A propos de la merde cybernétique dépolitisée acritique et hyper pragmatique qui vient
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Les adaptés du nouveau monde acceptent de vivre dans une merde cybernétique dépolitisée acritique et hyper pragmatique. C’est leur choix. Le nôtre est, anthropologiquement parlant, plus exigeant. Il se trouve que les deux ne sont pas compossibles dirait Leibniz. Bien sûr, on rêverait tous d’un monde dans lequel le choix des uns n’interfèrerait pas sur celui des autres. Ceci est ton monde, écrit Nietzsche, le seul, le tien, l’unique. Dans ce monde, présenté faussement comme un univers de choix multiples, le ratatinement de l’homme n’est pas une option parmi d’autres, plutôt une condition de l’illusion du choix libéral. Seul l’homme rétréci peut imaginer que la merde cybernétique dépolitisée acritique et hyper pragmatique n’a pas d’incidence sur les capacités qu’il aura demain d’y résister.
Contrairement à ce qu’elle affirme, en nous dépliant par le menu la nécessité de laisser faire le marché, la conscience libérale assure la promotion constante et interventionniste, avec des moyens démesurés relativement à ceux de la conscience critique, du renouveau, de la transformation, du changement. C’est elle qui attaque quotidiennement l’homme tel qu’il est pour le transformer en un homme tel qu’il devra être. C’est encore elle qui accuse ceux qui ne veulent pas de sa merde cybernétique dépolitisée acritique et hyper pragmatique de passéisme, d’inertie et de sclérose. Sous la mise en scène d’une fausse liberté de choix, la conscience libérale exerce ainsi une véritable tyrannie des esprits qu’elle camoufle derrière la promotion d’une action politique efficace et axiologiquement neutre, au-delà des « clivages partisans ». Cette tyrannie des esprits est d’autant plus violente et prescriptive qu’elle passe, en générale, en contrebande.
C’est aussi pour cette raison que la conscience libérale tolère beaucoup mieux les critiques de type économiques – dont elle réfutera évidemment l’irréalisme – que celles qui investissent le terrain symbolique de l’anthropologie politique. Ce qui part de l’économie y retourne, dans une circularité qui n’a aucune chance de se transformer en force révolutionnaire. Par contre, celui qui pointe, avec une certaine constance, les logiques de démolition (intellectuelle, spirituelle, valorielle) devra rester inaudible. Son travail est incompatible avec la fausse pluralité du choix libéral et son entreprise de ratatinement de l’homme. La conscience libérale à la manœuvre s’accommode fort bien d’un monde où la conscience humaine sera réduite à sa plus simple expression : un abrutissement cognitif docile vaguement irritable sur des causes insignifiantes.
Il va de soi qu’il sera nécessaire d’embaucher massivement des cadres culturels d’encadrement dont la tâche sera de faire accroire que rien ne change, qu’il y a encore de la pensée, de l’esprit et de la finesse, contrairement à ce que grognent les esprits chagrins et rétrogrades. Il va de soi aussi qu’ils tiendront un discours lui-même acritique politiquement à destination d’une petite élite culturelle qui surnagera sur un océan de médiocrité (en ayant, cela va sans dire, le moins de contact possible avec lui). A intervalles réguliers, un insipide spectacle de moralisation de la vie publique sera offert à une masse anémiée, satisfaite d’exercer un feint contrôle sur ce qui lui échappe radicalement. Dans ce monde, certains individus, pris en étau entre les conséquences de l’épandage de merde cybernétique dépolitisée acritique hyper adaptée et le cynisme des maîtres qui l’exploitent au mieux, exprimeront leur colère en ayant encore à l’esprit une certaine idée de l’homme. L’effacement générationnel de cette idée signera la fin de leur combat. En attendant, ils cognent.