Macron et les bulles d’air du MEDEF

Macron et les bulles d’air du MEDEF

01[1]Laurence Parisot (sublimée par le peintre) et les helpers d’Emmanuel Macron

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  • En s’approchant vaillamment des moulins à vent, alors qu’il transperçait de sa lance une aile de géant, Don Quichotte roula au sol. Les caprices de l’air rendaient inabordable le morceau de voilure. Mais Laurence Parisot fait mieux que le sage Feston : elle transforme les géants en bulles d’air. Plus redoutable encore. « Il paraît bien, répondit don Quichotte, que tu n’es pas fort versé en ce qui est des aventures : ce sont des géants, et, si tu as peur, ôte toi de là et te mets en oraison, tandis que je vais entrer avec eux en une furieuse bataille. » Géants, moulins à vent ou bulles d’air, les choses de la guerre sont changeantes.
  • Laurence Parisot nous proposait déjà en 2007 – bien avant la grande marche du séminariste Macron – quelques leçons de secourisme. Tout commence par l’impôt sur les portes et les fenêtres. Promulgué sous le Directoire, en 1798, cet impôt était supposé s’appliquer en proportion du nombre de portes et fenêtres donnant sur les rues, cours ou jardin. Les propriétaires devaient s’acquitter de cet impôt facilement quantifiable depuis la voirie. « L’intention du législateur était claire : il s’agissait de créer un impôt progressif en fonction de la richesse du lieu. » (1) Conséquences ? « Les citoyens ordinaires se mirent à condamner autant de portes et de fenêtres qu’ils le pouvaient, et les architectes, à construire des bâtiments aux ouvertures de plus en plus petites. La trace de cet impôt est encore visible aujourd’hui, et il n’est pas rare de deviner sur les plus belles façades l’emplacement de fenêtres qui furent autrefois purement et simplement bouchées. » (2) Cible des mouvements hygiénistes au XIX siècle, l’impôt fut aboli en 1926.
  • Cette histoire de portes et fenêtres fait partie du grand vivier des ritournelles édifiantes du MEDEF. Après le grandiloquent « la culture c’est la vie » des années 80, en marche pour le tout nouveau tout beau « l’entreprise c’est la vie ». La thématique de l’oxygénation devrait convaincre les derniers psychorigides. La « flexibilité », avec le « dynamisme« , faisait déjà partie du grand concert entrepreneurial des années 80. Dans la TepSeg (la langue Tapie Séguéla), la flexibilité était le grand sésame, l’argument imparable à opposer à tous les bâtisseurs de rigide. Cette période, cela dit en passant, accompagnait une désindustralisation massive de la France dont nous payons aujourd’hui le prix.
  • Avoir « l’esprit flexible« , c’est s’adapter au monde tel qu’il pousse. Mais rien ne pousse sans oxygène. Alors, quand la France « s’exalte à défendre un modèle social à bout de souffle », décrète Laurence Parisot (3), elle respire mal et met en danger les plus chétifs. « Cela semble anodin d’abord, on s’y habituerait presque, mais les hygiénistes du XIX siècle ne s’y étaient pas trompés : quand on ferme les portes et qu’on bouche les fenêtres, les catastrophes s’enchaînent. » (4) On a compris, fini les rapports de force, exit la misère du travail aliénant ou le début d’une réflexion sur la profonde nullité de certains emplois de service – les fameux deux emplois décents du programme d’Emmanuel Macron. Tout se mesure désormais en quantité d’oxygène à humer, ce bien commun.
  • « Nous le savons tous indistinctement dès notre plus jeune âge, la respiration est une fonction première. Elle nous tient en vie, et plus encore. Respirer, c’est réaliser l’échange entre l’intérieur et l’extérieur, c’est faciliter le brassage entre le vieux et le neuf, c’est s’oxygéner le corps et l’esprit, c’est se renouveler, c’est vivre et revivre. Qui n’a jamais éprouvé le besoin de quitter au plus vite un espace où l’air était vicié ? Qui n’a jamais souhaité trouver un lieu où régnera un autre climat, moins lourd, moins pesant, moins conventionnel, plus fluide, plus créatif, plus libre. » (5) De l’art éthéré de la synthèse de tous les lieux communs. « Vivre » et « revivre », vivre pour commencer ; le « brassage », soupe primitive de toutes les créations, fusion de soi dans le grand corps de l’entreprise, ventilateur ; l’aérien, le léger, le volatile, le « moins lourd » ou le « moins pesant », mythologie de la brise, air conditionné, ductilité des transports, vaporisation des charges, des poids, des boulets et des ligatures. Avant d’être une superstructure chapeautée par un grand Sujet zénithal (Etat, Progrès, Entreprise), l’idéologie ça se hume, ça se respire à pleins poumons. Et puis ça gonfle les baudruches de la communication de bazar. Aujourd’hui, Emmanuel Macron
  • Donc « l’entreprise c’est la vie ! Et au commencement de la vie… est la création. » (6) Le grand démiurge de cette auto-poïesis entrepreneuriale reste le chef d’entreprise, croisé d’un nouveau monde mis en scène dans une rubrique justement intitulée : « citoyens du monde ». « Entrepreneurs-aventuriers, entrepreneurs-pionniers, entrepreneurs-inventeurs ou entrepreneurs-témoins de ce monde inédit, nous aimerions transmettre aux nouvelles générations la même capacité d’émerveillement qu’ont donnée les maîtres et les maîtresses d’école, le même goût pour l’avenir, la même espérance dans le futur. » (7) A croire qu’il n’existe plus d’instituteurs et que l’émerveillement en blouse bleue est à ranger dans le musée des tableaux noirs demain échangés contre des tableaux interactifs. Quoi de plus juteux que le marché de l’éducation pour assurer la pérennité du réservoir client et votant. Dans ce messianisme, le premier franchisé venu pourra se rêver en instructeur du nouveau monde. Mais les nouveaux hussards du management n’émerveilleront pas en faisant découvrir les subtiles finesses de la géométrie du plan ou les espaces infinis qui effraient mais en assurant l’indiscutable promotion de quelques représentants de commerce soudain promus petits pères du peuple par la seule force de l’air.

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(1) L. Parisot, Besoin d’air, Paris, seuil, 2007, Préface.
(2) Loc.cit.
(3) Loc. cit.
(4) Loc. cit.
(5) Loc.cit.
(6) Loc. cit.
(7) Loc. cit.

Note matinale

Note matinale

  • La ministre de l’Education nationale nous parle ce jour des « failles de l’éducation à la citoyenneté » ? Il serait bon, avant de colmater les trous avec deux ou trois gadgets citoyens, de réaliser à quel point des pans entiers de l’intelligence et de la culture se sont tout simplement effondrés dans les lieux de savoir – entre les murs ? Ah bon, tu vois des murs ? A quel point les passeurs de textes et d’idées sont devenus les contrebandiers d’un système éducatif clientéliste et démagogique. Ces marginaux isolés, ces combattants de l’ombre, encaissent les coups quand on leur demande, sous directives ministérielles, d’élargir le « portefeuille de compétences » des élèves. Ils courbent le dos à l’occasion d’un audit sur l’aide personnalisée au lycée. Ils se terrent quand des directives les somment « d’enseigner aux élèves qu’ils sont tous égaux. » Après des années de lessivage pédagogique, de réunions d’ajustement, de recadrages, d’harmonisations, d’ententes, s’il tiennent encore debout, il trouveront peut-être la force irrespectueuse de ne surtout pas changer.