Tu vois mieux Debray ou de loin ?

Tu vois mieux Debray ou de loin ?

4a4c9e912a_50038702_lunettes-myopie-hackfish-wiki-cc-25[1]

  • Dans la catégorie sage et vieux barbon, faiseur de haïkus et divertisseur intellectuel mâtiné de culture sur grandes ondes, autant dire bon client d’insignifiance, j’appelle Régis Debray. Oui, il est toujours là Régis Debray, un peu partout, il se divertit, il passe le temps, il s’amuse. Cet été il a même trouvé une idée en picorant du texte avec des amis protestants comme il dit : l’avènement planétaire du néo-protestantisme arrive en France avec Macron. Dans un texte miniature, où la question de savoir si nous feuilletons un article de Elle ou un « essai fulgurant » (1) reste indécidable, Régis Debray peaufine son style : « Quand le matos avance, le bios recule – la crédibilité passe du grognard  aux marie-louise. C’est le novice qui inspire confiance. » (2) Il faut croire que la formule enfarinée ne s’applique pas aux penseurs du siècle. Les olds in town sont de sortie. C’est même la tendance du moment : « privilège du vieux con dernier tirage : une place au balcon, sur le défilé des générations. »(3) « Le vieux con » Régis Debray – les publicistes aiment se faire mal – se met en scène et égraine les imagiers de sa vie : « C’est un avantage d’avoir pu, adolescent, écouter les récits des combattants et résistants (1940-1945), plonger dans l’époque des militants (1945-1980), se retrouver en remontant, à côté des notables (1980-2010), et voir, sur ses vieux jours, les managers sous les lambris (2017-2027). » En recopiant ceci, je le dis sans détour / j’espère que le sénile qui me viendra un jour / prendra une autre forme que celle qui consiste / à faire subir aux autres son dernier tour de piste.

 

  • Il serait fastidieux de noter une à une les formules prétentieuses de Régis Debray. Après tout, moyennant huit euros, le lecteur doit faire aussi sa part du travail. Posons-nous plutôt la question suivante : pour quelle raison ma génération est-elle à ce point incapable d’assumer seule la prise en charge critique du monde qu’elle dirige désormais ? Feu Stéphane Hessel, Edgar Morin, Michel Serres, Alain Badiou, Marcel Gauchet, Régis Debray, Bernard Pivot… Les quadras qui se piquent de penser un peu ont besoin de vieux sages (Debray dirait des « vieux cons ») pour détourner le regard du désert qui leur fait face. C’est à cela que sert Régis Debray, c’est aussi pour cette raison qu’il est encore présent sur les ondes de la matinale : pour la petite histoire qui rassure. « Critique », c’est encore mieux. Adaptée et technodule quand il s’agit d’agir, ma génération est larguée et gérontophile quand il s’agit de penser. Aucune incohérence, les jeunes politiques font des risettes aux vieux philosophes. C’est qu’il faut aller chercher le supplément d’âme sans bouleverser l’ordre des choses. La patine du temps pour recouvrir la vacuité des temps. (4) Pour ce travail de détournement, Régis Debray est un très bon client. Il a de l’esprit, beaucoup de culture (la chose est bien vue quand il s’agit de ne plus faire de politique), il est malin aussi. Au sens strict, c’est un divertisseur, il détourne, parle d’autre chose, nous raconte une belle histoire. Il linéarise les temps, absorbe tout, passe de Paul Valéry au concile de Nicée II, de Nadar au CAC-40, de Luther à Rocard. Le tout en cinq minutes sous le regard du journaliste médusé qui a – une fois n’est pas coutume – l’impression de penser.

 

  • « Substitution du transversal au vertical, du réseau au cap, de la connexion à l’affiliation, de la marque (commerciale) à l’étiquette (idéologique). L’institué et l’instituant ont permuté en douceur. L’ancien amateur devient le professionnel et vice-Versailles ». (5) Je vous le demande, quel journaliste aura le courage de lire à la face de l’intéressé ce monticule de sottises qui se nihilise lui-même dans une blague carambar (« vice-Versailles ») en expliquant la fonction politique de ce genre de grossièretés. Ce qu’elles empêchent, ce qu’elles recouvrent. Voilà ce qui en France tient lieu pourtant de « pensée critique » mes amis, d’essais fulgurants, de thèses iconoclastes et de lectures incontournables. La sénescence  a de beaux jours devant elle. Vous comprendrez mieux pourquoi il est si difficile aujourd’hui de faire entendre d’autres voix. La seule méthode, un peu cohérente qui me vienne à l’esprit,   reste de recopier, sans relâche, ces monceaux de morgues attitrés « philosophes ». La chose peut paraître violente j’en conviens, elle fait peur sûrement quand on confond l’idée et le doudou. Elle dérange le commerce et fait fuir les ânes. Elle est aujourd’hui nécessaire et témoignera d’un temps, le nôtre, le tien.

 

  • Régis Debay intitule son texte « Le nouveau pouvoir ». Prenons-le aux mots. Le « nouveau pouvoir » dont il est question se consolide en détruisant nos capacités de résistances intellectuelles, pire, les raisons de résister. Après tout, si « pour parler jeune et comme il faut, le protestantisme agit bottom up et le catho top down »(6) que demande le peuple ? Derrière le ridicule se cache le conformisme des parvenus, les bruits de salons et les mondanités qui jugent avec des mouvements de gants. Régis Debray, c’est le vieux qui fait le jeune ; Emmanuel Macron, le jeune qui plaît aux vieux. Tout cela marche bien. Un monde de cyberadaptés et de turboprophètes. Inutile de réfuter ce qui se place à un tel niveau de boursouflure. Il faut laisser la chose enfler d’elle-même jusqu’à ce qu’elle crève. On peut l’aider un peu, bien sûr, une tâche modeste mais point trop inutile quand la patience commence à faire défaut. Dans Pourquoi j’ai mangé mon père, Edouard le progressiste, croise un animal préhistorique et se morfond :  – hélas, nous en sommes encore là.

2017-09-debray-nouveau-pouvoir-8-5979b8dc5ccd1[1]

Pour aller plus loin : Régis Debray et Guy Debord.

………

(1) Quatrième de couverture, Régis Debray, Le nouveau pouvoir, Paris, Edition du Cerf, 2017

(2) Op. cit.

(3) Op. cit.,

(4) Oui, moi aussi, je peux faire des petits jeux de mots « à la Debray ». Qui peut le plus, vous connaissez la suite.

(5) Op. cit.

(6) Op. cit.

 

 

Laisser un commentaire