Vœux à mes élèves de terminale pour l’année 2019

Vœux à mes élèves de terminale pour l’année 2019

  • L’avantage considérable, je dirais même décisif, qu’un professeur a sur tous les apparatchiks du spectacle médiatique, c’est qu’il n’a pas en face de lui des caméras mais des élèves.

 

  • Les miens savent parfaitement qu’il n’y aura rien à attendre de ma génération, née dans un désert, croupissant dans une zone grise de l’histoire, adaptée à toutes les saloperies du temps. Des traîtres, si l’on tient à conserver cette terminologie martiale pour éviter de dire des jaunes tant la couleur se prête mal en ce moment à l’idée qu’elle désigne.  Ils le savent puisque je leur explique la chose dialectiquement, que je précise l’endroit historique exact d’où l’on s’efforce encore de philosopher dans l’institution. Un préalable, les amis, à tout discours responsable.

 

  • Dans le milieu professionnel qui est le mien, les quadras ont massivement voté Macron pour éviter les « extrêmes » et poursuivre tranquillement leur stérile ronron jusqu’à la hors classe. Pas de vagues, de la tempérance, de l’équilibre, le tout nappé d’indifférence petite bourgeoise. J’ajoute que, statistiquement parlant, je méprise joyeusement cette génération de ramollis, d’individualistes sans talent et sans courage, ces hédonistes de rien, entre dépression et hystérie, revenus de tout mais rarement d’eux-mêmes.

 

  • Contrairement à cette génération inutile, mes élèves (me voilà déjà à bonne distance d’eux, un quart de siècle) sont plus tranchés. Quand ils sont abrutis, il le sont à fond, pleinement, sans inhibition excessive. Quand ils aiment les animaux, ils vont jusqu’à renoncer au plaisir d’un steak bien saignant et roboratif. Quand ils sont cyniques, ils n’ont pas le mauvais goût de faire semblant d’être moraux devant leurs maîtres pour sauver leurs fesses comme mes conscrits. Quand ils s’engagent pour bloquer avec trois poubelles, c’est le capitalisme dans son ensemble qu’il faut jeter dedans. Quand ils veulent en être, ils adhèrent aux plus abominables stupidités internétiques avec une fascination qui confine à l’admirable. Quand ils parlent désir, aucune zone corporelle ne leur échappe. Quand ils n’aiment pas l’école, ils le proclament, haut et fort, à l’école. Quand ils ne comprennent rien, c’est que le discours servi est incompréhensible pour leur bon sens en titane. Quand ils n’aiment pas un homme politique, ils veulent l’humilier en place publique. Quand ils s’énervent sur parcours sup, ils ciblent  immédiatement la communication de bazar qui les prend pour les crétins qu’ils ne sont pas. Quand ils se mettent à la critique politique, ça va très vite et très loin, la cohérence est implacable. Quand ils respectent l’ordre, la liberté est, pour ces nouveaux miliciens, une monnaie de singes. Bref, mes élèves ne sont pas des tièdes comme peuvent l’être les âmes grises de ma génération. Ils se font face, souvent, et les chocs peuvent être violents.

 

  • Les éditorialistes, des vieux cons et des vieilles connes souvent médiocres mais toujours grassement payés, ont toute ignorance de cette nouvelle génération née avec le siècle et le terrorisme planétaire. Au contact du spectacle ludo-policier depuis leur enfance, dans un mélange improbable de petite morale et de pornographie, les élèves qui me font face dans l’école de la République ont globalement un certain potentiel. La génération porno-moraline rentre pourtant dans la vie active avec nettement moins de certitudes que les quadras adaptés qui leur pourrissent aujourd’hui l’existence pour faire durer leurs tièdes inconsistances. Pour cette raison, elle m’est d’emblée sympathique même si je m’octroie bien sûr la possibilité de lui faire comprendre, contre ses mauvais avachissements, que la pensée est verticale ou n’est pas.

 

  • Je souhaite donc à mes élèves pour l’année à venir – que les autres se débrouillent avec leurs « apprenants » – de ne surtout pas devenir gris, d’aller au bout de leurs problèmes respectifs, en cultivant un irrespect spirituel (foutue question de verticalité) vis-à-vis des abrutissements proposés à leur désœuvrement collectif. Qu’ils arrivent encore à former de grandes passions dans un monde déjà bien dévasté. Qu’ils trouvent des raisons de se battre quand tout est fait pour les dissuader de vivre. Qu’ils sautent gaiement par-dessus ma génération, qu’ils la précipitent dans les poubelles de l’histoire sans ménagement pour que l’on puisse enfin passer à la suite qui s’écrira avec eux.

 

2019, que du bon.