La pari des soumis

Le pari des soumis

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  • Après son passage par la commission Attali, cet incontournable gourou de la libéralisation du marché à la sauce américaine, post-it Macron devient, en 2012, membre de la French-American Foundation France. Qu’est-ce donc que cette chose ? En bref, économie dérégulée, mondialisation heureuse et réseaux politico-financiers sur le modèle américain. Commençons par le vote à l’américaine suite à un concours de télé réalité, immense show fait de punchline, de battle et de prime. Organisation d’un spectacle politique intégral et abrutissant, très au-delà des pires cauchemars de Guy Debord. Vient ensuite l’école américaine publique où seuls les établissements performants obtiennent des aides fédérales. Système particulièrement inique qui repose exclusivement sur l’inégalité de richesses des Etats et des villes. La rentabilisation à tous les niveaux. Dois-je rappeler qu’en France des primes sont accordées aux chefs d’établissement « performants » sur des critères aussi aberrants que le taux de redoublement. Vient ensuite la promotion d’une bouillie œcuménique qui ne dérange pas le commerce. Ai-je besoin de rappeler que le Times pris soin de flouter le dessin de Cabu fraîchement assassiné avec ses amis écrivains et dessinateurs dans son journal ? Ce modèle est l’ennemi de ce que nous mettons en valeur lorsque nous parlons de laïcité en France. Peu probable que vous ayez une quelconque analyse du post-it Macron sur ce sujet dans un délai raisonnable. L’usage de mots creux avec des ballons, oui ; la mise en pratique des contradictions que cache cette vacuité, non. J’épargne au lecteur les considérations sur le rapport à la langue, à la culture, à la nourriture qui n’ajoutent rien à l’évidence du constat. Les Macron de tous bords se caractérisent par l’absence totale de critique à l’égard de ce qui vient. Il marchent.  Mais soyez sûrs d’une chose, ce ne sont pas eux qui consommeront en priorité la merde de demain.

 

  • Post-it Macron, sur le modèle de Barack Obama, pourrait durer dix ans. Son charisme de gant de toilette, sa morgue vaselinaire, l’état du corps social risque cependant de poser rapidement problème à la baudruche anesthésiante et à sa suite. A la différence de Jacques Attali, grand chaman des commissions d’actionnaires, je ne prédis pas l’avenir. En particulier quand cet avenir dépend aussi de mon voisin de palier qui prend tous les risques pour transporter de la nourriture sur son vélo branlant pour une poignée d’euros ou de celles de mon ami interne en médecine exploité comme un chien dans des services saturés. Une chose par contre me paraît certaine,

 

Macron sera le président des ignares dominés et des cyniques dominants.

 

  • Toute la question est de savoir si nous nous contentons d’un constat lucide mais désabusé en attendant de nous faire tondre. Je ne parle pas simplement d’une tonte financière. J’ai à l’esprit le mot de Rousseau dans du Contrat social (1762) : « Donnez de l’argent et vous aurez des fers. Ce mot de finance est un mot d’esclave. » Ce qui pousse un homme à réagir, à lutter, à se dresser ce n’est pas simplement sa feuille de paye. Difficile de savoir si nous sommes individuellement des soumis ou des insoumis. Placer le verbe trop haut, c’est risquer de déchoir dans la pratique.  Cela ne nous empêche pas d’avoir une exigence qualitative en révélant l’imposture là où elle se trouve. Macron est certainement l’imposture la plus manifeste de ces trente dernières années. Ce n’est pas peu dire. Son élection nous renseigne aussi bien sur la déliquescence bien connue de la représentation politique que sur l’efficacité des moyens promotionnels mis en place pour que ça dure. Mais si je devais faire une gueule à mon pire ennemi, cette gueule ne ressemblerait pas à Emmanuel Macron mais à ceux qui n’ont plus de narines pour sentir la mauvaise odeur sous leurs chaussures.

 

  • Le chantage à la conscience qui fleurit ici ou là – votez Macron pour éviter le pire – au-delà de son caractère paternaliste et comique, oublie que la conscience est une infatigable ironie. Les mêmes faux culs qui font des petites chroniques à la radio ou à la télévision pour mettre en garde les imbéciles contre la montée des autocrates, espèrent aujourd’hui que le champion du vide qui les fait vivre sera élu avec un score de dictateur et une participation stratosphérique. Eux animent sans trop y croire la grande dépression collective. Pendant ce temps, d’autres tentent joyeusement des coups. C’est à se demander qui parie sur le pire.

L’indigence spirituelle des « élites » du nouveau monde

L’indigence spirituelle des « élites » du nouveau monde

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  • Le vote de classe économique en faveur d’Emmanuel Macron est synonyme de misère pour les uns, d’indigence spirituelle pour les autres. Le cadrisme – à ne surtout pas confondre avec le castrisme – consiste à s’adresser à une frange de la population qui, sans être pauvre, se sent menacée par une néopaupérisation, la paupérisation des pas encore pauvres. David Brooks, auteur de Bobos In Paradise: The New Upper Class and How They Got There, dans un article du New York Times du 12 janvier 2003, Pourquoi les classes moyennes votent comme les gens riches, relate un sondage commis par le Times Magazine. A la question posée de savoir si l’individu questionné fait partie des 1% les plus riches, 19 % répondent par l’affirmative et encore 20% pensent y parvenir un jour. Voilà pour le vivier électoral du micro post-Obama et l’étrange leçon d’arithmétique.

 

  • Ce qui compte finalement, c’est de penser qu’on y est ou qu’on va y être quitte à se soumettre aux pires servilités du travail performance. C’est ainsi que la représentation induite par 1% des plus riches mobilise environ 40% de l’électorat, un coussinet confortable nourri par l’indigence intellectuelle des cadres elle-même entretenue par un système de formation rempli d’air. En clair : pour se sentir moins pauvre, il faut toujours aller dans le sens des plus riches. Se sentir et non pas être. Il en va de tout un imaginaire matérialiste dégradé  qui oriente en profondeur les affects politiques. Le cadrisme fonctionne selon les lois éprouvées de la fricologie : plus y a de fric pour les uns, plus y aurait de fric à venir pour les autres. Le cadrisme et son espoir de SMIC cadre, salaire minimum d’insertion cadriste.

 

  • Ne reste plus au cadriste qu’à allumer son ordinateur le matin en rêvant de faire bientôt partie des 1%. Lucide et réaliste, vous entendrez son rire de hyène affamée lorsqu’ils entend le mot utopie. La réalité est moins réjouissante. Encore faut-il, dans l’attente d’en être, qu’il supporte le souffle d’air qui traverse sa boîte de com, qu’il résiste aux monceaux de vacuité qui le font vivre. Son ennui à l’after work, sa conscience parfois lucide de dépressif communicant, tout cela bien sûr n’entre pas en considération dans la grande marche vaine d’Emmanuel Macron. Mais le monde est bien fait. L’excroissance tératologique de sa liberté cybernétique, la contemplation onanistique de ses performances et la pauvreté de sa culture suffiront à le faire tenir encore un peu.

 

  • Je laisse notre bonhomme à sa marche infernale vers le vide pour en revenir au fond du problème. Si vous additionnez toute la glose journalistique sur les dangers d’un castrisme à la française ce dernier mois, vous sauriez pris de nausée. La progression de Jean-Luc Mélenchon dans les différentes sondées fut en cela un révélateur ironique de cette doxa défensive. Vertige du copier-coller. En comparaison, rien ou si peu sur le cadrisme dont les effets sur nos vies sont autrement plus inquiétants. Mais avant de crier au complot, réfléchissons bien à la convergence aujourd’hui des cursus de formation des cadres, des journalistes, des décideurs, de cette fameuse « élite ». Alain Finkielkraut, illisible pour une large majorité de ces sous-éduqués, a raison de porter le fer contre ce que devient l’école et l’université, cette crise de la culture qui, à défaut d’être sérieusement pensée, revient à intervalles réguliers comme sujet d’animation et de causeries mondaines.

 

  • Les rencontres que j’ai pu faire avec cette soi-disant « élite » m’ont plus instruit que la lecture de Karl Marx. Pressée par le temps, sommée de répondre instantanément à la médiocrité marchande dans des délais toujours plus improbables, constamment greffée aux machines, cette classe assez disparate quant à la condition économique – ne confondons pas le pigiste esclave du maître patron de presse – barbotte dans un bain idéologique somme toute assez homogène. Cela n’exclut pas les singularités, elles existent, mais on ne pense pas avec des portraits chinois. L’indigence spirituelle de ce bain est flagrante. Ce « cyber bétail de la neurocratie » (1) est plus ou moins riche, plus ou moins visible, plus ou moins bankable – mot abjecte qui résume à lui seul toute l’étendue de la misère. Il n’en reste pas moins vrai qu’il accepte de se soumettre – y compris dans ses couches les plus hautes. A ceux qui verront dans Emmanuel Macron un vainqueur, n’oubliez pas le degré de soumission et de servilité morale dont il faut faire preuve pour représenter aussi vite les intérêts d’une telle « élite ».

Macron n’est autre que le You Porn du politique. Rien de plus.

 

  • Mais l’enthousiasme pour la soumission s’effrite. Tout d’abord chez ceux dont la marche en  avant est simplement synonyme de misère sociale et économique. Ces hommes et ces femmes sont pris dans un avenir collectif détruit par la volonté des cas particuliers de l’espèce. Lucidement, la souffrance restant un chemin assez sûr pour accéder au vrai, ils quittent l’indigente marche en s’accrochant politiquement à ce qu’il trouve dans ce grand naufrage de l’homme. Condamneriez-vous celui qui s’accroche à une branche pourrie à défaut de trouver une embarcation digne de ce nom ? Mais l’enthousiasme disparaît aussi chez ceux qui ne veulent plus du travail performance, ceux qui respirent de la merde, mangent du plastique, refusent de lire des  crétineries bankable et de voir leurs enfants éduqués par des imbéciles en marche qui communiquent. S’il s’agit là de votre définition du bobo utopiste qui n’a pas encore entendu parler de la fin de l’Histoire, j’en suis. Et après, on fait quoi ?

native[1]

  • Les français peints par eux-mêmes fut un des grands succès de librairie au XIX eme siècle. Ce réalisme social n’est pas exempt de cruauté. La peinture y est féroce, les illustrations magnifiques. Les merdeux en marche cyber connectés figureraient en bonne place dans un projet qui pourrait s’inspirer de ce grand travail de peinture sociale.  Je lance l’idée. Une bonne plume pourrait même croquer leur vide spirituelle, leur soumission moderniste et leur néo-servilité dans un même trait.  Le texte pourrait être réjouissant. Voici la première bulle :

« Le choix de notre génération, c’est de poursuivre le rêve des Lumières parce qu’il est menacé. »

Macron, 19 avril 2017, Nantes.

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(Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs, 1998)