Notes sur la critique et le cas Socrate en Grèce antique

Notes sur la critique et le cas Socrate en Grèce antique

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(Paulin Ismard, L’événement Socrate).

  • L’affaire Socrate ne commence pas, comme le note judicieusement Paulin Ismard dans L’événement Socrate précisément en 399 av J-C, après qu’un citoyen, Mélétos, se soit rendu au Stoa Basileios (le portique royal), afin d’intenter un procès, devant l’archonte-roi, une action judiciaire contre un citoyen très connu du nom de Socrate accusé d’impiété, d’introduire de nouvelles divinités et de corrompre la jeunesse. Dominée par la présentation faite par Platon dans l’Apologie de Socrate – importance d’Aristophane et de la rumeur, Nuées, -423 – cette approche du problème, intra-philosophique, sous-estime, ajoute Ismard l’importance de la littérature postérieure sur le sujet. Car Platon répond moins à Aristophane qu’il s’inscrit dans un champ conflictuel : les logoï socratikoï. Vers 393-385 Polycrate publie Kategoria Sokratous (Accusation contre Socrate). Texte connu de Xénophon et Isocrate. Certains historiens pensent qu’il s’agit de l’acte d’accusation de Mélétos.

  • L’originalité de la thèse défendue par Polycrate (distincte de celle classique que l’on retrouve chez Platon) est de centrer l’analyse sur la dimension politique du procès en écartant les questions religieuses secondaires. Polycrate insiste sur le lien entre Socrate et Alcibiade et quelques acteurs du régime des Trente, Critias en particulier. Lysias répondra à cet acte d’accusation dans son Apologia et Xénophon dans les Mémorables. Cette controverse traverse tout le IVe siècle. Un élève de Polycrate, Zeïlos d’Amphipolis rédige un Contre Platon. Le texte de Polycrate inaugure un genre qui regroupe environ 300 ouvrages. Hélas, peu de fragments nous sont parvenus. Les textes de Xénophon et Platon dominent. D’autant que la part de fiction est importante. La littérature juridique grecque est avant tout littérature et fiction. Les logographes du IVe siècle s’inspirent du procès de Socrate, certains, tels Isocrate imaginent même un destin commun avec le philosophe. Sur l’échange d’Isocrate reprend certains topoï de l’Apologie de Socrate de Platon.

  • L’ampleur de ce mouvement nous incite à faire du procès de Socrate un événement critique révélateur des fondements du consensus démocratique en Grèce antique. La question est de savoir pourquoi Socrate a-t-il pu constituer une menace pour les athéniens – car il s’agit bien de l’unique procès pour délit d’opinion en Grèce antique. Question d’autant plus troublante que l’agôn logon, la lutte des discours est admise en Grèce antique comme une condition essentielle et irréductible de l’activité politique.

 

  • Parmi les éléments déterminants de la culture grecque au Veme siècle Av J-C, il faut certainement mettre au premier la plan la culture agonale. Il s’agit d’un élément essentiel du politique à Athènes aux Ve-IVe. « L’esprit de compétition », écrit Elsa Bouchard, « est aspect emblématique de la culture en Grèce antique » (776 Av. J-C premiers jeux olympiques). Le mot est très ancien, déjà présent chez Homère qui parle de Theion-agôna, Iliade, 7, 298. Il s’agit de la compétition de 12 dieux réunis dans une même salle. Cette rivalité est pensée en termes de jeux – surpasser un tiers dans un ensemble de règles. Dans tous les cas de figures, l’agôn logon est le conflit qui se règle au moyen de la parole. (réf. René Girard, La violence et le sacré / Roger Caillois, Les jeux et les hommes). Cet agôn est l’arche protê de l’esprit de compétition en Grèce antique. Il a un sens judiciaire clairement établi : faire triompher sa cause dans un procès. Autrement dit, le procès est le test agonal par excellence. Cette dimension se retrouve chez Protagoras, Antilogia, lutte éristique ou approfondissement dialectique. N’oublions pas les dialogues de Platon ne sont pas des discussions mais des combats qui peuvent mal tourner (ex. Calliclès dans le Gorgias). On peut défendre l’idée que l’agôn théâtralo est situé à mi-chemin entre l’agôn somatikos et l’agôn logon. L’agôn nécessite enfin un lieu, un espace : arène, stade, prétoire, agora. Circulaire de préférence. Les spectateurs sont les souffrants : hoitheomenoi. L’enjeu est de nature mimétique (René Girard, La violence et le sacré). L’agôn n’est pas la conflictualité épidermique, la critique superficielle, mais une « lutte à mort ». L’agôn logon est cohérent. Sa fonction est d’éclaircir afin de nous sortir « de l’océan sans fond de la dissemblance ». (Platon, Parménide, 142.c). C’est ici que l‘agôn est la fonction critique de la pensée se recoupent. Nous y reviendrons. Il ne peut y avoir éclaircissement de la pensée sans lutte. Celle-ci permet d’échapper à la mise en demeure, à l’assignation à résidence. Cette lutte peut être mise en scène, comme c’est le cas dans la conception de la tragédie chez Aristote. Aristote, Poétique, 1449b : « La tragédie est une imitation qui est faite par des personnages en action et non au moyen d’un récit et qui, suscitant pitié et crainte, opère la purgation (katharsin) propre à de telles émotions. »

  • Cet esprit de compétition ne vise pas la domination mais l’excellence, cette valeur supérieure nommée arête. Cette excellence correspond à une quête aristocratique devant ses pairs. Cette culture agonale venue de la Grèce archaïque est essentielle à la compréhension du Ve siècle. Le mot agôndu grec agein – signifie mettre en mouvement, diriger, conduire. D’un point de vue conceptuel, « l’agôn peut être défini comme une propension à créer des rapprochements entre des options diverses qui se prêtent, sous un regard critique, à l’épreuve de la comparaison. » Ce geste critique précède la grande figure critique du Ve siècle, Socrate. On en retrouve la trace chez Hérodote avec le concept d’enquête – historia ou chez Héraclite – polemos – le principe actif et universel par excellence. Quant aux sophistes, ils pratiquent l’antilogia, le renversement des thèses symétriquement opposées. Ainsi Jacqueline de Romilly dans Les grands sophistes dans l’Athènes de Périclès parle d’une « critique radicale » de toutes les croyances. En cela, la première impulsion de la pensée offensive vient de la pensée sophistique à la quelle la philosophie (Platon, Aristote) devra répondre désormais. Ce geste critique fondamental est, pour de Romilly, originairement plus essentiel que ce que l’on retient de la philosophie de Platon.

  • L’agôn-logon est celui d’un tribunal des idées, d’une fonction de test (chez Platon l’amphidromie, présentation des idées, pose la question philosophique : les idées sont-elles viables?). Ces tribunaux critiques, qui ne sont pas sans une forme de violence symbolique acceptée, font partie intégrante du consensus démocratique athénien et on ne peut pas les réduire aux réfutations socratiques. Le terme critique n’est pas précisément fixé au Ve-IVe siècle. Aristote, Poétique, I, l’associe aux « poètes vulgaires » (1448b). Autrement dit, la critique représente avant tout le vil, le vulgaire, la laideur. Elle contredit le bel ordonnancement du monde. La critique, c’est le cosmos à l’envers. Dans cette perspective, il faut resituer le geste critique dans une dimension autrement plus large que la seule « critique rationnelle » des philosophes. L’injure (psogos) ou le blâme font partie de cette dimension agonale, plus large que la seule « critique ». Les critiques agonistiques n’étaient pas masquées ou cachées. Curieusement, les critiques les plus acerbes étaient offertes au public dans la Cité, placées au centre du dispositif démocratique. Les notions de « licence », de « liberté » voire même de « critique » ne sont pas des catégories toujours pertinentes pour rendre raison de la parole publique en Grèce antique.

  • Socrate est condamné à mort dans un contexte où les procès en diffamation (dike kakegoria) et le procès public pour outrage (graphe hubreos) sont rares et ne conduisent pas à des condamnations à mort. Il existe des règles tacites (ne pas faire outrage aux morts, ne pas accuser un homme su métier qu’il exerce sur le marché). Il est aussi certains que les rites dionysiaques bénéficiaient d’une faveur particulière. Il semble que l’antiquité ait été particulièrement tolérante sur les questions de satire publique et de réception de la satire. Ainsi Plutarque, De l’éducation des enfants : « Socrate, à la question de savoir s’il acceptait les insultes ! Ma foi pas du tout ! Quand on se moque au théâtre c’est comme un grand banquet. » Une remarque qui prend le contre-pied de ce que dit Socrate dans l’Apologie à propos de la rumeur et des pièces de comédie. Pour Aristophane, la liberté est posée comme une condition du discours. Ainsi dans les Nuées : « Spectateurs, c’est en toute liberté que je vais vous expliquer la vérité, je le jure par Dionysos qui m’a élevé. » (518-519). Socrate en appelle aussi à la vérité mais comme exigence, pas simplement comme une condition. Ce droit fondamental, c’est celui de la parrhesia. Poussé jusqu’à ses limites, ce droit permet à celui qui en use de pratiquer la critique, l’injure, l’insolence en toutes circonstances. Dès lors, la question se pose de l’ambivalence de l’insolence et avec elle des limites de la critique et avec elle de la parrhesia. Cette limite n’est pas codifiée, elle relève d’un ethos critique lui-même résultat d’une éducation. Dissocier l’ethos de la critique c’est être incapable de trancher entre l’impudence et la liberté inaliénable du jugement. Ainsi, Aristophane se targue de faire « les plaisanteries les plus fines ». (Paix, 750) il en va de toute une construction sociale du regard qui rattache à cette tradition de la honte. Comme l’explique Xénophon dans les Mémorables, réfuter quelqu’un (elenkhos) c’est aussi lui faire honte de mal penser. Mais cette honte contre soi-même n’est pas dépréciative. Honte de ne pas être à la hauteur de ce que l’on pourrait être. Nous retrouvons ici le principe de l’arête, de l’excellence qui peut apparaître au terme de la lutte, de l’agôn logon. Pierre Bourdieu reprend ce point lorsqu’il parle de la critique comme d’un « effet d’épinglage ». De ce point de vue, la critique est un art premier au sens où elle est créatrice d’une culture. Il s’agit toujours de limiter la démesure (hubris). Les poètes ont en cela, par la mise en scène d’une critique, une fonction sociale de limitation de la démesure publique, un rôle régulateur. Équilibre particulièrement instable, rompu dans le cas de Socrate, mais nécessaire au consensus démocratique athénien. D’un côté time, le courage d’une liberté franche et publiquement exercée ; de l’autre l’hubris. Le graphe hubreos, au sens le plus strict, est un agôn logon pour limiter la démesure dans un régime qui ne fixe aucune règle a priori aux expressions de la critique. Au sens que Castoriadis donna à ce mot, il s’agit bien d’une auto-limitation de la société par elle-même. Sans cette auto-limitation, il ne saurait y avoir ni politique ni démocratie. Paradoxalement, Aristophane dans les Nuées met sur le même plan le fait d’aller au bain et de se défendre contre les railleries. Il faut les accepter car elles délimitent la place de l’individu dans la cité. En ce sens, la critique publique fonctionne comme une régulation sociale. C’est pour cette raison que les skommata ne sont pas poursuivis en justice. Il font partie intégrante de la vie politique. On distingue donc deux logiques : l’injure qui a une portée rituelle avec une omniprésence de l’élément sexuel et scatologique (aischologia) ; et celle qui a une portée politique. Le procès de Socrate montre à quel point la critique politique est autrement plus intolérable que la critique ritualisée qui peut servir à soutenir des thèses conservatrices – c’est le cas d’Aristophane contre les réformateurs culturels que sont les sophistes, voir texte de Critias, Sextus Empiricus, Contre les savants.

Réponse au contre-révolutionnaire Zemmour (avec une petite référence au poujadiste anti-républicain Onfray)

Réponse au contre-révolutionnaire  Zemmour

(avec une petite référence au poujadiste anti-républicain Onfray)

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  • « Monsieur Pena-Ruiz, je ne suis pas comme vous, je ne parle pas au nom de principes universels. Vous connaissez le fameux mot de Joseph de Maistre, je ne connais pas d’homme, je connais des italiens, des anglais, je sais même, grâce à Montesquieu qu’il y a des persans mais je ne connais pas d’homme. Moi, je connais des cultures, je connais des civilisations et donc je parle d’une civilisation. D’où je parle comme disaient les communistes. Deuxièmement, vous dites la laïcité, mais vous ne seriez pas laïque si vous n’étiez pas dans une culture chrétienne et en particulier catholique. C’est uniquement dans le catholicisme que l’on a inventé la séparation du spirituel et du temporel. Dans l’Islam il n’y a pas le mot [laïcité], ça veut dire incroyance et il y a d’autres civilisations, la civilisation chinoise etc., personne n’a la laïcité, les seuls qui aient la laïcité, c’est les catholiques. Le retournement de la Laïcité, c’est la rébellion de la fille contre la mère. Si il n’y a pas de mère, il n’y a pas de fille. […] La laïcité elle naît avant la révolution que cela vous plaise ou non. Elle naît dans le terreau chrétien, catholique et les monarques français font respecter la différence entre le spirituel et le temporel. » (6/11/2019)

………….

 

  • Eric Zemmour, par d’autres chemins, partage une détestation de la République, celle de Rousseau pas de Macron, que l’on retrouve également dans une partie de la gauche française. Une partie seulement, celle qui voit dans l’Etat républicain le bras armé de la bourgeoisie et qui ne voit que cela. Cette gauche farouchement anti-jacobine, celle qui ne veut rien entendre de « la philosophie de la révolution » pour reprendre la formule de Bernard Groethuysen. Cette gauche qui n’a jamais lu Rousseau et qui ne le lira jamais. Cette gauche parfaitement compatible avec l’arbitraire de l’ordre social à condition que cet ordre ne lui soit pas trop défavorable. Lire des beaux livres révolutionnaires dans des brasseries à la mode lui convient très bien. Cette gauche qui veut l’émancipation politique pour elle et le libre choix pour les autres. Cette gauche qui, malgré ses vaines protestations, ne se donne pas les moyens politiques réels de l’égalité entre les hommes. Pour cette gauche-là, Zemmour est un chiffon utile, un adversaire commode, le faire-valoir de sa bonne conscience. Lui oppose-t-elle l’égalité ? Lui oppose-t-elle la liberté ? Non, elle lui oppose une petite morale, devenue l’anti-racisme ou l’anti-fascisme, au choix. Elle nous sert du Voltaire quand il faudrait convoquer Rousseau. Sans l’avoir lu, elle s’accommode au fond de de Maistre : je ne vois pas des hommes mais des musulmans et des juifs. Parlez-en à Plenel, il s’y connaît. Quant aux chrétiens, cela fait bien longtemps qu’elle ne  les voit plus.

 

  • Revenons à Zemmour puisqu’il fait du tapage : la laïcité naîtrait dans le « terreau chrétien, catholique » ? Regardons cela de plus près, avec Rousseau justement. Rousseau ne fait pas profession de foi d’athéisme et c’est pour cette raison que l’Emile est interdit en  1762 quand Du contrat social passe, la même année, presque inaperçu. La profession de foi du vicaire savoyard  qui compose un chapitre du livre est un crime de lèse-majesté pour une raison qui peut surprendre : la foi ne s’oppose pas à la raison. C’est justement cela que ne supportera pas Voltaire, le faiseur et le mondain. Mais cette foi n’est pas celle du catholicisme. Dans une République, fut-elle protestante, celle de Genève au début du XVIIIe siècle, être un bon citoyen, c’est être un bon chrétien. Cette association était celle du pouvoir. Pour justifier la domination patriarcale des magistrats de la ville en nombre de plus en plus restreint, une oligarchie de la finance, la soumission à l’autorité cléricale était indispensable. C’est pour cette raison que Rousseau achèvera Du contrat social par un chapitre étonnant consacré à « la religion civile » (Ch.VIII, Liv. IV).

 

  • L’enjeu est bien la fonction politique de la religion plutôt qu’une critique des dogmes de l’église. La laïcité dont parle Zemmour vient de là. Elle naît d’une décision philosophique et politique : celle de comprendre la religion comme une puissance de dépolitisation du peuple. Soumis aux dogmes de l’église, le peuple se retrouve impuissant face aux puissances politiques qui en usent avec cynisme. C’est le sens du mot de Saint-Paul : « Obéissez aux puissances car toute puissance vient de Dieu » (Épître aux romains, ch. XIII). Lorsque Zemmour affirme que « la laïcité naît dans le terreau chrétien, catholique », il nie cette décision philosophique et politique. Pour deux raisons.

 

  • La première, il le dit clairement d’ailleurs, c’est qu’il ne parle pas au nom de principes universels. Zemmour pense bas, c’est une des tares des contre-révolutionnaires. L’élévation de l’esprit, j’ose dire de l’âme, est pour eux toujours suspecte. Cela tombe plutôt bien, ils en sont souvent incapables. Ou comment faire d’une impuissance un argument philosophique. Vous avez là tout Onfray. Les décisions philosophiques et politiques sont pour Zemmour des chimères spéculatives comme le contrat social est pour Onfray (il est très mauvais mais son audience justifie, pardonnez-moi, qu’on le cite deux fois plutôt qu’une) une fiction. Ce qui est, en passant, la thèse de toutes les théories contre-révolutionnaires, lui le petit poujadiste qui se fantasme en tribun de la plèbe avec le soutien des maisons d’éditions les plus dépolitisées.

 

  • La seconde est plus profonde. Zemmour, comme tous les défenseurs d’un patriarcat conservateur et contre-révolutionnaire, affectionne tout ce qui peut dépolitiser le peuple. La thèse d’une guerre de civilisation sert d’ailleurs à cela et elle est portée par tous ceux qui veulent réduire l’activité politique à néant qu’il s’agisse d’intégristes musulmans, chrétiens ou juifs. Il est d’ailleurs notable que Zemmour ne fasse aucune distinction entre christianisme primitif et catholicisme tout en prenant bien soin de ne surtout pas parler du protestantisme. Celui de Thomas Munzer par exemple et de la révolte des paysans au nom de l’égalité et de la justice contre le pouvoir inique de l’Eglise catholique.

 

  • La stratégie de Zemmour est de rabattre la laïcité sur un dogme culturel afin de lui retirer toute prétention à l’universalité. Il fait en cela exactement ce que font les chantres de la « laïcité inclusive » qui pousse des hauts cris, pour les plus enténébrés, contre le « racisme d’Etat » sans prendre le temps ni la peine de distinguer ce qui relève d’une stratégie de dépolitisation opportuniste (Macron) et d’une exigence fondamentale de l’Etat républicain. Cette exigence n’est pas athée, elle est laïque et c’est aussi pour cela qu’elle est révolutionnaire.

 

  • L’athéisme politique n’est pas l’esprit de la République. C’est justement sur ce point fondamental que la droite zemmourienne et la gauche ethno-différentialiste se retrouvent dans une attaque à double front contre la laïcité, autant dire contre la République et son destin révolutionnaire. Le conservatisme patriarcal (on notera la fascination ridicule de Zemmour pour une virilité arabo-musulmane fantasmatique) et le pseudo progressisme dépolitisé de la gauche américaine ont  besoin de démolir toute forme de spiritualité laïque. Ce qui fédère un peuple sur une décision à la fois philosophique et politique est autrement plus menaçant pour le confort des uns et des autres que l’athéisme politique et sa bouillie « pro choix » ou la guerre de civilisation qui fera s’affronter le pauvre contre le pauvre. C’est aussi pour cette raison que l’on place aujourd’hui Zemmour en face d’Onfray, deux anti-républicains, deux contre-révolutionnaires. Le premier au service de la grande bourgeoisie, le second au service de son nombril volcanique. Les deux crachent sur Rousseau. En bonne dialectique, je leur retourne, publiquement, leur glaviot.

 

 

La souveraineté et les libéraux gagne-petit

La souveraineté et les libéraux gagne-petit

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(Jacques Attali en train de rémouler une énième critique de la souveraineté du peuple pour le nouveau prince)

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  • Il n’y a pas de souveraineté sans volonté générale et l’objet de la volonté générale reste l’intérêt général. De tous bords, les libéraux se sont toujours échinés à démontrer que cet objet n’existait pas, que l’intérêt général était une fiction de l’esprit, un mirage. Ce rejet est à ce point essentiel qu’il pourrait servir de définition : le libéralisme économique part du principe que l’accord de tous les intérêts consiste à la préservation de l’intérêt de chacun. C’est le gagnant gagnant de façade,  démenti dans les faits. A l’inverse, une théorie politique de la souveraineté part du principe que nous devons tous perdre quelque chose pour pouvoir gagner à un autre niveau qui est justement celui de l’intérêt général. Nous n’avons pas tous la même chose à perdre, un œil pour les uns, la suppression de l’ISF pour les autres, mais il y a toujours quelque chose à perdre si l’on veut faire gagner la République pour tous.

 

  • « L’accord de tous les intérêts, écrit Rousseau dans du Contrat social (1762), se forme par opposition à celui de chacun. » Cela suppose que chacun soit capable de dépasser son intérêt propre sous l’égide de l’intérêt général car l’intérêt général est un intérêt bien compris. Les libéraux ne comprennent pas ce concept car ils n’en font qu’une lecture économique : il n’y aurait d’intérêts qu’économiques. Ainsi compris, l’intérêt se pluralise en autant d’intérêts particuliers qu’il y a d’acteurs économiques. Les libéraux rejettent la notion d’intérêt général car ils refusent l’idée que des citoyens puissent défendre autre chose que leurs intérêts particuliers. Leur anthropologie mesquine, au ras des pâquerettes, ne permet pas une telle grandeur. Ce sont des gagne-petit, ne l’oublions jamais.

 

  • Les libéraux adorent ce mot : corporatisme. En ce sens, le mouvement des gilets jaunes aura été pour eux un très beau camouflet : des citoyens ont formé des cercles visibles (l’image du rond-point est parfaite) afin de se former une opinion politique au-delà de leurs intérêts particuliers. Ils se sont transformés aussi. La hauteur de vue qui a pu en ressortir va très au-delà (ce que le gouvernement a toujours nié) des revendications corporatistes. Il est tout à fait cocasse d’entendre des agents spécialisés du spectacle accuser de corporatisme des femmes et des hommes parlant de politique des heures durant dans le froid au bord des routes. Obscène peut convenir aussi. Ou minable, au choix.

 

  • La notion d’intérêt général qui n’est pas sans rapport avec celle de bien public est étrangère à la distinction entre ce que serait le peuple et les fameuses « élites ». Cette opposition est pourtant au centre des thèses populistes ; elle ne l’est pas pour ceux qui défendent des souverainistes. La souveraineté suppose que les particuliers se vivent avant tout comme citoyens. C’est certainement là que se fait le lien entre les conditions réelles d’existence, le déclassement social, la pauvreté et cette prise de conscience qui se construit avec les mouvements citoyens. Le citoyen c’est aussi l’homme qui se bat pour faire valoir ses droits en face à ceux qui ne font qu’exiger des devoirs.

 

  • Pour se vivre citoyen, il est indispensable de rentrer dans une dynamique de groupe, sous un autre régime que celui de la privatisation. « L’ego grégarisé » (Dany-Robert Dufour) du marché sans tête en est incapable. Les maigres bénéfices de conformité de ces capsules humaines ont suffit par les dépolitiser totalement tout en leur faisant croire que la politisation collective était une chimère inutile, une perte de temps et forcément d’argent. Pour ces libéraux atomisés, fussent-ils eux mêmes déclassés, la grammaire du moi et du toi est celle d’un face à face jamais d’un côte à côte. Les libéraux promeuvent l’individu agent économique avant de le penser citoyen d’une République. Ce sont aussi des pense-bas, ne l’oublions jamais.

 

  • A partir de ces considérations générales, il est possible de préciser ce qu’est la souveraineté contre les gagne-petit : une exigence politique, celle de vouloir être citoyen dans le cadre institué d’une République forcément limitée. Citoyen du monde, cela ne veut rien dire. C’est être citoyen de rien, vouloir une chose et son contraire, la Cité et sa disparition dans des causes planétaires. L’Etat-nation, à notre échelle, peut être ce cadre. Mais cette exigence ne vient pas de rien, elle se renforce au contact de la souffrance, de l’exclusion sociale, de l’injustice et de la pauvreté quand celle-ci laisse encore l’esprit suffisamment libre pour pouvoir s’en affranchir en idées. La souveraineté du peuple ne sera jamais l’expression directe d’une colère mais une construction politique lucide qui s’origine dans une force qui ne se réduit pas à quelques déterminations économiques. Elle suppose une République, autrement dit une force instituée qui soit capable, dans le sens de l’intérêt général, de faire plier la volonté particulière des gagne-petit qui la menacent.

 

  • L’opposition fondamentale ne se trouve pas par conséquent entre le peuple et les élites, comme le postule la thèse populiste, qu’elle soit de gauche ou de droite, mais entre les citoyens et les ennemis de la souveraineté et de la République. Le problème est moins l’élite que sa nature. Jacques Attali, un ennemi déclaré de la souveraineté républicaine, mentor du président banquier fossoyeur de l’intérêt général, ne s’y trompe pas : le souverainisme serait un fascisme, pire, un antisémitisme. La panique morale de ces gagne-petit et de ces pense-bas (car on peut être en bas et penser très haut, être tout en haut et penser au plus bas) est inversement proportionnelle à la force qui vient : une refondation de la souveraineté depuis trop longtemps foulée aux pieds par des petits hommes qui n’ont pour autres arguments à faire valoir que les bénéfices de leur conformité et les lourdes chaînes qui vont avec.

Conscience laïque (donc critique) contre conscience libérale (donc apolitique)

Conscience laïque (donc critique) contre conscience libérale (donc apolitique)

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  • Toute politique suppose une anthropologie politique et il n’y a pas d’anthropologie politique sans une décision de principe prise par et sur l’homme. On me demande pourquoi il ne faudrait pas défiler derrière un slogan que je récuse parce qu’il y a aussi des gens bien ? Pour la même raison que l’on ne rompt pas le jeûne par caprice, pour faire plaisir aux copains : question de principe.

 

  • La pensée politique n’a pas pour vocation de constater l’existant mais de produire de la contradiction, en voilà une. La mienne vous déplaît, la vôtre aussi. Est-ce à dire que nous sommes ennemis ? Si vous considérez que l’opposition est un crime, en effet. Si vous estimez qu’il existe un espace politique pour l’énoncer, nous ne sommes qu’adversaires. Nous le sommes pour des raisons politiques, jamais par ressentiment ou esprit de vengeance. Citoyens, nous nous tenons au-dessus de cela. Peut-être avons-nous d’ailleurs un adversaire commun ? Qui sait.

 

  • La conscience libérale refuse l’adversité politique. Pour elle, l’adversité n’est pas politique car elle ignore ce mot. C’est qu’elle juge le monde à la hauteur de son adaptation reptilienne, avec ses clins d’œil et ses malices, certainement pas à hauteur d’homme. Publiquement, on fait commerce. Les idées, les convictions, les engagements ? Cela doit rester dans la petite famille. On susurre. L’impasse de la gauche, une certaine gauche ou ce qu’il en reste, se situe exactement là. On bafouille son solfège mais on préserve les places. Elle ne parvient plus du tout à faire naître publiquement une contradiction réelle, du terrain, incarnée, pas de la pensée qu’elle envoie dans un sens ou dans l’autre entre deux cocktails mondains. La faire naître cette contradiction dans l’espace public et non dans une alcôve entre gens bien.

 

  • Son esprit, au fond, à cette gauche, c’est celui de la conscience libérale qui entérine un individualisme acosmique et une relativisation des valeurs. Celles-ci sont dépolitisées, renvoyées au privé. L’esprit laïque caractérise une autre anthropologie, plus exigeante, une contradiction réelle pour la conscience libérale. Cette contradiction n’est plus spécifiquement de gauche car une partie de la gauche a adopté les codes mondains de la conscience libérale. Elle y a perdu son esprit laïque à savoir porter publiquement le principe de contradiction. La contradiction réelle lui échappe, le terrain, ce que vivent les hommes. Au lieu de cela elle nous sert une morale. Pas la grande, celle qui tombe d’en-haut et qui défie le monde. Non, la petite, la moraline, celle des bons sentiments, celle de l’instinct grégaire qui pousse à se rapprocher de l’autre pour un peu de chaleur entre deux bougies. Oui, tu la vois, c‘est une partie de la gauche aujourd’hui, une grande faiblesse, une trahison de l’esprit, de cette conscience critique, combattante et fidèle. La gauche des perdants pour des décennies.

 

  • Pourtant, il en reste, et des paquets. L’hédonisme libertaire ? Pour eux, non merci. L’égoïsme grégaire ? Sans nous. Le libre choix dans une société liquide ? Nous ne sommes pas là, merci encore. Où sommes-nous ? En face de la conscience libérale dont nous connaissons finement les détours incestueux, la rhétorique liquéfiante, sa bouillie en guise d’horizon avec le profit pour quelques élus, médiocres au demeurant. C’est là une autre forme d’esprit, un peu oublié. Mais prenez garde à l’ancien volcan avec vos petits arrosoirs de faux démocrates. Certes, vous avez avec vous le consensus des masses, produit par une dépolitisation dont vous orchestrez le rythme. Un débat, une émission, un bavardage afin de lisser toutes les formes de contradictions.

 

  • Dans une situation politique inédite, l’opposition gauche-droite découvre une autre opposition, plus profonde : conscience libérale dépolitisée contre conscience laïque. Avant de se situer politiquement, il est bon de revenir au type d’homme dont il question plutôt qu’à la bouillie qu’il est supposé consommer goguenard. C’est exactement là que passera demain le fil à couper le beurre et c’est cette opposition que seule peut reformer un mouvement politique consistant, animé par un esprit laïque, qui est autre chose qu’une marotte que l’on oppose à ceux qui croient en Dieu et qui le font bruyamment savoir. C’est une force politique qui est en train de naître, sous une forme qui doit surprendre les consciences endormies. Vous devinez lesquelles je suppose.

La marche contre l’islamophobie et le bobo de service

La marche contre l’islamophobie et la gauche liquide

  • Inutile de revenir sur l’assemblage hétéroclite des signataires de la tribune qui appelle à manifester contre l’islamophobie le 10 novembre 2019 à Paris. Laissons la chasse aux sorcières à ceux qui usent de l’anathème « islamophobe » pour ne pas penser le problème politique dont il est question et cette marche pose un problème politique, le problème politique de la gauche plus que celui de l’Islam en France.

 

  • La question posée, derrière le grand barnum, est de savoir si le modèle communautariste anglo-saxon peut prendre en France. Cette question mérite pourtant d’être reformulée tant le mot « communautariste » manque de précision. Il s’agit plutôt d’évaluer quelle relation le politique entretient avec la société. Autrement dit, vivons-nous dans une société civile avant de vivre dans une société politique ou est-ce l’inverse ? C’est bien cela la question de fond, c’est aussi cela qu’une partie de la gauche française ne veut surtout pas penser, barbotant dans le social très loin du politique.

 

  • Après tout, qu’importe le voile dans les sorties scolaires si la mère est disponible pour accompagner les élèves – un préalable est d’en finir avec les mots régressifs qui piègent la réflexion politique, « maman », « enfant » ? La question peut-être formulée autrement : pour quelle raison l’éducation nationale a-t-elle de besoin de mères (et pourquoi pas de pères ?) pour accompagner les élèves lors des sorties scolaires ? Ce mélange n’a pas lieu d’être. L’école de la République doit être capable d’encadrer des sorties scolaires sans avoir recours à des mères (ou des pères, j’insiste) d’élèves. Pas d’encadrement, pas de sortie. Au ministère de rendre des comptes de sa politique éducative à ceux qu’il lèse par cynisme. Curieusement, rares sont ceux qui posent la question en ces termes. Tous semblent entériner le fait que la sortie scolaire est une sortie hors de l’école de la République étant entendu que les parents n’ont pas à entrer dans les salles de classe, que la fameuse société civile n’a pas à faire intrusion dans l’institution scolaire qui est avant tout une institution politique sérieuse et pas une zone de stabulation bouffonne ouverte aux quatre vents du grand marché relativiste.

 

  • Nous mesurons déjà à quel point les positions divergent sur ce que doit être l’école de la République. Pour moi, un lieu d’exigence. Exigence qui s’impose à tous, aux personnels de l’éducation nationale, aux professeurs, aux élèves, aux parents d’élèves qui ne sont pas les clients d’un service à la personne. Cette exigence suppose une tenue, une attitude, une rigueur pour soi et pour les autres. Dire cela, ce n’est pas être de « droite » ou « réactionnaire » comme le répètent en boucle des imbéciles, de sombres crétins qui tiennent à peine débout. Comment voulez-vous exiger quoi que ce soit au milieu d’un hall de gare ? Comment élever qui que ce soit (l’ambition n’étant pas de rester vautrer en attendant que cela se passe) sans exigences ? Exigence de travail, d’engagement, de rectitude, exigence de moyens aussi. Autant de mots en passe de devenir grossiers. Sans exigences instituées, l’homme, tout homme, se liquéfie. D’où le religieux pour le rappel à l’ordre.

 

  • Nous ne prêtons pas attention aux mots. Que signifie « pratique rigoriste d’une religion » si ce n’est une forme d’exigence que l’on s’impose ? Mais pourquoi cette exigence devrait-elle en passer par le religieux ? Comment se fait-il que nous acceptions le rigorisme du religieux tout en repoussant systématiquement toute forme d’exigence politique ? Pour quelle raison ceux qui se soumettent à la loi de leur Dieu réclament de droit l’insoumission contre la République ? Et comment voulez-vous faire valoir une exigence politique quand un politique véreux préside l’Assemblée nationale ? Voyez-vous le problème ici posé ?

 

  • La pensée républicaine est portée par une exigence que nous avons fini par oublier, une exigence de et pour l’homme. La gauche sans exigence, sans verticalité, la gauche couchée, c’est la gauche de toutes les défaites, de toutes les trahisons. Voilà ce qu’est aujourd’hui la fameuse pensée anti-républicaine bobo de gauche  : une pensée sans exigence politique, une séduction de l’autre, un tapinage qui se fantasme humaniste. Au fond, cette pensée anti-républicaine trouve dans le religieux une exigence et une tenue qu’elle a perdues depuis longtemps. Incapable d’affirmer quoi ce soit, d’exiger quoi que ce soit de l’homme, elle déboulonne ce qui reste encore debout car elle affectionne l’homme couché. Elle le tient ainsi pour son égal. Si elle peut, cerise sur le gâteau de sa bonne conscience, lui venir en aide ostensiblement, elle ne se privera pas de le faire savoir haut et fort. Ce qu’on appelle improprement l’islamo-gauchisme (les synthèses politico-religieuses sont toujours religieuses) nous en dit plus sur ce que devient une partie de la gauche (sans -isme) que sur l’Islam. Comme si la gauche allait chercher une ossature chez l’autre, faisait de la religion le corset de son dégoulinement idéologique et de sa liquéfaction intellectuelle.

 

  • L’idiot utile imagine faire barrage aux extrêmes, aux identitaires car il n’a plus aucune identité politique. Il est à côté de ses pompes. Que défend-il d’ailleurs ce petit homme ? Il sera bien en peine de vous le dire ? Flatter oui, délimiter non. Les droits de l’homme ? Vous baillez déjà. Surtout n’alourdissez pas trop la question par cette autre, vous risquez de le perdre  : qui est l’homme des droits de l’homme ? Montre moi, je suis curieux de voir ce que tu désignes exactement, qui tu pointes de ton doigt tremblant. Cette marche c’est le grand symptôme de la gauche liquide, celle des bobos de service qui construisent le méchant et le bon dans des ateliers pâte à sel en se faisant rouler dans la farine en fin de cuisson.

 

  • Qu’elle marche, somnambule, une nouvelle exigence politique se lève sans elle, un nouveau rapport de force qu’elle finira par suivre le jour où elle se préoccupera à nouveau du peuple plus que de l’image flatteuse qu’elle s’en fait pour elle-même. Car il s’agit bien de cela, de son image, ah l’image de la gauche. Si elle pouvait ici s’inspirer de l’Islam et brûler ses idoles révolutionnaires de papier pour bibliothèques engagées, elle comprendrait peut-être qu’on doit toujours opposer à la puissance une puissance pas une posture dérisoire pétrie de mauvaise conscience et de résignation.