Le Phénix de Bourgtheroulde
- Le papotage sur la renaissance d’Emmanuel Macron bat son plein. Il aura suffit d’un parterre de maires dûment choisis, d’un micro et d’une performance oratoire (epideixis, en Grèce antique, aux heures glorieuses de la grande rhétorique) pour que le Phénix refasse causer de ses talents. Quel homme ! Quelle connaissance des dossiers ! Quel artiste ! Quelle chance pour la France ! Oubliés la grande braderie des fleurons de l’industrie française, le calendrier des privatisations de ce qu’il reste encore à privatiser, l’arrosage automatique de Ford ou de Nokia soldé en licenciements, les mensonges sur le SMIC ou les retraites, les barbouzeries, le travail de sape des institutions républicaines par les lobbyistes amis, les niches fiscales ou le tourisme du même nom, sans parler des multiples bavures policières depuis deux mois. Raccourcissons la liste pour en venir à l’essentiel : notre sensibilité, toute française, au baratin.
- Quelle avancée politique au sortir de cette grande messe de l’ego ? Aucune. Quel rapport entre cette performance et la réalité de ces hommes et femmes qui vont gribouiller demain, en allumant un cierge, leurs doléances sur un coin de site internet ? Aucun. Retour à la campagne électorale de 2017, aux opérations de séduction collective du gourou télé-évangéliste, promu « philosophe en politique » par la grâce de la médiocrité ambiante. N’est-ce pas d’ailleurs cela aujourd’hui le politique, une campagne ininterrompue de soi, une mise en scène des egos sous la tutelle du plus grand d’entre eux. La tête dans le potin, les éditorialistes, une variante du commérage, reprennent du poil de la bête avec leur Phénix. Phénix potin.
- Alors qu’une ancienne marchande de yaourts pour 450000 euros l’an, un temps à la tête de Teach for France, entreprise de démolition de l’école républicaine (1), s’apprête à administrer la grande bouillasse du débat national, le Phénix de Bourgtheroulde, un joli nom tout de même, a repris la main. Ce Frank Abagnale à la française, grand séducteur des demi-habiles et des propriétaires poivre et sel, mais loin des extrêmes, choisi par quelques mentors, encore plus faussaires que lui, pour ses charmes et ses qualités de faussaire, aurait « réussi son opération de communication », nous dit-on sur toutes les chaînes. N’oublions pas tout de même qu’un homme capable de mentir ouvertement aux français sur la hausse du SMIC, un sujet des plus sérieux, après de telles émeutes, est capable de tout.
- Qui ne voit pas l’absurde d’un tel régime politique ? Le show d’un seul devant un parterre docile comme réponse à une volonté collective de peser sur les décisions politiques. Que peut-il rester de cette performance oratoire : rien. Ou plutôt un immense détournement de la démocratie représentative qui ne peut, dans une situation d’effondrement, se relégitimer que par la souveraineté populaire. Cette singerie de démocratie, ce simulacre de vie politique intense, cette bouffonnerie maitrisée est reprise aujourd’hui en échos d’échos par des animateurs peu regardant sur la probité quand il s’agit de remplir leur assiette. Ce numéro de cirque n’exclut en aucune façon « la connaissance des dossiers » comme il est dit sur toutes les chaînes. De quelle naïveté faut-il faire preuve pour ignorer que les formations des dites élites servent aujourd’hui à cela : trier très rapidement de l’information et faire semblant de passer, avec virtuosité, pour ce que l’on est pas. A ce jeu-là, le Phénix de Bourgtheroulde est un expert indiscutable.
- Nous oscillons évidemment entre la consternation et le rire salvateur. Brillant, c’est le mot, comme ses pompes, le Phénix de Bourgtheroulde fut accompagné, pour cette délicate mission, par Madame Yaourt, la dénommée Wargon, qui reçut, dans une modeste pièce, une poignée de gilets jaunes eux-mêmes sifflés par quelques autres. Cette scène cocasse nous fait mesurer à quel point le sus nommé Houellebecq est très largement dépassé par une réalité au-delà de toute satire. Tout ce petit monde va donc piloter le « grand débat national ». C’est à pleurer de rire.
- Comment jouer encore le jeu ? Le grotesque est à ce point consommé que la seule question à se poser est de savoir pourquoi nous ne sommes pas tous dans la rue. Si ce n’est pas pour demander le RIC et le retour de l’ISF que ce soit au moins pour exiger le déplacement de cette petite troupe de saltimbanques et son chef d’orchestre, le Phénix de Bourgtheroulde, dans toute la France car les français, amis du baratin, peuvent, à la différence d’autres peuples, rire de tout.
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(1) Un billet sera ultérieurement consacré à cette saleté.