Lettre ouverte à Monsieur Denis Kambouchner à propos de la réforme HLP et de la réforme Blanquer en général.
Monsieur,
- Il aura donc fallu plusieurs lettres ouvertes, des pétitions en ligne et une importante mobilisation des professeurs de philosophie du secondaire pour qu’une communication, autre que formelle, nous soit enfin adressée. Votre réponse, celle de Monsieur Macé, commence par donner la liste exhaustive des membres de la commission. Une liste de noms, aussi prestigieux pour notre discipline, ne garantit, hélas, rien. La légitimité se situe ailleurs, du côté des principes et non du côté des patronymes ou des titres. La suite de votre courrier, qui ne discute en aucune façon la valeur et les conséquences de ce projet pour l’enseignement de la philosophie, ressemble plus, Monsieur Kambouchner, à un rapport de jury qu’à une réponse à hauteur.
- Les professeurs de philosophie attendent moins une clarification d’un programme qu’ils ont bien lu, soyez en sûr, qu’une exposition honnête et probe des mobiles qui ont initié cette réforme. Vous nous répondrez peut-être que là n’est pas le propos, que votre mission consiste à mettre en œuvre une réforme non à la discuter. C’est d’ailleurs ce que laisse entendre votre formule liminaire une fois la liste des patronymes passée : « la distinction (entre littérature et philosophie) aurait ôté son sens au projet de spécialité ».
- Ce qui est aujourd’hui en jeu, Monsieur Kambouchner, est autrement plus préoccupant que de savoir si « l’esprit critique » est contenu historiquement dans l’enseignement des humanités. Le projet dont vous faites état est une transformation profonde de notre métier. Ce qui est derrière ce projet, de l’aveu même de Pierre Mathiot, la tête pensante missionnée, ce sont deux choses : la bivalence et l’enseignement de la culture générale. Il fut parfaitement clair sur ce point lors de l’émission du 24 octobre 2018, Du grain à moudre (France culture). Ces deux points essentiels sont d’ailleurs intimement liés : demain, les professeurs de philosophie seront sommés d’enseigner autre chose que de la philosophie, autre chose que la discipline dans laquelle ils furent formés. Libre à vous de penser qu’il n’y a pas là outrage, qu’il s’agit du sens de l’histoire ou de la marche du progrès. Un très grand nombre de professeurs de philosophie du secondaire et du supérieur sont d’un autre avis, un avis structuré, réfléchi et argumenté. Une explication de texte du programme en forme de rapport de jury ne peut, vous le comprendrez, les satisfaire pleinement.
- Votre lettre se termine par une allusion au néo-libéralisme avant de faire valoir des procès d’intention. Très nombreux sont les professeurs qui pensent l’inverse. La liste des critiques précises adressées à ce projet de programme HLP, aux conséquences concrètes pour notre métier et nos services, ne trouve, pour l’heure, aucune réponse. Pire, les professeurs de philosophie, formés aux exigences de la raison, ne reçoivent, en fin de compte, que des arguments d’autorité, quand ce n’est pas des admonestations infantilisantes. Ils auraient, paraît-il, de mauvaises intentions.
- Comment voulez-vous, Monsieur Denis Kambouchner, établir un dialogue sérieux sans prendre au sérieux ceux qui demandent à être entendus sur le fond de cette réforme actuellement bâclée et pourtant fondamentale. Il est évident, hors de toute pression, qu’un nouveau groupe de travail doit être formé afin de faire réellement droit à des critiques qui n’ont pour seules ambitions que de défendre la qualité des enseignements reçus par les élèves dans le secondaire en philosophie. Le reste nous paraît totalement hors sujet.
- Les professeurs de philosophie n’ont pas vocation, dans la République, à être de simples exécutants d’une ligne politique à moins que l’on décrète qu’une ligne de pensée partisane, libre à vous de l’appeler néo-libérale, se confonde aujourd’hui avec l’intérêt général. Je doute, Monsieur Denis Kambouchner, que beaucoup de professeurs de philosophie, d’élèves ou de parents d’élèves accueillent, avec autant de docte enthousiasme que vous, cette révolution.
Philosophiquement Monsieur.