Conscience laïque (donc critique) contre conscience libérale (donc apolitique)
- Toute politique suppose une anthropologie politique et il n’y a pas d’anthropologie politique sans une décision de principe prise par et sur l’homme. On me demande pourquoi il ne faudrait pas défiler derrière un slogan que je récuse parce qu’il y a aussi des gens bien ? Pour la même raison que l’on ne rompt pas le jeûne par caprice, pour faire plaisir aux copains : question de principe.
- La pensée politique n’a pas pour vocation de constater l’existant mais de produire de la contradiction, en voilà une. La mienne vous déplaît, la vôtre aussi. Est-ce à dire que nous sommes ennemis ? Si vous considérez que l’opposition est un crime, en effet. Si vous estimez qu’il existe un espace politique pour l’énoncer, nous ne sommes qu’adversaires. Nous le sommes pour des raisons politiques, jamais par ressentiment ou esprit de vengeance. Citoyens, nous nous tenons au-dessus de cela. Peut-être avons-nous d’ailleurs un adversaire commun ? Qui sait.
- La conscience libérale refuse l’adversité politique. Pour elle, l’adversité n’est pas politique car elle ignore ce mot. C’est qu’elle juge le monde à la hauteur de son adaptation reptilienne, avec ses clins d’œil et ses malices, certainement pas à hauteur d’homme. Publiquement, on fait commerce. Les idées, les convictions, les engagements ? Cela doit rester dans la petite famille. On susurre. L’impasse de la gauche, une certaine gauche ou ce qu’il en reste, se situe exactement là. On bafouille son solfège mais on préserve les places. Elle ne parvient plus du tout à faire naître publiquement une contradiction réelle, du terrain, incarnée, pas de la pensée qu’elle envoie dans un sens ou dans l’autre entre deux cocktails mondains. La faire naître cette contradiction dans l’espace public et non dans une alcôve entre gens bien.
- Son esprit, au fond, à cette gauche, c’est celui de la conscience libérale qui entérine un individualisme acosmique et une relativisation des valeurs. Celles-ci sont dépolitisées, renvoyées au privé. L’esprit laïque caractérise une autre anthropologie, plus exigeante, une contradiction réelle pour la conscience libérale. Cette contradiction n’est plus spécifiquement de gauche car une partie de la gauche a adopté les codes mondains de la conscience libérale. Elle y a perdu son esprit laïque à savoir porter publiquement le principe de contradiction. La contradiction réelle lui échappe, le terrain, ce que vivent les hommes. Au lieu de cela elle nous sert une morale. Pas la grande, celle qui tombe d’en-haut et qui défie le monde. Non, la petite, la moraline, celle des bons sentiments, celle de l’instinct grégaire qui pousse à se rapprocher de l’autre pour un peu de chaleur entre deux bougies. Oui, tu la vois, c‘est une partie de la gauche aujourd’hui, une grande faiblesse, une trahison de l’esprit, de cette conscience critique, combattante et fidèle. La gauche des perdants pour des décennies.
- Pourtant, il en reste, et des paquets. L’hédonisme libertaire ? Pour eux, non merci. L’égoïsme grégaire ? Sans nous. Le libre choix dans une société liquide ? Nous ne sommes pas là, merci encore. Où sommes-nous ? En face de la conscience libérale dont nous connaissons finement les détours incestueux, la rhétorique liquéfiante, sa bouillie en guise d’horizon avec le profit pour quelques élus, médiocres au demeurant. C’est là une autre forme d’esprit, un peu oublié. Mais prenez garde à l’ancien volcan avec vos petits arrosoirs de faux démocrates. Certes, vous avez avec vous le consensus des masses, produit par une dépolitisation dont vous orchestrez le rythme. Un débat, une émission, un bavardage afin de lisser toutes les formes de contradictions.
- Dans une situation politique inédite, l’opposition gauche-droite découvre une autre opposition, plus profonde : conscience libérale dépolitisée contre conscience laïque. Avant de se situer politiquement, il est bon de revenir au type d’homme dont il question plutôt qu’à la bouillie qu’il est supposé consommer goguenard. C’est exactement là que passera demain le fil à couper le beurre et c’est cette opposition que seule peut reformer un mouvement politique consistant, animé par un esprit laïque, qui est autre chose qu’une marotte que l’on oppose à ceux qui croient en Dieu et qui le font bruyamment savoir. C’est une force politique qui est en train de naître, sous une forme qui doit surprendre les consciences endormies. Vous devinez lesquelles je suppose.