Réponse au contre-révolutionnaire Zemmour
(avec une petite référence au poujadiste anti-républicain Onfray)
- « Monsieur Pena-Ruiz, je ne suis pas comme vous, je ne parle pas au nom de principes universels. Vous connaissez le fameux mot de Joseph de Maistre, je ne connais pas d’homme, je connais des italiens, des anglais, je sais même, grâce à Montesquieu qu’il y a des persans mais je ne connais pas d’homme. Moi, je connais des cultures, je connais des civilisations et donc je parle d’une civilisation. D’où je parle comme disaient les communistes. Deuxièmement, vous dites la laïcité, mais vous ne seriez pas laïque si vous n’étiez pas dans une culture chrétienne et en particulier catholique. C’est uniquement dans le catholicisme que l’on a inventé la séparation du spirituel et du temporel. Dans l’Islam il n’y a pas le mot [laïcité], ça veut dire incroyance et il y a d’autres civilisations, la civilisation chinoise etc., personne n’a la laïcité, les seuls qui aient la laïcité, c’est les catholiques. Le retournement de la Laïcité, c’est la rébellion de la fille contre la mère. Si il n’y a pas de mère, il n’y a pas de fille. […] La laïcité elle naît avant la révolution que cela vous plaise ou non. Elle naît dans le terreau chrétien, catholique et les monarques français font respecter la différence entre le spirituel et le temporel. » (6/11/2019)
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- Eric Zemmour, par d’autres chemins, partage une détestation de la République, celle de Rousseau pas de Macron, que l’on retrouve également dans une partie de la gauche française. Une partie seulement, celle qui voit dans l’Etat républicain le bras armé de la bourgeoisie et qui ne voit que cela. Cette gauche farouchement anti-jacobine, celle qui ne veut rien entendre de « la philosophie de la révolution » pour reprendre la formule de Bernard Groethuysen. Cette gauche qui n’a jamais lu Rousseau et qui ne le lira jamais. Cette gauche parfaitement compatible avec l’arbitraire de l’ordre social à condition que cet ordre ne lui soit pas trop défavorable. Lire des beaux livres révolutionnaires dans des brasseries à la mode lui convient très bien. Cette gauche qui veut l’émancipation politique pour elle et le libre choix pour les autres. Cette gauche qui, malgré ses vaines protestations, ne se donne pas les moyens politiques réels de l’égalité entre les hommes. Pour cette gauche-là, Zemmour est un chiffon utile, un adversaire commode, le faire-valoir de sa bonne conscience. Lui oppose-t-elle l’égalité ? Lui oppose-t-elle la liberté ? Non, elle lui oppose une petite morale, devenue l’anti-racisme ou l’anti-fascisme, au choix. Elle nous sert du Voltaire quand il faudrait convoquer Rousseau. Sans l’avoir lu, elle s’accommode au fond de de Maistre : je ne vois pas des hommes mais des musulmans et des juifs. Parlez-en à Plenel, il s’y connaît. Quant aux chrétiens, cela fait bien longtemps qu’elle ne les voit plus.
- Revenons à Zemmour puisqu’il fait du tapage : la laïcité naîtrait dans le « terreau chrétien, catholique » ? Regardons cela de plus près, avec Rousseau justement. Rousseau ne fait pas profession de foi d’athéisme et c’est pour cette raison que l’Emile est interdit en 1762 quand Du contrat social passe, la même année, presque inaperçu. La profession de foi du vicaire savoyard qui compose un chapitre du livre est un crime de lèse-majesté pour une raison qui peut surprendre : la foi ne s’oppose pas à la raison. C’est justement cela que ne supportera pas Voltaire, le faiseur et le mondain. Mais cette foi n’est pas celle du catholicisme. Dans une République, fut-elle protestante, celle de Genève au début du XVIIIe siècle, être un bon citoyen, c’est être un bon chrétien. Cette association était celle du pouvoir. Pour justifier la domination patriarcale des magistrats de la ville en nombre de plus en plus restreint, une oligarchie de la finance, la soumission à l’autorité cléricale était indispensable. C’est pour cette raison que Rousseau achèvera Du contrat social par un chapitre étonnant consacré à « la religion civile » (Ch.VIII, Liv. IV).
- L’enjeu est bien la fonction politique de la religion plutôt qu’une critique des dogmes de l’église. La laïcité dont parle Zemmour vient de là. Elle naît d’une décision philosophique et politique : celle de comprendre la religion comme une puissance de dépolitisation du peuple. Soumis aux dogmes de l’église, le peuple se retrouve impuissant face aux puissances politiques qui en usent avec cynisme. C’est le sens du mot de Saint-Paul : « Obéissez aux puissances car toute puissance vient de Dieu » (Épître aux romains, ch. XIII). Lorsque Zemmour affirme que « la laïcité naît dans le terreau chrétien, catholique », il nie cette décision philosophique et politique. Pour deux raisons.
- La première, il le dit clairement d’ailleurs, c’est qu’il ne parle pas au nom de principes universels. Zemmour pense bas, c’est une des tares des contre-révolutionnaires. L’élévation de l’esprit, j’ose dire de l’âme, est pour eux toujours suspecte. Cela tombe plutôt bien, ils en sont souvent incapables. Ou comment faire d’une impuissance un argument philosophique. Vous avez là tout Onfray. Les décisions philosophiques et politiques sont pour Zemmour des chimères spéculatives comme le contrat social est pour Onfray (il est très mauvais mais son audience justifie, pardonnez-moi, qu’on le cite deux fois plutôt qu’une) une fiction. Ce qui est, en passant, la thèse de toutes les théories contre-révolutionnaires, lui le petit poujadiste qui se fantasme en tribun de la plèbe avec le soutien des maisons d’éditions les plus dépolitisées.
- La seconde est plus profonde. Zemmour, comme tous les défenseurs d’un patriarcat conservateur et contre-révolutionnaire, affectionne tout ce qui peut dépolitiser le peuple. La thèse d’une guerre de civilisation sert d’ailleurs à cela et elle est portée par tous ceux qui veulent réduire l’activité politique à néant qu’il s’agisse d’intégristes musulmans, chrétiens ou juifs. Il est d’ailleurs notable que Zemmour ne fasse aucune distinction entre christianisme primitif et catholicisme tout en prenant bien soin de ne surtout pas parler du protestantisme. Celui de Thomas Munzer par exemple et de la révolte des paysans au nom de l’égalité et de la justice contre le pouvoir inique de l’Eglise catholique.
- La stratégie de Zemmour est de rabattre la laïcité sur un dogme culturel afin de lui retirer toute prétention à l’universalité. Il fait en cela exactement ce que font les chantres de la « laïcité inclusive » qui pousse des hauts cris, pour les plus enténébrés, contre le « racisme d’Etat » sans prendre le temps ni la peine de distinguer ce qui relève d’une stratégie de dépolitisation opportuniste (Macron) et d’une exigence fondamentale de l’Etat républicain. Cette exigence n’est pas athée, elle est laïque et c’est aussi pour cela qu’elle est révolutionnaire.
- L’athéisme politique n’est pas l’esprit de la République. C’est justement sur ce point fondamental que la droite zemmourienne et la gauche ethno-différentialiste se retrouvent dans une attaque à double front contre la laïcité, autant dire contre la République et son destin révolutionnaire. Le conservatisme patriarcal (on notera la fascination ridicule de Zemmour pour une virilité arabo-musulmane fantasmatique) et le pseudo progressisme dépolitisé de la gauche américaine ont besoin de démolir toute forme de spiritualité laïque. Ce qui fédère un peuple sur une décision à la fois philosophique et politique est autrement plus menaçant pour le confort des uns et des autres que l’athéisme politique et sa bouillie « pro choix » ou la guerre de civilisation qui fera s’affronter le pauvre contre le pauvre. C’est aussi pour cette raison que l’on place aujourd’hui Zemmour en face d’Onfray, deux anti-républicains, deux contre-révolutionnaires. Le premier au service de la grande bourgeoisie, le second au service de son nombril volcanique. Les deux crachent sur Rousseau. En bonne dialectique, je leur retourne, publiquement, leur glaviot.