La jouissance terroriste

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« Face au totalitarisme islamiste, il faut construire un mur intellectuel et moral. »

François Fillon, 21 avril 2017

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  • Un esprit athée ou agnostique, indifférent au sens large, aura toujours du mal à saisir ce que peut la croyance en Dieu. Celle-ci n’est à ses yeux qu’une illusion. Rapportés à ses catégories de jugement, les décrets divins ne pèsent pas lourd. Les croyances témoignent pour lui de la faiblesse humaine, certainement pas de sa puissance. Sa tolérance est une grâce adressée à la crédulité. Le combat a été mené de longue date et l’obscure divagation réduite à une place circonscrite encadrée par la loi. L’explication ? Frustration, compensation, impuissance.  Les analyses sont connues, les critiques philosophiques disponibles en livres de poche. Evidence de la théorie devenue une somme de lieux communs. Qui a encore envie de lire une critique des croyances en Dieu, de radoter cent fois les mêmes poncifs éculés ? Je ne vois que l’hédoniste de grandes surfaces et son lectorat d’arrière-garde. Dieu est la projection de l’homme dans le ciel, Dieu est la compensation d’un délaissement infantile, Dieu est le shit du peuple etc.

 

  • Une certaine vulgate marxiste prospère encore. La frustration se développe sur les inégalités sociales et économiques. Les hommes compenseraient leur impuissance réelle en se tournant vers des fétiches. Apparition du sentiment religieux et de ses illusions maléfiques. Conclusion : augmentez le PIB de deux points et vous verrez aussitôt reculer les fous de Dieu. Illustration de l’économisme ambiant que décrivait parfaitement Bernard Maris assassiné le 7 janvier 2015. Le pouvoir d’achat et la croissance, solutions contre le terrorisme ? Oye mes braves. La logique du terrorisme serait parfaitement soluble dans notre mode de développement économique. Mieux, la preuve absolue que le travail reste à faire, qu’il faut aller plus loin encore. C’est donc à nous – analystes, économistes, philosophes, critiques, intellectuels, journalistes, sociologues, écrivains, bonnes âmes – de lui donner un sens, de l’intégrer. L’intégriste ne laisse rien sur le bord du chemin, il ramasse et assimile tout. C’est justement ce que fait le processus de globalisation en cours : il avale et digère. Aucune signification ne doit pouvoir lui résister. Terrorisme compris.

 

  • Les terroristes promettent la mort. « Nous aimerons plus la mort que vous aimez la vie ». La preuve, nous sommes prêts à mourir pour elle. Nihiliste celui qui croit aux valeurs toutes faites comme s’il existait un stock de valeurs disponibles à restaurer. D’où la sotte idée quantitative, le vain projet : remettons des valeurs au cœur de la République, au centre de l’école. Logique de capitalisation et d’exploitation du patrimoine national, accumulation de valeurs, de plus-value axiologique, chaises musicales de la quantité. 300 heures de valeurs supplémentaires dans le parcours de l’élève citoyen pour replâtrer, avec « un mur intellectuel et moral », la conscience nihiliste de ces jeunes de France en mal de repères. Une éducation en béton armé nous est promise.

 

  • C’est bien plutôt Eros qui est en jeu dans cette logique de mort.  « A la fin de l’histoire, nous banderons encore et pas vous – importance fondamentale de la dimension érectile dans le délire. Nous banderons plus que vous, c’est une certitude. Notre Dieu, et son cri de guerre orgasmique, est bien plus grand que vos godes géants merdeux ». Mourir pour une cause, fut-elle absurde et insensée, transcende la vie. Le discours sur les valeurs arrive toujours trop tard. Les valeurs, les bonnes, sont de notre côté. Nous les avons accumulé avec le temps, nous pouvons les délivrer, les transmettre, les inscrire aux programmes, en faire des autocollants et des vignettes. Journée nationale de la valeur, de la République et de la laïcité, comme il y a la journée du câlin ou de la femme. « Je suis Charlie ». Alors-là, respect mon ami. Les valeurs sont notre richesse et notre patrimoine, comme les toits en ardoises et les pigeonniers méridionaux. Les partager, ensemble, les couper en huit comme on coupe un cake. Pas d’exclus. A chacun sa bonne ration, à égalité avec le voisin. Epicerie citoyenne universelle.

 

  • Comment rendre la vie plus bandante que la mort ? Voilà le grand défi. Cela n’a rien à voir avec la brocante des valeurs, cette quincaillerie philosophique déprimante. Et la question ne se pose pas simplement pour le terrorisme. Anémie, fatigue, morbidité sociale, dépression collective, résignation, démoralisation. La littérature n’y échappe pas. Houellebecq m’emmerde. Ces récits sexuels de dépressif postmoderne m’assomment. Les mémoires de sa bite me dépriment. Je sors de là lessivé, cuis, exténué. Comprendre ainsi que le nihilisme esthétisant est une invention qui a fait son temps, une tocante historique usée. Corbeille. Ce qui arrive nous y oblige. Sous le gode géant avant qu’il ne dégonfle, le petit doigt en l’air et le cul pincé dans Libération : « l’art contemporain a-t-il une valeur? » 

 

  • « Nous aimerons plus la mort que vous aimez la vie ». Il doit certainement être question de volonté de puissance derrière cette formule réduite. Combien de produits cinématographiques, et cela depuis des décennies, se complaisent dans la mort bandante, la tuerie trique, le carnage érectile. Pour les moins phallocrates, le massacre sexy cool. L’ultra-violence ( la formule d’époque)  d’Orange mécanique s’est transformée, avec le temps, en une petite mandarine confite. La jouissance terroriste commence par des films de propagande faisant l’apologie, avec force ralentis et 3D, d’une violence scénarisée sans limite. La décapitation qui horrifie n’est pas une menace mais une page de pub : « regardez mes frères, ici on le fait vraiment, c’est cool. Arrêtez de vous branler sur vos jeux de guerre, de vous exciter la nouille avec vos affiches et vos simulacres, de vous astiquer le manche de la console. Bienvenue dans la vraie vie, celle du passage à l’acte ». Les zombies numérisés sont conviés à en être, suprême fantasme que celui de la réalisation pour les frustrés de la société du spectacle intégral.

 

  • « Bien sûr nous risquons la mort en retour », poursuit l’égorgeur dialecticien, « mais rappelez vous Hegel : celui qui craint la mort est esclave de celui qui ne la craint pas. Nous sommes dialectiquement un cran plus loin que vous, nous réalisons vos simulacres de bas niveaux et de faibles intensités. Et c’est en cela que nous vous castrons radicalement, en vous rappelant que votre jouissance morbide a tout de la saccarine. Crânes rasés, vociférations grégaires, parqués, vous batifolez dans ces jardins d’enfants. Nous vous proposons le désert du réel en lieu et place de vos  parcs à simulacres, de votre quincaillerie irréaliste. Si vous kiffez déjà le pour de faux vous allez surkiffer le pour de vrai. »

 

  • Il va de soi que la promotion de cette jouissance terroriste New Age a remplacé la théorisation par la terrorisation, nettement plus directe et efficace. Nul besoin d’un Hegel pour mettre à jour les ressorts pulsionnels de l’engagement. Cela fait déjà belle lurette que nous faisons l’économie de comprendre ce que nous faisons, de penser ce qui nous arrive. Kiffes-tu Assasin’s Creed PS 3 ? Kiffes-tu Sniper’s World VII ? Tu vas surkiffer le Djihad. Voilà qui est largement suffisant comme mobile. Kiffer vs. surkiffer. Pas besoin de Marx, la vieille buche. D’ailleurs nous le savons tous, des psycho-pédagogues expliquent cela très bien, l’écart entre le simulacre et le réel est immense, infranchissable. La petite mandarine surconfite de l’ultra violence aurait même, paraît-il, une vertu sociale. Elle canaliserait, avec le bon dosage, les pulsions morbides – comme si les pulsions étaient là, identiques à elles-mêmes, de toute éternité, en 1848, 1945, 2017. Nous devons y croire. D’ailleurs, avons-nous vraiment le choix ?

 

  • Il faut être bien peu dialecticien pour penser que l’histoire revient sur ses pas, qu’elle peut faire machine arrière. Cette nouvelle forme de jouissance terroriste, ce pouvoir de séduction aux moyens inédits, ce tropisme morbide qui a fait de l’horreur son média, n’est certainement pas un retour en arrière. Comme si les guerres de religion refaisaient surface. Il s’agit d’un approfondissement non d’une inflexion. Nous sommes simplement un cran plus loin. Rendre la vie plus bandante que la mort ? Que faisons-nous de nos pulsions ? Vieux problème nietzschéen : que devient la volonté de puissance sans discipline ? Discipliner les pulsions plutôt que les déchaîner, ce vieux problème de civilisation. La nôtre en est-elle encore capable ? Quelle discipline ? Proposez-vous un point de vue d’en haut, vertical ? Une éducation pulsionnelle novatrice ? Je crains qu’un tel projet n’entre en contradiction frontale avec notre modèle de développement économique. Si l’Etat a toujours le monopole de la violence légitime, le marché n’a-t-il pas celui de la bandaison légitime ? Une question de croissance.

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