Méprise

Méprise

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  • Le mépris ? Ai-je du mépris ? Je constate l’état des forces en présence, la logique promotionnelle, celle qui décide ce qui doit être lu et offert au public. J’observe depuis dix ans les renvois de courtoisie, la main mise des médias de masse sur la diffusion des idées. Je déplore la disparition d’un espace critique et politique digne de ce nom, la réduction de la réflexion à un commerce. Je note la lâcheté et la couardise de ceux à qui je m’adresse. J’accuse un milieu spectaculairement endogène qui se cache derrière la culture pour ne pas se mouiller et sauver sa gamelle en paraphant l’existant.

 

  • Dans le fond, tout est presque foutu. La gauche critique n’existe plus, le marché a tout avalé. Du moins dans sa forme inchoative, anarchisante, corrosive, violente. Radicale ? Radicale. Je rêve d’une vie intellectuelle réouverte dans laquelle les coups partiraient. Mais les publications narcissiques insipides, les essais de rien du tout, la pâte à papier journalistique dégueule sur les étals du marché. Aucune vie, aucune sève. Un formatage opportuniste, un recyclage de la presse au livre, un massacre inaudible qui ne fait l’objet d’aucune contestation. Des objets de pensée miniaturisés. Little philo. Dans la course à la médiocrité, à chacun son couloir. Des pages publicitaires ventent un tel, encensent un autre sous le titre « critique littéraire ». De gros bandeaux rouges encerclent la vanité et le patronyme. Je les cite, ils sont connus de tous. Est-ce moi le criminel ? Est-ce moi le salaud ? Est-ce moi le visible ?

 

  • Ce qui est inacceptable en régime de positivité intégrale, c’est que l’on puisse vouloir la non-réalisation d’une chose ou d’une idée. Les positifs appelleront cela frustration, vengeance, ressentiment, mépris. Je les fais moutons et ânes. Qu’est-ce que l’Empire du Bien sinon ceci : la réalisation de tout, l’optimisation maximale d’une réalité intégrale où rien ne se perd. C’est ainsi que la programmation planifiée de la fête vous dégoûtera de la fête, que l’organisation rationnelle des voyages vous fera vomir les voyages, que la planification étatique de la culture suscitera en vous le dégoût de la culture, que l’épandage massif de philosophie en magazines vous incitera à brûler la bibliothèque.

 

  • Alors mon rêve, oui, le rêve de Krank, s’est transformé en cauchemar. Un cauchemar labyrinthique aux mille visages. Un cauchemar chaotique d’où sortent des coups. Un cauchemar à déchanter, à démolir, à dévoter. Un joyeux cauchemar pour notre temps. Un cauchemar à la hauteur. Condescendance ? Non plus. Déchirure. En situation de légitime défense, je cherche des armes fatales qui arracheraient enfin un bout du morceau. Travail monstrueux et dérisoire. Travail  inaudible.

 

 

Reality Macron

Reality Macron

La démocratie gagne et rassemble les siens

Macron est le champion de l’Empire du bien

Ne sifflez pas, regardez les

Des turbogédéons, des cyber franciliens

Les recettes sont vieilles, usées jusqu’à la corde

Les conflits sont finis, jamais plus de discorde

Ne sifflez pas, regardez les

Des milliers de nimbus sautillent à la concorde.

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Political bridge

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Cuba c’est du passé, admirez les marchants

L’esclavage est en vous, plus besoin de tyran.

Face à l’horrible bête, il a fait triompher

Les valeurs de la France et l’honneur des banquiers.

 

De quelle liberté, êtes-vous les héros ?

Pour quelle société levez-vous vos drapeaux ?

Insensibles au néant qui tapisse vos vœux.

Vous choisissez l’image, l’irréel et le creux.

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Pont musical / political bridge x2

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Dégagez les extrêmes, détournez-vous des cieux 

En marche vers la bouillie, elle est juste au milieu

Ne sifflez pas, regardez les

Des milliers d’adaptés, autant de bienheureux

La démocratie gagne et rassemble les siens

Macron est le champion de l’Empire du bien

Cuba c’est du passé, admirez les marchants

L’esclavage est en vous, plus besoin de tyran.

Election de Mister France

Election de Mister France Couronne-miss-france-2015

  • Le psychodrame électoral bat son plein. Un défilé de gueules, de tronches et de costards agrémenté de gros chiffres, de quantification budgétaire, d’économies, de dépenses, de chiffrages pour le sérieux.  Casting présidentiel – la formule tourne sur les chaînes infos – sur fond d’éléments de langage, de formules-chocs, de propositions repères : nouveau logiciel, présidentiabilité, sortie de crise, rassemblement, calendrier juridique. Millions et milliards d’euros sont de sortie. Bouillasse d’avocats, guacamole éditoriale, minestrone en débats et  analyses en gratins. Une foire aux egos qui sert au mieux la mise en spectacle quotidienne du grand show quinquennal. Une armée de cacatoès délavés communiquent en boucle sur la chose. Menace du chômage, des extrêmes, de la dette, du déclassement, de la perte d’identité, du terrorisme. Menaces au programme. L’élection de Mister France et son décor glauque.

 

  • Bobos parisiens contre hobereaux de province, le peuple, oh bon peuple, va faire son choix. Drapeaux tricolores dans les deux camps. Les prolos cracheraient-ils dans la soupe préparée par les maîtres queue du spectacle politique ? L’heure est grave, les extrêmes sont aux portes de Paris. Le philosophe du mois éclaire heureusement la question dans le Magazine Philo Plus. L’orgie bat son plein juste avant la descente, les cent jours de grâce qui n’en feront plus qu’un. Actu oblige. Mister France portera tout : le redressement du pays, l’arthrose des seniors, l’urgence climatique, l’essorage de la dette, la purification de l’air, l’inversion de la courbe du chômage, l’espoir de la jeunesse, le travail, le loisir et le droit à l’orgasme.

 

  • Qui sera l’élu de votre cœur ? Le diarrhéique jeune péteux mégalo et ses flux d’outsiders translucides  décérébrés ? Le terrien constipé et son fief historique en cathédrales de bouses juridiques ? La flatuleuse héritière et son rictus de hyène pelée ? Le tribun ventriloque et son inutile talent oratoire météoritique ? Le spectre coprophage et sa vision brumeuse d’apparatchik frondeur ami des hommes ?  J’hésite. Non, j’ouvrirai l’annuaire le jour du choix et glisserai dans l’urne le nom d’un inconnu : Yvette Damnon, Karim Marty, Kevin Landi, Jean-Claude Pilorget.

 

  • La politique réalité surclasse définitivement  la télé réalité. Qui restera en deuxième semaine ? Dindes et dindons déchiffrent pour vous les ébats du jour, les derniers soubresauts dans le bocal. Qui reste ? Qui se retire ? Les fidèles de la première heure, les frondeurs de la dernière, vous les verrez tous, petits organigrammes animés pour mieux comprendre. La pédagogie n’est jamais très loin. Les alliances, les reniements, les confessions en off et les déclarations en prime avant de repartir à la conquête de l’électeur, dans les fiefs, sur les terres historiques.  Electeur-spectateur doublement sondé, audimat et intention de vote. Urine et selle. Avant, après, pendant. Le matin et le soir. A toutes heures. Flux quotidien de pourcentages, de courbes sur le modèle des courbes du chômage ou des indices de pollution de l’air. Météo politique ? Plutôt, lobotomie de masse, soft, design, démocratique, française. A voté.

 

 

 

 

 

Foule sentimentale

Foule sentimentale

 

  • Un sujet sensible, des quartiers sensibles, des croyances sensibles, des idées sensibles, des zones sensibles, pour un monde sans cibles. « J’ai touché le point où la France est sensible, elle qui souffre d’hypertrophie du fait musulman » (Tariq Ramadan). La France du point G se dévoile.

  •  Mais qu’est-ce qui, de la France aux zones érogènes, n’est pas sensible ? Le philosophe grec Platon nous rappelle, dans son allégorie de la caverne (République, Livre VII), que le lieu sensible est aussi celui des ombres et des simulacres. Dans la caverne, le reflet tient lieu de réalité, les impressions vagues font office de certitudes indiscutables. Est sensible tout ce qui n’est pas intelligible, tout ce qui se refuse à la rigueur du logos, ce discours ordonné et réfléchi sans lequel la philosophie ne serait plus qu’un mot pour faire joli dans des séminaires d’entreprise et des petits magazines. Le respect de la sensibilité d’autrui peut dissimuler un profond rejet de la critique et de la réflexion. Platon est le premier à ne pas respecter celle des hommes prisonniers des ombres au fond de leur geôle souterraine. Sans cette première offense, il y aurait jamais eu de philosophie.
  • Alors que penser de ceci ? « Ne mépriser la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun c’est son génie. » (Charles Baudelaire, Les fusées). Le trait peut être beau mais l’idée dérisoire si elle n’était portée par celui qui l’énonce. Ce qui dérange dans Platon, nous flatte chez Baudelaire. Le premier bouscule les ingénus, le second s’émeut de son génie. Mais tous deux sont étrangers à cette demande lancinante et moderne d’un respect dévot de la sensibilité d’autrui. Car derrière cette grande plainte de l’individu affecté se cache une puissante envie de pénaliser la pensée. Un mouvement très inquiétant qui, à terme, nous conduira à nous agenouiller devant la sottise massifiée des veaux à condition qu’elle soit douce au cœur. La variété de tomates « cœur de bœuf » a de l’avenir.
  • L’atteinte à la sensibilité individuelle devrait être ainsi réprimée au nom d’un respect de la différence émotionnelle. Entre autres, pour les croyances religieuses, mais pas seulement. Non pas une différence d’idées ou de visions du monde, dont la confrontation pourrait être encore rationalisée, mais une différence de nature elle-même indiscutable. Touche pas à ma croyance. L’irrespect de la sensibilité devrait être dès lors condamné moralement, « avec force » comme on dit aujourd’hui pour cacher sa faiblesse, avant de l’être légalement. Du « je pense ceci » au « je suis comme ça », la distance est pourtant immense. Sans elle, tout effort pour sortir de soi serait vain. Si la liberté consiste simplement à être tel que l’on est, dans son pathos, nous sommes condamnés à l’idiotie.
  • L’expression « vous avez tort » est encore dialectique, elle ne se suffit pas à elle-même et appelle justification. La question « pourquoi ? »  se pose aussitôt.  Mais que répondre à cette injonction définitive et moralement indiscutable « vous m’avez blessé dans ma croyance ? « Ah bon », répondra en écho le coupable désarmé, « je vous ai blessé ? » L’émotion est tautologique, elle ne peut que se répéter en boucle car elle est à elle-même sa propre fin. C’est justement cela sa violence. « Vous m’avez blessé parce que vous m’avez fait du mal ». Le « pourquoi » ici se soumet au « parce que » de l’évidence sensible. La mauvaise émotion vaut le mal tout entier. Avec elle, le logos est anéanti. Ceci est le constat général d’une époque qui accorde plus de valeur aux émotions qu’aux idées, aux ressentis qu’aux arguments. Les plus malins savent en tirer profit. Une époque qui, en érigeant l’affect en juge de paix, nous condamne à « liker ». On déversera, avec Philippe Muray, tout le reste dans la « cage aux phobes » : « S’il y a quelque chose qui marche très fort en ce moment , et qui marchera de plus en plus, au fur et à mesure que l’espèce humaine exigera d’être aimée sans conditions, dans toutes ses « différences » devenues autant de mini-impérialismes, dans ses plus petites particularités et ses moindres caprices, c’st la chasse aux phobes. » (Philippe Muray, Exorcismes spirituels, III).
  • Mais les raisons pour lesquelles nous en sommes arrivés là ne sont pas fortuites. L’apologie de la sensibilité différentielle a été théorisée par la gauche divine en mal d’idées. Divine car du côté du cœur et des bons sentiments. Divinement émotionnelle et affective. Cette gauche pentecôtiste et farouchement anti-platonicienne. La gauche œcuménique et phobophile qui a transformé la culture en un vaste horizon de produits soustraits au système du jugement. Cette gauche-là qui a trahi la portée critique de ses prédécesseurs. Derrière le discrédit qui frappe aujourd’hui la pensée critique, ce qui est en jeu n’est autre que la sanctuarisation du sensible. La caverne peut être aménagée, à condition bien sûr que chacun apporte un peu de son ressenti. Le Jack languisme est un troglodisme du cœur, rupestre et design. Une phrase de Gilles Deleuze résume à elle seule ce rejet du jugement critique : « Ne jugez pas, expérimentez ». Le philosophe de l’immanence – et quoi de plus immanent que l’affectif – oublia de préciser que toutes les expériences ne se valent pas, que tous les barbouillages n’ont pas la même portée, que certains méritent de recevoir des tomates.
  • Il est impossible de préserver une exigence intellectuelle sans blesser la sottise, sans la juger. L’émotion et la critique ne font pas bon ménage. La rentabilité économique de la première condamne la seconde au silence. Guy Debord, que les inconséquents nomment atrabilaire, résume cela très bien : «Les actuels moutons de l’intelligentsia […] ne connaissent plus que trois crimes inadmissibles, à l’exclusion de tout le reste : racisme, antimodernisme, homophobie.» (Lettre à Michel Bounan du 21 avril 1993). Sur le grand marché du pathos, pour les laineux, le crime le moins admissible est de faire du mal aux autres avec une idée. Celui de ne pas penser a hélas disparu des vitrines. Autrement dit, la valeur des jugements n’est plus qu’une dépendance des expériences émotionnelles de chacun. La défaite de la pensée prend dès lors un tour étrange : l’idée qui ne veut pas du bien à tous doit être fausse et condamnée.
  • Pour protéger des individus intellectuellement affaiblis, l’époque s’en prend aux pensées avec une frénésie qui confine au grotesque. Elle traque ce qui est supposé faire du mal aux autres, lance l’anathème aux noms de la différence et du respect mutuel alors qu’elle entérine l’isolement angoissant des sensibilités matelassées. A l’inverse de l’intelligence critique qui libère de sa charge explosive l’étouffant duvet du moi, l’émotion assigne à résidence. Elle confine. La soi-disant atteinte à la sensibilité est aujourd’hui le fer de lance de la démolition d’un espace politique. Celui-ci suppose que les hommes rendent raison de ce qu’ils pensent avant d’être fiers de ce qu’ils sont. A quand, contre la marche des fiertés, une marche des pensées ? C’est pour cette raison que les appels au respect et au vivre-ensemble dans une situation de conflit idéologique – et non simplement religieux – participent pleinement d’un travail de sape qui place le « je suis comme ça » avant le « je pense ceci », le « vous m’avez blessé » avant le « vous avez tort ». Cette politique de dépolitisation est conforme aux intérêts du marché. Elle consolide un espace économique segmenté offert aux entrepreneurs de l’offense. La gauche divine, qui a pu un temps masquer sous une mousseline empathique les misères de la caverne, redécouvre à son insu les contradictions politiques de la foule sentimentale.

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Publié le 13 février 2015

L’obscurantisme des bons sentiments – respect, tolérance, vivre-ensemble etc.

L’obscurantisme des bons sentiments – respect, tolérance, vivre-ensemble etc.

 

  • On ne compte plus dans l’Education nationale les initiatives étatiques pour faire entrer le respect à l’école, pour promouvoir le vivre-ensemble et la tolérance. Combien de fois ai-je entendu ces discours vides, psalmodiant les mêmes formules à l’occasion de réunions assommantes? Des administratifs somnambules répètent ces capiteux slogans en boucles. L’assemblée se tait, terrorisée par l’évidence de la scansion. Ces discours, ce napalm intellectuel, ne sont pas toujours des discours d’adhésion chez ceux qui les prononcent – j’en ai d’ailleurs connu de bien plus fins que mes voisins de casier – mais des oukases ministériels. Le respect comme mot d’ordre de l’Education nationale. Comme si les professeurs présents devaient avoir en tête, encore et toujours mieux, l’importance « citoyenne » de ne pas se cracher dessus à la récrée. Baisse la tête et écoute la ministre : respects, tolérance, vivre-ensemble, valeurs républicaines et éducatives par excellence. Le respect par exemple, ce label rouge, martelé, scandé, ânonné par les plus ignorants menâtes, a fini par toucher sa cible à défaut de défendre ses potes. Quel élève n’a pas le mot respect à la bouche ? Quel collégien abruti, il y en a, n’a pas intériorisé l’impératif catégorique ? Respecte moi, je te respecterais. « Monsieur, vous me manquez de respect en m’empêchant de parler, comment voulez-vous que je respecte votre parole ! »
  • Mon statut de professeur de philosophie, la relative hauteur de vue de mes collègues, m’ont épargné le pire. Ce qui me revient d’autres horizons est affligeant. L’inculture politique, le déficit sidérant de pensée critique chez nombre d’enseignants, cette nouvelle garde d’éducateurs adaptés, les réduisent à l’impuissance face à ce que devient la litanie du respect chez ceux qui en font réellement usage. « Charlie Hebdo ne respecte pas les gens, il y a des blagues irrespectueuses. » Inutile de rappeler la liberté d’expression : « pourquoi certains comiques passent devant les tribunaux quand d’autres sont canonisés en héros de la liberté d’expression ? » La question, bien que trop soutenue pour ceux qui s’y hasardent, reflète pourtant exactement le sentiment de ces « jeunes de France » qui ululent au respect suivant ainsi les ordres du ministère. Moderne contre moderne, respect contre respect, écrivait Philippe Muray dont je reprends ici la belle formule : minimum respect pour tout ce cirque.
  • La question un peu sérieuse reste en effet celle-ci : comment peut-on promouvoir l’émancipation de l’intelligence dans cette bouillie de respectabilité réciproque, tout ce fatras de sottes directives tolérantistes? Moins un homme est indifférent à la vérité, au bon, au juste, plus il devient intolérant vis-à-vis de ceux dont l’opinion ignore ses exigences. L’idée mérite d’être pensée. L’intolérance de l’esprit, l’irrespect de la pensée en face de la grossière sottise sont des voies de partage et d’élévation de l’homme autrement plus honnêtes et probes que cette tambouille sentimentale dans laquelle le respect serait de droit.
  • Mais je te vois déjà me servir ton Staline : « La calomnie et les manœuvres frauduleuses doivent être stigmatisées, et non transformées en objet de discussion. » Encore faut-il savoir qui subit aujourd’hui la stigmatisation ? Désigner les cibles du lynchage public ? La mauvaise conscience taraude les esprits, intériorisation irréfléchie  qui consiste à substituer au libre usage de la pensée critique un conformisme doctrinal qui enfile les noix creuses du vivre-ensemble, de la tolérance niaise, du respect autocollant. Nous ne subissons pas de plein fouet les conséquences d’un délitement du vivre-ensemble, arrêtons de déconner à pleins tuyaux, mais d’un obscurantisme qui tombe aussi des plus hauts sommets de l’Etat. Je lis un extrait de la lettre datée du 7 janvier 2015 signée Najat Vallaud-Belkacem et lue aux écoliers, collégiens, lycéens de France le lendemain de ce massacre abject : « L’Ecole éduque à la Liberté : la liberté de conscience, d’expression et de choix du sens que chacun donne à sa vie ; l’ouverture aux autres et la tolérance réciproque. » Non, cette vision martelée sous tous les préaux est tronquée. L’Ecole n’éduque pas à la Liberté, voilà un slogan creux s’il n’est assorti d’une exigence de la raison. Il se transformera bien vite en pride individualiste, marche des fiertés et des conneries. Liberté.
  • L’Ecole doit donner à tous les moyens effectifs d’une émancipation de la raison, plutôt à ceux qui en ont la volonté et le courage. Non, l’Ecole n’est pas le lieu de l’ouverture aux autres et du partage des cultures mais celui de la confrontation avec des savoirs qui tirent l’intelligence vers le haut. Non, l’Ecole n’est pas l’espace dans lequel se fécondent les tolérances réciproques dans une partouse œcuménique mais un des derniers bastions dans lequel la tolérance se doit de rester un problème pour l’homme. Ce n’est pas chez Auchan, en salle de muscu ou dans un lieu de culte  que je pourrais trouver l’occasion de faire penser des jeunes hommes sur cette phrase de Louis de Bonald  : « Ainsi, à mesure qu’il y a plus de lumières dans la société, il doit y avoir moins de tolérance  absolue ou d’indifférence sur les opinions. L’homme le plus éclairé serait donc l’homme, sur les opinions, le moins indifférent ou le moins tolérant. » (Mélanges, t. I) Voilà un problème pour le « jeune de France » et le « pote des quartiers » : comment concilier l’exigence de vérité et la défense de ses libertés ? Aucun slogan, aucune caricature simpliste, aucun décret ministériel, aucun humoriste de foire ne peut prendre à sa charge une telle question, l’éclairer, la réfléchir dans un espace où le respect se gagne quand on sort de l’indistinction. L’obscurantisme n’a pas de drapeau.

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Publié le 13 janvier 2015