La profondeur de la révolte – II – Les faux politiques, les faux intellectuels, les faux philosophes etc…
#24novembre
- Sur la question Qu’est-ce que la politique ?, vous trouverez des mètres de rayonnage, des dizaines de causeries généralistes, des fiches sciences po à la tonne. Les questions Qu’est-ce qu’un vrai politique ? Qu’est-ce qu’un vrai philosophe ? Qu’est-ce qu’un vrai intellectuel ? sont nettement plus confidentielles. Un vrai politique par exemple, c’est un homme qui assume publiquement la partialité de ses vues et de ses valeurs. Pour cela, il a des ennemis et des partisans. En face de lui, il a des opposants. Il s’expose en portant une parole devant le peuple. C’est un homme avec des convictions, un homme prêt à les risquer dans l’arène. Contrairement à lui, le faux politique refuse le combat et l’affrontement, c’est une anguille, un malin, une limande de salons. Il est de tous les côtés en même temps, philosophe et banquier pourquoi pas, il est insituable. Ne sachant pas d’où il parle, il est impossible d’attribuer à sa parole une valeur.
- Il y a de moins en moins de politiques, comme il y a de moins en moins de critiques, car les hommes capables de se situer et de tenir un point réel s’effacent, se résignent, renoncent. Tout est fait évidemment pour les décourager. Le travail de l’esprit sérieux, appliqué, informé est marginalisé, relégué dans des replis quasiment invisibles. Une parole critique et politique construite est empêchée ou écrasée par la machine à broyer l’intelligence qu’est l’actu. Pas simplement celle des sans voix, comme les appelait Pierre Bourdieu, mais de tous ceux capables d’articuler politiquement la conflictualité sociale, de faire des liens puissants et effectifs, de comprendre dans le détail par où circulent aujourd’hui les pouvoirs de représentation.
- C’est, il faut le dire, un travail titanesque. Des petits marquis de la culture, improductifs quant au fond, sont devenus en une vingtaine d’années, les roitelets de la forme. Ils ont un réel pouvoir de nuisance, un pouvoir de sélection, un pouvoir d’exclusion. Nous serons plus malins qu’eux, plus fins, plus rusés, plus vicieux que leurs propres vices s’il le faut. Ce que Jean Baudrillard, un véritable penseur folklorisé dans le seul simulacre, nommait l’intelligence du mal. Ils sont méchants mais nous sommes beaucoup plus méchants qu’eux. Nous les nommerons, nous ciblerons leurs discours, nous mettrons à jour les réseaux qui les soutiennent, nous séduirons leurs auditeurs. Travail subtil, inaccessible aux entendements bornés des bourrins qui consomment de la vidéo complotiste en grosses quantités. Là encore, cette histoire de complotisme intellectuel est à dénoncer sans pitié. Les stratégies de pouvoir consistent aujourd’hui à isoler la critique authentique en en faisant une dépendance de la paranoïa. Nous allons en conséquence rendre fous nos psychiatres.
- Il faudra faire de cette nouvelle pratique une résistance critique collective. Isolée, la critique est impuissante. La solitude est pourtant le lieu indéfectible de son énonciation. La critique est un acte solitaire qui a une portée collective incomparable. On ne peut pas tenir un pouvoir sur le règne sans partage de la fausseté. On ne peut pas à ce point liquider le rapport philosophiquement essentiel, platonicien (1), entre la réalité et la vérité sans en payer le prix humain. L’indifférence affichée envers le vrai, le juste et le bien ne peut pas durer très longtemps, à moins, ce qui est d’ailleurs en jeu aujourd’hui, de reconfigurer l’homme pour qu’il soit désormais indifférent à ces valeurs fondamentales.
- L’abrutissement fonctionne aussi longtemps que le marché peut anesthésier les masses ; il cesse d’être opérant quand sa marche folle ne fait plus qu’engraisser une élite parfois tout aussi abrutie que les abrutissements qu’elle promeut. Nous en sommes là. Nous retrouvons Platon pour la philosophie ; Karl Schmidt pour la politique. Les problèmes posés par l’un et l’autre sont aujourd’hui refoulés. Il nous faut les exhumer. Bref, après la léthargie insensée des deux dernières décennies, nous pensons et agissons enfin.
(1) Contrairement aux sophistes de la, modernité tardive, je m’efforce d’être cohérent dans ma lecture de Platon.