Réponse à Pierre Mathiot à propos du « grand oral », son bébé informe.
- Ce matin dans le quotidien Sud Ouest, Pierre Mathiot, principal instigateur de la réforme du lycée Blanquer, réforme tant décriée, se voit offrir une pleine page pour vanter les mérites de la nouvelle épreuve terminale au baccalauréat, le fameux « le grand oral ». Sans que l’on sache très bien ce qui vaut à ce nouvel oral une telle épithète, reconnaissons que Pierre Mathiot, en dépit des très nombreuses protestations des élèves, les principaux concernés, des professeurs et des corps d’inspection ne lâche pas son bébé informe.
- Comment peut-on imposer un même cadre à autant de disciplines ? Comment peut-on évaluer avec les mêmes grilles les mathématiques, la littérature en langue anglaise, la philosophie, l’histoire de l’art ou les sciences de la vie et de la terre ? Le tout sans documents, sans supports, debout, devant des professeurs qui peuvent n’avoir aucun rapport avec le sujet choisi ? Pour réaliser cette performance, il faut évidemment évacuer toute discipline et parler « d’une nouvelle compétence » : « le grand oral permet justement de développer une compétence nouvelle, la maîtrise de l’oralité, longtemps négligée. » Une compétence informe, au-dessus de toutes les disciplines, et qui « va ensuite servir aux étudiants dans l’enseignement supérieur, puis leur parcours professionnel. » Pierre Mathiot ne nous explique pas pourquoi cette nouvelle compétence est si utile pour maîtriser, dans le supérieur, les intégrales de Lebesgue, l’oeuvre de Francis Bacon, un texte d’Emmanuel Kant, l’histoire des caprices architecturaux d’Hubert Robert ou les structures cellulaires. Il en serait d’ailleurs incapable car là n’est pas la finalité. Le contenu importe peu quand il s’agit d’envisager la suite « du parcours professionnel. » En un mot, apprendre à se vendre en faisant bon effet. Le contenu ? Quel contenu ?
- « Aujourd’hui, l’étape la plus décisive ce sont les voeux et surtout les réponses sur Parcoursup, qui sont communiquées à partir de fin mai avant le passage du bac ». Fin mai, il ne reste plus que l’épreuve de philosophie, définitivement marginalisée, bonus en 2021, et ce bébé informe, le fameux « grand oral ». Les mêmes qui ont supprimé les épreuves terminales nous expliquent aujourd’hui que tout est joué avant le bac. Nous sommes donc en présence d’une animation terminale qui prépare les entretiens d’embauche sans aucun rapport au sérieux de l’écrit et aux disciplines enseignées. Un exercice qui n’apportera strictement rien aux élèves en vue de leurs études supérieures – bien au contraire, le temps de préparation est un temps perdu pour l’apprentissage des contenus – mais qui a une fonction de dressage social à peine masquée. Position du corps, timbre de la voix, respiration, accroche « sexy », promotion et valorisation. Tout y passe. Des tutoriels sont disponibles sur le site du ministère pour accompagner le singe tout au long de sa formation à cette « nouvelle compétence ». Mathématiques, sciences de la vie et de la terre, littérature, philosophie, économie, peu importe. Le singe est universel et polymorphe. Le modèle est plus explicite encore sur une formation « grand oral » du ministère : une vidéo d’un meeting de Macron, le « président philosophe ». La boucle est bouclée : du bébé informe à la paternité de ce simulacre de fin d’année scolaire.
- Le même qui affirme que tout se joue avant le bac, avec Parcoursup, n’hésite pas à lancer : « je crois beaucoup à la dimension rituelle du bac, à sa signification pour chaque candidat, pour les familles, pour le modèle républicain. » Ce baratin réversible nous enseigne au moins une chose, Pierre Mathiot n’a strictement aucune idée de ce que pourrait être le modèle républicain. Faire le singe dans une épreuve qui ne fait que simuler un entretien d’embauche (la seule utilité que l’on peut reconnaître à l’exercice) n’a rien à voir avec un quelconque modèle républicain. En quoi trier des élèves avec Parcoursup, à partir d’une course aux évaluations dès la première, en fonction de leur établissement d’origine, de lettres de motivation parentales et de stages pistons, avant de leur faire passer une animation terminale qui ne les forme à rien d’autre qu’à faire les singes, relève d’un quelconque « modèle républicain ». Evidemment, il est toujours possible de raconter n’importe quoi, ce dont Pierre Mathiot ne se prive pas. Est-ce un exemple à suivre pour ce fameux « grand oral » ? C’est ce que semble nous dire, en creux, celui qui « a inspiré la réforme du bac ».
- Reste la chute de l’article. Cela nous fait renouer avec le cynisme (plus que l’ironie d’ailleurs) de ces hommes qui, à défaut d’ossature disciplinaire, ont acquis les compétences du caméléon. « J’observe avec un soupçon d’ironie que des syndicats demandent 100% de contrôle continu : quand nous avons recommandé d’introduire une part de contrôle continu dans ce nouveau bac, les protestations étaient virulentes ! » Pierre Mathiot parle bien ici, sans la nommer, de la philosophie, étant entendu que tout le reste est déjà réglé. C’est aussi pour cette raison que nous ne demandons pas l’annulation de l’épreuve mais son respect. Respect de la formation disciplinaire, de l’écrit, du travail, des contenus d’enseignement, de l’instruction. Le modèle « science po » promu n’a pas besoin de disciplines mais de caméléons adaptés à toutes les compétences. Le professeur de philosophie, en tant professionnel de l’oralité et de la communication, se doit désormais d’accompagner l’élève dans son parcours professionnel. Le grand oral n’est qu’une étape. Pour ces quenouilles venteuses, le mot « politiste » ne me paraît pas plus clair, le verbe, le logos, ne sert qu’à ça : se faire une place au soleil. Platon, philosophe, avait déjà remarqué que les petits sophistes, les caméléons de l’heure, parlaient de préférence « près des comptoirs des banquiers » (Hippias Mineur). Aujourd’hui, ils cherchent à faire taire définitivement ceux qui auront encore assez de discipline et de sérieux pour les nommer au milieu de la place publique.