L’accouchement du philosophe

- On appelle cela l’oseille, les pépettes, la maille. Critiquer la maille ? Eux tiquent. Socrate parlait lui du comptoir des banquiers. Un endroit peu propice, il est vrai, pour pratiquer l’art d’accoucher les esprits. La maïeutique dans le jargon. Ce quelque chose dont tu me parles, mon cher Hippias d’Europe 1, est en toi. Je ne peux, hélas, te le transmettre. Mon savoir n’est pas un fluide qui pourrait couler de mon bocal dans le tien. Souviens-toi de la réponse de Socrate à la demande d’Agathon dans le Banquet : le savoir ne se transmet pas par osmose et diffusion capillaire. On ne remplit pas des vases, mon cher Hippias d’Europe 1. Ce n’est pas comme cela que ça marche. Non, il te faut pousser. L’accouchement de ta vérité sera un tantinet plus violent. Elle sortira de ta tête comme Athéna sort de celle de Zeus. Je ne peux, tel Héphaïstos, le fils difforme et forgeron, que te fendre le crâne à coups de hache pour provoquer la chose. Il te faudra malgré tout pousser fort, aller chercher loin dans ton esprit, te défaire de ton image. Tu peux le faire, cher Hippias d’Europe 1, tu en as les capacités. Il est possible que les flatteries du monde aient légèrement ramolli ton esprit mais il serait dogmatique de préjuger de ta force. Ce jour-là, le jour de ton propre accouchement en direct, nous pratiquerons l’amphidromie. Dans une messe païenne et joyeuse, forcément critique, nous chanterons ta valeur. Jamais plus tu ne demanderas que l’on t’apprenne quoi que ce soit avant de répondre. Tu répondras de toi-même. Tu auras enfin vaincu la maille dans les douleurs de l’enfantement. Tu seras philosophe. En attendant ce jour béni, je t’en conjure, pour le soin de ton esprit et le bien de la cité, pousse encore.
