ne sera pas élue dans quinze jours. Elle sera nettement battue et tout le monde le sait. Je veux dire tous ceux qui savent comment ça marche. Le journaliste qui note le propos coupable de Jean-Luc Mélenchon, propos qui ne changera strictement rien au résultat final, en fait partie lui aussi.

 

  • Par conséquent, la seule question un peu sérieuse à se poser ce soir, la question que s’est peut-être posée Jean-Luc Mélenchon en rédigeant son allocution, est très simple. Comment combattre l’Empire du Bien ?  Avec elle, cette autre : comment exister dans un espace critique et politique qui réduit toute pensée à un choix binaire ? Une troisième question, liée aux deux autres : que faut-il faire face aux robots journalistes qui vous somment en direct de prendre le parti du Bien ? Jean-Luc Mélenchon ne peut pas dire que l’élection est réglée. S’il le faisait, c’est-à-dire s’il disait tout haut ce que tout le monde sait ce soir, il deviendrait aussitôt l’ennemi, y compris pour une partie de son mouvement politique. Il détruirait le pacte tacite, le jeu de dupe qui consiste à rappeler en toute circonstance que nous devons défendre le Bien et combattre le Mal.

 

  • A côté de Marine Le Pen, la téléréalité politique, c’est le Bien. La fabrication expresse d’une baudruche médiatique, c’est encore le Bien. Les robots journalistes, le Bien. L’information en continue des zombies communicants, le Bien, encore le Bien. La continuation des ordres de domination, c’est toujours le Bien. Alors Jean-Luc Mélenchon, toujours sommé de répondre, s’en remet à une consultation fumeuse sur une plateforme d’échanges, une énième participation interactive. Ce en quoi il retombe dans la logique de l’Empire du Bien en ratant la cible. Non pas qu’il ne sache pas exactement où elle se trouve mais parce que sa position de politique lui interdit de la viser. Limite de ce qu’il peut. Le problème n’est pas de faire barrage au front national avec tous les petits castors serviles de l’information politique. Le Bien d’un côté, autrement dit ce qui doit être ; le Mal de l’autre, autant dire ce qui ne sera jamais. Car l’astuce consiste justement à faire croire que le Mal est ailleurs, potentiel, toujours différé. Imaginez un instant que Jean-Luc Mélenchon ait pris la parole mais en ces termes :

« Les gens, nous savons, vous et moi, qu’Emmanuel Macron sera le prochain président de la République française. La question de savoir si je vais donner une consigne de vote est une farce dont je vous dispense. Que je le fasse ou pas, Emmanuel Macron est déjà président de la République. Pensez-vous une seule seconde, les gens, qu’une logique promotionnelle capable de créer en un an de toute pièce un Emmanuel Macron ait besoin de mes consignes de vote pour triompher dans quinze jours ?

La question est plutôt de savoir pourquoi demain les castors serviles de l’information politique, de sous-entendus en accusations franches, me déverseront, sans autres formes de procès, dans le camp du Mal ? Répondre à cette question, c’est aussi comprendre comment une baudruche ventriloque peut devenir en France, pays supposé de la liberté de pensée et de la critique, président en un an. Répondre à cette question, c’est faire de la politique au sens noble.

Quinze ans après, nous en sommes toujours au même point. Après la énième crise financière – la suivante étant toujours plus raide que la précédente -, après l’invasion américaine de l’Iraq jusqu’à la cancérisation du terrorisme islamiste, les centaines de morts, après Uber and co : choisir le parti du Bien pour faire barrage au parti du Mal. A ce chantage inventé par la gauche divine, à cette même gauche divine qui a choisi son champion, nous ne pouvons répondre que par le mépris.

Vous connaissez Philippe Muray ? Ecoutez : « Le Bien a toujours eu besoin de Mal, mais aujourd’hui plus que jamais. Le faux Bien a besoin d’épouvantails ; moins pour les liquider, d’ailleurs, que pour anéantir, à travers eux ou au-delà d’eux, ce qu’il pourrait rester encore, de part le monde, d’irrégularités inquiétantes, d’exceptions, de bizarreries insupportables, enfin les vrais dangers qui le menacent, quoique l’on en parle pas. » Qu’en pensez-vous ? Je dois vous dire que ce Muray est étiqueté réactionnaire de droite et qu’il est devenu, juste après sa mort- comme de juste – un amuse-bouche critique pour les mondains qui font barrage au Mal avec tous les petits castors. Et alors ? Cet Empire du Bien qui fait tant de mal aux irrégularités inquiétantes a trouvé hier soir une nouvelle baudruche en la personne d’Emmanuel Macron. Une nouvelle baudruche et une multitude de petits robots pour lui donner un corps politique. Alors que faire ? Se résigner, accepter de ne pas juger et de marcher avec les zombies du Bien ?  Ou mettre en place des stratégies critiques et politiques de sabotages ? » 

  • Ceux qui dénoncent le système médiatique dans son ensemble font fausse route. Les rusés sont assez habiles pour démontrer qu’un tel système n’existe pas. Non, ce qu’il faut c’est poursuivre le travail et montrer concrètement qu’un certain type de discours ne trouve aucun relais chez ceux qui fabriquent l’opinion de l’homme moyen. De ce point de vue, ma génération, que je connais sur le bout du clavier, a totalement démissionné. Soit elle se vautre dans la communication d’ambiance, soit elle cultive son petit jardin égotique, soit elle regarde d’un œil cynique la catastrophe en cours. Une autre voie est possible, celle de la résistance, le maquis puisque nous sommes à l’heure des clins d’œil nationaux. Philippe Muray avait compris une chose très simple mais douloureuse. Face à l’Empire du Bien, notre destin sera le terrorisme spirituel. Lui appelait cela ses exorcismes. Par la seule force de l’esprit, l’idée consistera à créer des relais critiques sur lesquels d’autres pourront trouver la force de s’appuyer. Nous ne serons pas payés en honneurs dans le grand barnum du spectacle. Et alors ? Nous serons quasi imperceptibles mais lus avec l’attention de ceux qui restent une fois la lessive essorée.

 

  • Jean-Luc Mélenchon s’arrête en chemin. Non pas qu’il soit défaillant mais pour la simple raison qu’il ne peut pas faire seul le chemin qui mène de la contestation politique d’un ordre de domination au renversement de cet ordre. A moins de se muer en autocrate. Il lui faut des relais intellectuels et pas simplement des gamers qui le mettent en scène dans un jeu vidéo. S’il y avait sur les plateaux de télévision, dans les médias, dans les différents organes de presse des journalistes, des critiques, des intellectuels libres d’écrire et de penser, le discours fictionnel que je viens de rédiger serait accessible au plus grand nombre et les thèses de Philippe Muray ou de Jean Baudrillard ne seraient pas simplement réservées à une petite élite parisienne (1) qui, s’en être dupe, n’a aucun intérêt à éventer ses petits secrets de fabrication, sa cuisine maison. Oui, c’est aussi à toi que je m’adresse Raphaël Enthoven, toi qui cite Muray dans ton dernier livre.

Il va de soi que dans cet autre monde, un Emmanuel Macron n’aurait aucune chance d’accéder à la présidence de la République.

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(1) Résultats à (97% des bulletins dépouillés) : 35% 26% 19,5% 10% 5%

La jouissance terroriste

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« Face au totalitarisme islamiste, il faut construire un mur intellectuel et moral. »

François Fillon, 21 avril 2017

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  • Un esprit athée ou agnostique, indifférent au sens large, aura toujours du mal à saisir ce que peut la croyance en Dieu. Celle-ci n’est à ses yeux qu’une illusion. Rapportés à ses catégories de jugement, les décrets divins ne pèsent pas lourd. Les croyances témoignent pour lui de la faiblesse humaine, certainement pas de sa puissance. Sa tolérance est une grâce adressée à la crédulité. Le combat a été mené de longue date et l’obscure divagation réduite à une place circonscrite encadrée par la loi. L’explication ? Frustration, compensation, impuissance.  Les analyses sont connues, les critiques philosophiques disponibles en livres de poche. Evidence de la théorie devenue une somme de lieux communs. Qui a encore envie de lire une critique des croyances en Dieu, de radoter cent fois les mêmes poncifs éculés ? Je ne vois que l’hédoniste de grandes surfaces et son lectorat d’arrière-garde. Dieu est la projection de l’homme dans le ciel, Dieu est la compensation d’un délaissement infantile, Dieu est le shit du peuple etc.

 

  • Une certaine vulgate marxiste prospère encore. La frustration se développe sur les inégalités sociales et économiques. Les hommes compenseraient leur impuissance réelle en se tournant vers des fétiches. Apparition du sentiment religieux et de ses illusions maléfiques. Conclusion : augmentez le PIB de deux points et vous verrez aussitôt reculer les fous de Dieu. Illustration de l’économisme ambiant que décrivait parfaitement Bernard Maris assassiné le 7 janvier 2015. Le pouvoir d’achat et la croissance, solutions contre le terrorisme ? Oye mes braves. La logique du terrorisme serait parfaitement soluble dans notre mode de développement économique. Mieux, la preuve absolue que le travail reste à faire, qu’il faut aller plus loin encore. C’est donc à nous – analystes, économistes, philosophes, critiques, intellectuels, journalistes, sociologues, écrivains, bonnes âmes – de lui donner un sens, de l’intégrer. L’intégriste ne laisse rien sur le bord du chemin, il ramasse et assimile tout. C’est justement ce que fait le processus de globalisation en cours : il avale et digère. Aucune signification ne doit pouvoir lui résister. Terrorisme compris.

 

  • Les terroristes promettent la mort. « Nous aimerons plus la mort que vous aimez la vie ». La preuve, nous sommes prêts à mourir pour elle. Nihiliste celui qui croit aux valeurs toutes faites comme s’il existait un stock de valeurs disponibles à restaurer. D’où la sotte idée quantitative, le vain projet : remettons des valeurs au cœur de la République, au centre de l’école. Logique de capitalisation et d’exploitation du patrimoine national, accumulation de valeurs, de plus-value axiologique, chaises musicales de la quantité. 300 heures de valeurs supplémentaires dans le parcours de l’élève citoyen pour replâtrer, avec « un mur intellectuel et moral », la conscience nihiliste de ces jeunes de France en mal de repères. Une éducation en béton armé nous est promise.

 

  • C’est bien plutôt Eros qui est en jeu dans cette logique de mort.  « A la fin de l’histoire, nous banderons encore et pas vous – importance fondamentale de la dimension érectile dans le délire. Nous banderons plus que vous, c’est une certitude. Notre Dieu, et son cri de guerre orgasmique, est bien plus grand que vos godes géants merdeux ». Mourir pour une cause, fut-elle absurde et insensée, transcende la vie. Le discours sur les valeurs arrive toujours trop tard. Les valeurs, les bonnes, sont de notre côté. Nous les avons accumulé avec le temps, nous pouvons les délivrer, les transmettre, les inscrire aux programmes, en faire des autocollants et des vignettes. Journée nationale de la valeur, de la République et de la laïcité, comme il y a la journée du câlin ou de la femme. « Je suis Charlie ». Alors-là, respect mon ami. Les valeurs sont notre richesse et notre patrimoine, comme les toits en ardoises et les pigeonniers méridionaux. Les partager, ensemble, les couper en huit comme on coupe un cake. Pas d’exclus. A chacun sa bonne ration, à égalité avec le voisin. Epicerie citoyenne universelle.

 

  • Comment rendre la vie plus bandante que la mort ? Voilà le grand défi. Cela n’a rien à voir avec la brocante des valeurs, cette quincaillerie philosophique déprimante. Et la question ne se pose pas simplement pour le terrorisme. Anémie, fatigue, morbidité sociale, dépression collective, résignation, démoralisation. La littérature n’y échappe pas. Houellebecq m’emmerde. Ces récits sexuels de dépressif postmoderne m’assomment. Les mémoires de sa bite me dépriment. Je sors de là lessivé, cuis, exténué. Comprendre ainsi que le nihilisme esthétisant est une invention qui a fait son temps, une tocante historique usée. Corbeille. Ce qui arrive nous y oblige. Sous le gode géant avant qu’il ne dégonfle, le petit doigt en l’air et le cul pincé dans Libération : « l’art contemporain a-t-il une valeur? » 

 

  • « Nous aimerons plus la mort que vous aimez la vie ». Il doit certainement être question de volonté de puissance derrière cette formule réduite. Combien de produits cinématographiques, et cela depuis des décennies, se complaisent dans la mort bandante, la tuerie trique, le carnage érectile. Pour les moins phallocrates, le massacre sexy cool. L’ultra-violence ( la formule d’époque)  d’Orange mécanique s’est transformée, avec le temps, en une petite mandarine confite. La jouissance terroriste commence par des films de propagande faisant l’apologie, avec force ralentis et 3D, d’une violence scénarisée sans limite. La décapitation qui horrifie n’est pas une menace mais une page de pub : « regardez mes frères, ici on le fait vraiment, c’est cool. Arrêtez de vous branler sur vos jeux de guerre, de vous exciter la nouille avec vos affiches et vos simulacres, de vous astiquer le manche de la console. Bienvenue dans la vraie vie, celle du passage à l’acte ». Les zombies numérisés sont conviés à en être, suprême fantasme que celui de la réalisation pour les frustrés de la société du spectacle intégral.

 

  • « Bien sûr nous risquons la mort en retour », poursuit l’égorgeur dialecticien, « mais rappelez vous Hegel : celui qui craint la mort est esclave de celui qui ne la craint pas. Nous sommes dialectiquement un cran plus loin que vous, nous réalisons vos simulacres de bas niveaux et de faibles intensités. Et c’est en cela que nous vous castrons radicalement, en vous rappelant que votre jouissance morbide a tout de la saccarine. Crânes rasés, vociférations grégaires, parqués, vous batifolez dans ces jardins d’enfants. Nous vous proposons le désert du réel en lieu et place de vos  parcs à simulacres, de votre quincaillerie irréaliste. Si vous kiffez déjà le pour de faux vous allez surkiffer le pour de vrai. »

 

  • Il va de soi que la promotion de cette jouissance terroriste New Age a remplacé la théorisation par la terrorisation, nettement plus directe et efficace. Nul besoin d’un Hegel pour mettre à jour les ressorts pulsionnels de l’engagement. Cela fait déjà belle lurette que nous faisons l’économie de comprendre ce que nous faisons, de penser ce qui nous arrive. Kiffes-tu Assasin’s Creed PS 3 ? Kiffes-tu Sniper’s World VII ? Tu vas surkiffer le Djihad. Voilà qui est largement suffisant comme mobile. Kiffer vs. surkiffer. Pas besoin de Marx, la vieille buche. D’ailleurs nous le savons tous, des psycho-pédagogues expliquent cela très bien, l’écart entre le simulacre et le réel est immense, infranchissable. La petite mandarine surconfite de l’ultra violence aurait même, paraît-il, une vertu sociale. Elle canaliserait, avec le bon dosage, les pulsions morbides – comme si les pulsions étaient là, identiques à elles-mêmes, de toute éternité, en 1848, 1945, 2017. Nous devons y croire. D’ailleurs, avons-nous vraiment le choix ?

 

  • Il faut être bien peu dialecticien pour penser que l’histoire revient sur ses pas, qu’elle peut faire machine arrière. Cette nouvelle forme de jouissance terroriste, ce pouvoir de séduction aux moyens inédits, ce tropisme morbide qui a fait de l’horreur son média, n’est certainement pas un retour en arrière. Comme si les guerres de religion refaisaient surface. Il s’agit d’un approfondissement non d’une inflexion. Nous sommes simplement un cran plus loin. Rendre la vie plus bandante que la mort ? Que faisons-nous de nos pulsions ? Vieux problème nietzschéen : que devient la volonté de puissance sans discipline ? Discipliner les pulsions plutôt que les déchaîner, ce vieux problème de civilisation. La nôtre en est-elle encore capable ? Quelle discipline ? Proposez-vous un point de vue d’en haut, vertical ? Une éducation pulsionnelle novatrice ? Je crains qu’un tel projet n’entre en contradiction frontale avec notre modèle de développement économique. Si l’Etat a toujours le monopole de la violence légitime, le marché n’a-t-il pas celui de la bandaison légitime ? Une question de croissance.

Benoît Hamon, l’anti-Nietzsche

Benoît Hamon, l’anti-Nietzsche

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A ma sœur, une nietzschéenne qui s’ignore encore

  • Benoît Hamon a fait carrière dans le parti socialiste, ma sœur, comme d’autres font carrière dans le pinard ou les assurances. De la présidence des jeunes socialistes (MJS) en passant par la députation européenne (2004-2009), il représente par excellence l’homme d’appareil. Tout commence en 1986. Souvenez-vous, les manifestations étudiantes contre la loi Devaquet (« Devaquet au piquet, Devaquet au piquet ! »). Génération touche pas à mon pote et à mes diplômes au rabais. 30 ans après, le Bac est devenu une farce nationale et les universités de sciences humaines recrutent des professeurs de collèges pour alphabétiser les jeunes bacheliers fraîchement inscrits en LEA. Oui, c’est le cas à Bordeaux. Une dénommée Najat-Vallaud Belkacem, qui figure en bonne place dans le premier numéro de Lui, poursuit, en sa qualité de ministre de l’éducation nationale et du supérieur,  le travail de démolition programmé sous couvert d’égalité des chances sans rien trouver à redire à cette tendance générale. Quelle promotion tout de même pour un modeste militant comme Benoît Hamon de se retrouver à Bercy au milieu d’une masse qui scande son nom au seul titre qu’il est le représentant du parti socialiste à l’élection présidentielle. Quel autre parcours que le carriérisme politique aurait pu le conduire d’ailleurs, sans autre talent que celui d’avoir fait son devoir d’appareil, à une telle gloire ? Sa licence d’histoire ? Qu’aurait pu espérer Benoît Hamon avec cela, sa rose et sa main jaune sur le cœur, si le parti socialiste ne l’avait fait politique.

 

  • Certains demandent aujourd’hui à Benoît Hamon de retirer sa candidature au profit de celle de Jean-Luc Mélenchon. Une demande somme toute assez logique. Mais mesurez-vous seulement la hauteur du sacrifice pour un homme que le parti socialiste a fait et qui découvre enfin la lumière en brandissant la rose. Lui, le militant grisouille des premiers combats inutiles, aurait donc le pouvoir de mettre à terre la gauche divine d’appareil ? Tout cela bien sûr est au-dessus de ses forces. Il est trop petit. Cet acte romantique, un tantinet nietzschéen (« J’aime ceux qui ne savent vivre quand déclinant »), offrirait à Benoît Hamon une dimension historique (relative, soyons lucides, nous restons modernes). En un mot, pour reprendre la formule de Gilles Deleuze, il ferait de cette « négation l’agressivité d’une affirmation »(1), il se vaincrait lui-même dans un renoncement qui le ferait passer du dernier militant au surmilitant.  Il mettrait à terre son parcours dans une métamorphose héroïque. Il passerait ainsi de l’autre côté du pont. Il préfère de loin se vivre en martyr trahi, en christus dolens. La rose et les épines, ces ombres du politique chères à la gauche divine.

 

  • Hélas, le pronostic est sombre : Benoît Hamon est un anti-Nietzsche. Un seul troupeau, tous sont égaux : voilà notre homme. Son parcours politique est incompatible avec le grand risque, avec le renoncement joyeux et le glorieux déclin. « Bien fou qui trébuche », nous dit Nietzsche. La généalogie, voilà la clé. D’où vient l’homme ? Qu’a-t-il fait ? Quels sont ses mérites ? Par où passe sa volonté de puissance ? Qui est-il et que peut-il ? Les logiques calculatoires, les sondées, sont de peu de poids face aux trajectoires des hommes, aux forces souterraines qui orientent les grands choix d’une vie. Demanderiez-vous, simplets rationalistes, au parti socialiste de devenir nietzschéen ? Demanderiez-vous aussi aux électeurs du front national de lire instamment du Jankélévitch ? Réveillez-vous et prenez l’homme en compte, pesez-le enfin. Cessez de barbouiller vos valeurs, votre logique d’épiciers et vos gémissements sur des soldats de plomb. Le parti socialiste ne peut pas produire des hommes capables de s’anéantir aux pieds de l’idéal. Regardez Cambadélis, le premier secrétaire,  cette grosse marquise joufflue, voyez-vous là un funambule qui ferait du danger son métier ? Voyez-vous là une corde ? Voyez-vous là un pont ?

 

  • Un ami me demandait récemment : mais de quel bord es-tu ? Du côté de l’homme, de la bête raisonnante. Toujours. Tout désir de changement, tout vœu pieu, toute politique, de droite, de gauche, toute marche vers demain sont destinés à se fracasser lourdement sur ce que peut ou ne peut pas cette bête-là. Ne jetons pas la pierre à Benoît Hamon. Il est ce qu’il peut, rien de plus, rien de moins. Il porte mais ne passe pas. Arrêtons un instant de croire que l’homme a la capacité soudaine de devenir autre sur le seul critère de la beauté du geste. En êtes-vous d’ailleurs capables vous-mêmes, avez-vous la force de vous surmonter jusqu’à faire de votre déclin une esthétique militante ?

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(1) Gilles Deleuze, Nietzsche et la philosophie, « Contre la dialectique ».

Qui veut encore de la paix ?

Qui veut encore de la paix ?

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Le Havre après la guerre

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  • Hors du pacifisme, point de salut. Pacifisme de combat. Les mots ne tuent pas. Les bombes oui. La critique ne rase pas des villes contrairement aux Etats militarisés. Le pacifisme de combat a des ennemis. Innombrables. Celui-ci, par exemple, justifie les bombardements sur Alep au nom du réalisme politique et d’une fine causerie géopolitique, bien au chaud, tapotant sur son MacBook payé en quatre fois sans frais. Mort à crédit. Il écrit son nom sur l’ogive qui tombe sur la tête du frère de l’enfant mort. Ceux qui subissent la guerre sont les moins bavards. Ils se terrent, rampent, pissent le sang ou meurent. L’indignation est un luxe de spectateur. Un voisin paysan, il y a une vingtaine d’années, m’évoquait, les larmes aux yeux, l’instant précis, enfoncé à vie dans son crâne, où il tua un homme en algérie, un ennemi, pour sauver sa vie. Tout a été écrit sur la guerre, ses horreurs, ses humiliations. La destruction sans limite de l’homme, son anéantissement. La littérature est moins bavarde sur les connivences de chacun et de tous envers les causes de la guerre.

 

  • Le pacifisme, celui de Jaurès en 1914, de Gionot en 1938, est aux antipodes de la virilité guerrière qu’il est opportun d’afficher aujourd’hui dans les diners mondains. Avant de choisir un camp, il faut prendre le parti de la guerre. C’est justement ce parti que ne prend pas le pacifiste. Faire entendre sa voix dans le concert belliqueux, celui-là même que dénonçait Jean Jaurès dans les dernières lignes de son ultime article publié dans le journal La Dépêche le 30 juillet 1914 sous le titre « L’oscillation au bord de l’abîme. » « Partout le socialisme international élève la voix pour condamner les méthodes de brutalité, pour affirmer la commune volonté de paix du prolétariat européen. Même s’il ne réussit pas d’emblée à briser le concert belliqueux, il l’affaiblira et il préparera les éléments d’une Europe nouvelle, un peu moins sauvage. »

 

  • Mais sommes-nous prêts à payer le prix de la paix afin de préparer une Europe un peu moins sauvage ? Sommes-nous prêts à payer le prix de la vérité quand nous restons silencieux face à une nation alliée qui entre en guerre sous des prétextes fallacieux afin de punir par le feu les innocents de sa propre démence hégémonique ? Sommes-nous prêts à payer le prix de la liberté quand nous soutenons économiquement des régimes tortionnaires quitte à intenter, pour ne froisser personne, un procès à un journal satirique qui a eu le malheur de dessiner un Mahomet en pleurs sur sa couverture ? Sommes-nous prêt à payer le prix de la justice quand les contrats d’armements orientent en sous mains les choix diplomatiques d’une nation toute entière ? Sommes-nous prêt à payer le prix de la paix quand la paix se résume à la paix des commerces ?

 

  • Rares sont ceux qui soutiennent les conséquences de la guerre. Pour combien de pacifistes qui en refusent les causes ? L’homme préfère de loin la logique de la guerre en meute que la conscience esseulée de sa propre faiblesse. Les pluies de bombes ailleurs rassurent plus que les exigences de la paix ici. De la paix c’est-à-dire de la vérité, de la liberté et de la justice. Nos indignations sélectives sont les cache-misères de nos renoncements. Le renoncement de l’esprit arrive en tête. Il est la première digue rompue contre l’abrutissement collectif. Les tyrans n’ont pas besoin de Goethe ou de Shakespeare pour réveiller les belliqueux.  « Même dans les régimes de terreur, l’homme est plus sûr de lui que dans les fantaisies de la démocratie. » Si Emile Cioran a fini par renier ses écrits de jeunesse, ses constats restent : « La paresse de la pensée et la peur de s’isoler comme une monade solitaire le déterminent à accepter allègrement et avec une agréable résignation les impératifs et les commandes des dictateurs. » (1) Parmi ces impératifs, la guerre.  En guise de fantaisies démocratiques, le spectacle abruti d’une liberté pour rien. Que pèsent les animateurs de la démocratie spectacle face à la promesse de la guerre. Pas seulement pour la masse analphabète des zombies mondialisés djihadistes mais pour toutes les belles âmes raffinées qui se rachètent une énergie en se rangeant du côté du tyran viril qui fait l’histoire. Moindre mal nous dit-on. Si l’histoire est l’histoire de la guerre continuée, au pacifiste les miettes littéraires de la fiction. Emil Cioran, dans son délire contrôlé, tape juste une fois encore : « La démocratie est la plus grande tragédie des couches sociales qui ne participent pas directement à l’histoire. (…) La démocratie n’a pas pu faire d’elle un facteur actif de l’histoire, de sorte que la plèbe éternelle a été engagée dans une responsabilité pour laquelle elle n’avait aucune appétence. » Aucune appétence non plus pour le pacifisme quand le surarmement des consciences tient lieu de nouvelle identité collective. Surarmement par procuration, faible, débile, là où le premier autocrate venu fait figure de sauveur et de défenseurs des droits de l’homme contre le terrorisme mondialisé. Ceux qui combattent le pacifisme plus sûrement que les causes de la guerre sont les grands lessivés d’une liberté inutile, une liberté en trop. Ils ont désormais des intellectuels pour les seconder et des politiques pour les flatter. Les belliqueux ne veulent rien d’eux-mêmes. Ils avancent en tas, beuglent en groupes, vocifèrent en meutes, bandent en masse, crèvent en tas. C’est là le principal avantage des régimes autoritaires. Les ascensions et les déroutes sont collectives. Rien de personnel, surtout.

 

  • Pacifiste, dites-vous en souriant. De toute évidence, la peur du ridicule est moins à craindre que celle des despotes armés.

 

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(1) Emil Cioran, Apologie de la barbarie, Paris, L’Herne, 2015.