Benoît Hamon, l’anti-Nietzsche

Benoît Hamon, l’anti-Nietzsche

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A ma sœur, une nietzschéenne qui s’ignore encore

  • Benoît Hamon a fait carrière dans le parti socialiste, ma sœur, comme d’autres font carrière dans le pinard ou les assurances. De la présidence des jeunes socialistes (MJS) en passant par la députation européenne (2004-2009), il représente par excellence l’homme d’appareil. Tout commence en 1986. Souvenez-vous, les manifestations étudiantes contre la loi Devaquet (« Devaquet au piquet, Devaquet au piquet ! »). Génération touche pas à mon pote et à mes diplômes au rabais. 30 ans après, le Bac est devenu une farce nationale et les universités de sciences humaines recrutent des professeurs de collèges pour alphabétiser les jeunes bacheliers fraîchement inscrits en LEA. Oui, c’est le cas à Bordeaux. Une dénommée Najat-Vallaud Belkacem, qui figure en bonne place dans le premier numéro de Lui, poursuit, en sa qualité de ministre de l’éducation nationale et du supérieur,  le travail de démolition programmé sous couvert d’égalité des chances sans rien trouver à redire à cette tendance générale. Quelle promotion tout de même pour un modeste militant comme Benoît Hamon de se retrouver à Bercy au milieu d’une masse qui scande son nom au seul titre qu’il est le représentant du parti socialiste à l’élection présidentielle. Quel autre parcours que le carriérisme politique aurait pu le conduire d’ailleurs, sans autre talent que celui d’avoir fait son devoir d’appareil, à une telle gloire ? Sa licence d’histoire ? Qu’aurait pu espérer Benoît Hamon avec cela, sa rose et sa main jaune sur le cœur, si le parti socialiste ne l’avait fait politique.

 

  • Certains demandent aujourd’hui à Benoît Hamon de retirer sa candidature au profit de celle de Jean-Luc Mélenchon. Une demande somme toute assez logique. Mais mesurez-vous seulement la hauteur du sacrifice pour un homme que le parti socialiste a fait et qui découvre enfin la lumière en brandissant la rose. Lui, le militant grisouille des premiers combats inutiles, aurait donc le pouvoir de mettre à terre la gauche divine d’appareil ? Tout cela bien sûr est au-dessus de ses forces. Il est trop petit. Cet acte romantique, un tantinet nietzschéen (« J’aime ceux qui ne savent vivre quand déclinant »), offrirait à Benoît Hamon une dimension historique (relative, soyons lucides, nous restons modernes). En un mot, pour reprendre la formule de Gilles Deleuze, il ferait de cette « négation l’agressivité d’une affirmation »(1), il se vaincrait lui-même dans un renoncement qui le ferait passer du dernier militant au surmilitant.  Il mettrait à terre son parcours dans une métamorphose héroïque. Il passerait ainsi de l’autre côté du pont. Il préfère de loin se vivre en martyr trahi, en christus dolens. La rose et les épines, ces ombres du politique chères à la gauche divine.

 

  • Hélas, le pronostic est sombre : Benoît Hamon est un anti-Nietzsche. Un seul troupeau, tous sont égaux : voilà notre homme. Son parcours politique est incompatible avec le grand risque, avec le renoncement joyeux et le glorieux déclin. « Bien fou qui trébuche », nous dit Nietzsche. La généalogie, voilà la clé. D’où vient l’homme ? Qu’a-t-il fait ? Quels sont ses mérites ? Par où passe sa volonté de puissance ? Qui est-il et que peut-il ? Les logiques calculatoires, les sondées, sont de peu de poids face aux trajectoires des hommes, aux forces souterraines qui orientent les grands choix d’une vie. Demanderiez-vous, simplets rationalistes, au parti socialiste de devenir nietzschéen ? Demanderiez-vous aussi aux électeurs du front national de lire instamment du Jankélévitch ? Réveillez-vous et prenez l’homme en compte, pesez-le enfin. Cessez de barbouiller vos valeurs, votre logique d’épiciers et vos gémissements sur des soldats de plomb. Le parti socialiste ne peut pas produire des hommes capables de s’anéantir aux pieds de l’idéal. Regardez Cambadélis, le premier secrétaire,  cette grosse marquise joufflue, voyez-vous là un funambule qui ferait du danger son métier ? Voyez-vous là une corde ? Voyez-vous là un pont ?

 

  • Un ami me demandait récemment : mais de quel bord es-tu ? Du côté de l’homme, de la bête raisonnante. Toujours. Tout désir de changement, tout vœu pieu, toute politique, de droite, de gauche, toute marche vers demain sont destinés à se fracasser lourdement sur ce que peut ou ne peut pas cette bête-là. Ne jetons pas la pierre à Benoît Hamon. Il est ce qu’il peut, rien de plus, rien de moins. Il porte mais ne passe pas. Arrêtons un instant de croire que l’homme a la capacité soudaine de devenir autre sur le seul critère de la beauté du geste. En êtes-vous d’ailleurs capables vous-mêmes, avez-vous la force de vous surmonter jusqu’à faire de votre déclin une esthétique militante ?

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(1) Gilles Deleuze, Nietzsche et la philosophie, « Contre la dialectique ».