Survivre au survivalisme

Survivre au survivalisme

  • La bouffonnerie la plus moderne, disons post modernissime, consiste à se pâmer en annonçant la fin du monde. De très nombreux ouvrages s’esbaudissent sur la collapsologie ou le survivalisme. Dans un style affligeant de pauvreté spirituelle, accumulant les preuves du désastre comme l’avare compte ses pièces d’or, les Nostradamus de la pâte à papier nous aurons prévenu : demain, le désastre. Préparez-vous. Etant donné que ces courageux prophètes ne s’en prennent pas, dans leurs harangues planétoïdes, à la faiblesse vitale de leur propre société mais à l’annihilation qui vient sous toutes les latitudes, ils échappent forcément à l’anathème « réac » ou à ses dérivés. Tu penses avec tes pieds ! On s’en fout, bientôt la fin du monde.

 

  • Survivre, voilà l’objectif annoncé. Survivre à tout prix, n’importe comment, à la sauvette, comme des cochenilles s’il le faut. Préparez sans tarder votre longue vie de zombies dépressifs en feuilletant des missels sur la collapsologie. Achetez, cols blancs et bourricots péri urbains, le dernier opus de survivalisme. Apprenez à bricoler à Rueil-Malmaison  une cahute en liège pour protéger le petit dernier au fin fond de l’Amazonie. Quel beau projet d’autonomie politique que voilà ! Le mot, en lui-même est déjà inquiétant : survivalisme. En un siècle, nous serons donc passés du vitalisme ou survivalisme. Curieux. Moderne, postmoderne. Vitaminé, survitaminé. Marché, hypermarché. Soldé, hypersoldé. Humain, post humain. La logique est évidente. Ce qui pourrait être en soi une définition de la modernité : les anciens bandaient, les modernes surbandent.

 

  • Rien de tel avec le survivalisme. Ici, la logique est rompue. Survitalisme aurait été nettement plus cohérent, promesse d’une vie plus intense, plus riche, plus féconde. Pour les sans âmes qui braient en english, plus speed, plus fun, plus sexy. Avec le survivalisme, le moderne semble étonnement débander. S’imposerait-il une castration de derrière minute ? Ou s’agit-il simplement d’une nouvelle distinction de classe  ? Il suffit de faire le tour des codes de ce nouveau marché pour comprendre que le public visé est très éloigné des logiques de survies. On se pâme sur le survivalisme quand toutes les conditions de la vie matérielle sont bien remplies. Un public de cadre sup raffole de ces petits frissons : mon crossover résisterait-il à la montée des eaux de la Garonne ? Les images sont soignées, réalité augmentée oblige. Mélange de béton et d’herbes folles, mangrove et télé péage.

 

  • Tout cela prêterait à sourire (ne nous en privons pas pour autant) si les effets de cette nouvelle doxa collapsistique étaient sans conséquence. Quelle attention porter encore aux pires bassesses du présent, aux manipulations mentales les plus insidieuses, aux malversations par les signes quand la survie est en jeu. Aux pires moment de la guerre, les hommes veulent réellement vivre ; aux pires moments de la paix, les hommes veulent fantasmatiquement survivre. Le survivivalisme est le fantasme d’un monde malade, une maladie auto immune qui ne peut affecter que des êtres qui quittent la vie faute de lui trouver une valeur satisfaisante. Ne sachant plus vivre en homme, le techno zombie s’invente une sorte de survie animale fantasmée. Depuis longtemps hors sol , il se met à flotter dans le temps : 2065, 2145, 2235. Ces amoncellements de livres et de productions apocalyptiques n’ont aucune fonction d’éveil, ils ne structurent pas l’esprit. Ils accentuent bien au contraire la déstructuration mentale nécessaire au fonctionnement du grand marché techno zombique. Au fond, sous une apparence de scientificité, ils relèvent de ce néo-obscurantisme contemporain qui se donne les atours de la rationalité. Le jour où tous les hommes ne penseront plus qu’à survivre, le problème de l’homme sera résolu.