Hitler, Staline ou Macron

Hitler, Staline ou MacronUn-ane-enseignant-les-Ecritures-aux-eveques[1]

  • Je m’inquiète. L’univers moral d’une large majorité de bacheliers se divise déjà en deux camps : d’un côté la DDHC (déclaration des droits de l’homme et du citoyen version logo et tee-shirt) ; de l’autre Hitler. Cette partition est claire, entérinée par l’institution et fait partie de portefeuille de compétences bachelier souhaité par le ministère. La soudaine percée de Jean-Luc Mélenchon risque pourtant de perturber ce bel ordre. En effet, l’élève devra désormais s’orienter entre Hitler, Staline et un troisième, le représentant officiel de la DDHC. Cette élévation brutale du niveau général nous fait courir le risque d’une désorientation des repères. Combien de directives, de B.O., de lettres de cadrage ont été nécessaires pour mettre de l’ordre dans l’univers moral de cette jeunesse à la dérive ? Je dois l’admettre,  les résultats sont à la hauteur : la DDHC, oui ; Hitler, non. Combien faudra-t-il demain de plans de formation, de lettres de mission, d’audits sur l’évaluation pour arriver à atteindre cet objectif humaniste de premier ordre : Hitler, non ; Staline, non ; la DDHC, oui ? Sans moyens supplémentaires, sans un effort colossal pour l’école de l’égalité citoyenne humaniste, je crains que ce nouvel objectif soit inaccessible.

Urne anarchiste

Urne anarchisteimage009[1]

  • Le mot anarchie ne désigne aucune doctrine précise, rien qui puisse être logé dans un système de propositions fixes. « C’est difficile à expliquer, l’anarchie… Les anarchistes eux-mêmes ont du mal à l’expliquer. Quand j’étais au mouvement anarchiste – j’y suis resté deux ou trois ans, je faisais Le Libertaire en 45-46-47, et je n’ai jamais complètement rompu avec, mais enfin je ne milite plus comme avant – , chacun avait de l’anarchie une idée tout à fait personnelle. C’est d’ailleurs ce qui est exaltant dans l’anarchie : c’est qu’il n’y a pas de véritable dogme. C’est une morale, une façon de concevoir la vie, je crois… » Du Brassens.

 

  • Pour Proudhon, Qu’est-ce que la propriété ? (1840), l’anarchie, c’est le refus de toute autorité. A moins qu’on aille chercher Max Stirner et son Unique (1844) qui expose les principes de l’individualisme anarchiste. Faut-il remonter jusqu’à la révolution française, au Christ, à Diogène de Sinope ? Comme le note Claude Harmel dans son Histoire de l’anarchie, « Si l’on rattachait à la lignée anarchiste tous ceux qui se sont révoltés contre le pouvoir, contre l’idée du pouvoir, l’histoire de l’anarchie se confondrait avec l’histoire des hommes : elle serait l’envers de l’histoire universelle, et elle appellerait le sociologue bien plus que l’historien. » (1) Difficile d’assigner en effet à l’anarchie un contour fixe dans la mesure où le principe anarchiste échappe, justement par principe, à toute détermination.

 

  • La contestation du pouvoir est une idée moderne. Pour qu’elle apparaisse, il aura fallu que les liens sociaux, les hiérarchies instituées et les différents étages de la domination perdent leur évidence. Si les idées anarchistes apparaissent au XVIIIème siècle, c’est que l’Etat perd progressivement son caractère sacré (2). Le pouvoir hérité ne va plus de soi, la soudure entre le divin et le politique se fragilise. La naissance de l’anarchie comme acratie repose alors sur une réappropriation l’homme. La désacralisation sociale est son terreau. Cette désacralisation religieuse et politique trouve un des ses aboutissements chez Stirner : ne resterait que l’Unique, le moi. Mais l’Unique n’est-il pas lui-même une « abstraction inhérente aux individus isolés » ? (3) Que reste-t-il une fois la désacralisation poussée à son terme ?

 

  • L’Unique pour Max Stirner, le moi irréductible ? L’ensemble des rapports sociaux pour Karl Marx ? Prises l’une sans l’autre, les deux positions sont intenables. L’hypothèse communiste est l’aboutissement logique de la thèse de Marx, sa réalisation politique. Mais son corollaire est implacable : il faudra nécessairement en passer par une prise de pouvoir, par une situation de domination. Quant à la thèse de Stirner, prise à la lettre, elle brise en mille morceaux les armes de la critique. Plus de rapports sociaux mais un signifiant fétiche : le moi. Que devient la thèse de Karl Marx instrumentalisée par un pouvoir qui m’écraserait ? Que devient la thèse de Max Stirner sous l’aplatissement consommé de la société des moi-je ?

 

  • Reprenons Engels à propos de Stirner : « C’est bien autre chose de s’occuper des choses réelles et vivantes, de processus historiques et de leurs résultats que de s’occuper de toutes ces chimères« . Quel fut le résultat réel et vivant de la désacralisation de l’homme ? Il est passablement naïf de voir dans l’échec historique du communisme la première esquisse ratée d’une hypothèse qui en sortirait indemne. Ce qui est en question, c’est toujours  le pouvoir et son institution. L’hypothèse communiste aux mains du pouvoir aboutit au pouvoir et certainement pas à la réalisation historique de l’hypothèse préalable. Mais la remarque vaut tout autant pour la thèse de Stirner. Un salaud capable d’imposer son ordre égotiste ne fera là que réaffirmer la tautologie du pouvoir : j’ai le pouvoir parce que j’ai le pouvoir. Par conséquent l’idée anar se situerait quelque part entre Stirner et Marx.

 

  • L’anarchiste, dans cette danse des millénaires, c’est le méchant, l’enragé, l’inconscient de la première heure. Le bouc émissaire. Questionne pour le jeu le libéral et il te répondra bien vite que tout cela n’est qu’utopie et chimère. Et pourquoi ? – tu as peut-être gardé quelque chose de l’enfant qui ne lâche pas aussi facilement une bonne question. Parce que c’est dans la nature de l’homme. A l’instant de mettre le pouvoir sur le tapis, notre bon libéral de salon te servira un peu de Hobbes, du loup pour l’homme, de l’apéritif à la sieste. Un vrai festin de philosophes tu verras.

 

  • Montre moi plutôt l’ordre qui n’a pas besoin de petits chefs. Montre moi des rapports sociaux où les loups de Hobbes rentrent à la bergerie. On s’empresse de pointer la menace du chaos mais on rechigne à nommer ceux qui l’exploitent. Le tropisme de perchoir est tenace. Et le catéchumène de s’inquiéter : – et si, oh grand Dieu, les ladres finissaient entre eux par trouver un accord fraternel, une façon de dire et de faire qui viendrait d’eux et non de moi ? Angoisse, plus de clients, plus de perchoir.

 

  • Alors le libéral menace. Il caquette citoyenneté, valeurs et humanisme. L’anarchie ? Ouvrez un peu les yeux : des individualistes à tous les étages, des abrutis, des incultes, du chaos en bas, en haut, au milieu, un désordre permanent. L’anarchie, mais quelle sombre farce ! Mais le désordre est-il une cause ou un effet. Si tu me souffles, balbutiant de terreur le sac serré dans tes petits doigts par peur de te le faire faucher, une cause, je te réponds avec Spinoza que seul Dieu seul a le privilège d’être cause de lui-même. Tu te rabats sur l’effet ? Effet de quoi ? De l’anarchie ou de la gestion cynique des rapports de force profitables ? Chose étrange, plus l’affaire va mal, plus l’anarchie a mauvaise presse.

 

  • Dessine moi un anarchiste. Non, celui-là est malade, trop bouffi. Non plus, celui-là a une grosse marque publicitaire sur le front. Mais non, cet autre encore prend sa paresse pour une révolution. Dessine plutôt une boîte, il se chargera des trous.

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(1) Claude Harmel, Histoire de l’anarchie, Ivrea, Paris, 2005, p. 13.

(2) Voir Claude Harmel, op. cit., Chapitre premier, Les tendances anarchistes dans la philosophie du XVIII siècle.

(3) Karl Marx, Thèses sur Feuerbach.

Crime parfait

Crime parfaitJeanBaudrillard1[1]

  • « Politiciens et publicitaires ont compris que le ressort du gouvernement démocratique – peut-être même l’essence du politique ? – était de considérer la stupidité générale comme un fait accompli : Votre connerie, votre ressentiment nous intéressent ! Derrière quoi se profile un discours plus sournois encore : Vos droits, votre misère, votre liberté nous intéressent ! On a dressé les âmes démocratiques à avaler toutes les couleuvres, les scandales, les bluff, l’intox, la misère, et à les blanchir elles-mêmes. » (1)

(1) Jean Baudrillard, Le crime parfait, 1995.