Experts de droite, cultureux de gauche et tiers exclu

Experts de droite, cultureux de gauche et tiers exclu

Afficher l'image d'origine

 

  • La dépolitisation ? Le terme vient de loin. On trouve le verbe dépolitiser dans le vocabulaire de De Gaulle affirmant, dans une conférence de presse du 16 mars 1950, qu’il est nécessaire de « dépolitiser les syndicats« . De Gaulle au Vélodrome d’hiver le 14 décembre 1948 : « Il faut de fond en comble que le syndicalisme se lave de la politique » – comme si la politique était une tache. L’objectif pour les candidats du RPF puis de l’U.N.R est bien de « dépolitiser », autant dire de ramener les problèmes nationaux, régionaux ou municipaux à une forme de neutralité idéologique propice à une gestion mesurée et circonstanciée de l’intérêt collectif. L’association entre « dépolitisation » (terme plus tardif que celui « d’apolitisme » ou de « politisation« ) et « désidéologisation » ne fait pas de doute historiquement. Dépolitiser, c’est-à-dire dépasser, en vue de l’intérêt collectif, les querelles dites « partisanes ».

  • Debré, le 15 janvier 1959, devant l’assemblée nationale : « Il est nécessaire, dans l’intérêt national, de faire échapper nos problèmes vitaux aux discussions partisanes – en quelque sorte de les « dépolitiser »… L’exigence s’impose à tous de ne pas ouvrir de litiges en revêtant les problèmes fondamentaux du manteau chatoyant du vocabulaire dit politique et, en vérité, partisan. La « dépolitisation » de l’essentiel national est un impératif majeur ». Mais la dépolitisation souhaitée par l’U.N.R est interprétée dans un sens tout à fait différent par la gauche française. Le retour de De Gaulle en 58 s’accompagne d’une abondante quantité d’articles et d’analyses sur la « dépolitisation », « la déprolétarisation », « l’américanisation » de la France, la fin des « idéologies politiques ». La gauche non communiste cherche les raisons du marasme dans une lecture non plus strictement politique de la dépolitisation mais sociologique, économique et culturelle, jouant désormais le jeu de ceux qu’elle feint de combattre.

Afficher l'image d'origine

  • Un problème est politique lorsqu’il n’existe aucune équerre normative pour trancher en faveur d’une solution ou d’une autre. La solution choisie aura nécessairement des implications collectives. Autant dire que toute question politique implique la confrontation d’évaluations qui n’ont de comptes à rendre à aucun discours de surplomb – celui de l’économiste, du technicien, du scientifique, en un mot de l’expert. Lorsque l’affaire devient politique, il y a forcément combat. Ce qui apparaît en filigrane du discours de Debré (« La « dépolitisation » de l’essentiel national est un impératif majeur ») c’est la nécessité d’envisager un consensus sur « l’essentiel« , sur des « questions vitales« , autant dire soustraire une partie de l’interrogation collective à la lutte. Ce noyau neutralisé, sans taches, pourra être envisagé comme l’objet d’une prise en charge technicienne. Par contamination réaliste, cet essentiel va s’étendre progressivement sur le mode du fait accompli. Il est dès lors essentiel de lever toute querelles dites « partisanes » sur ce qui est essentiel à l’essentiel.
  • La dépolitisation est le résultat d’un matraquage médiatique qui consiste, au nom d’un principe réaliste d’efficacité, à soustraire des pans entiers de l’action collective à la critique politique. Que ce matraquage suscite en retour une forme de violence inédite ne surprendra que ceux qui ont fait de l’expertise politique leur fonds de commerce. Nous sommes bien en présence d’une nouvelle forme de lutte qui appelle en retour une nouvelle forme de violence critique et politique. Face à cette machine à broyer hégémonique, il nous faut inventer des stratégies inverses qui en passeront nécessairement par des formes d’humiliation symbolique. Ici, la gauche cultivée, pour préserver sa bonne conscience morale, se pince le nez. Elle ne mange pas de ce pain-là, n’éructe pas, n’humilie personne. Elle a trouvé dans la culture un petit fortin qu’elle préserve de la médiocrité galopante. Son fait de gloire ? Ne pas participer à l’abrutissement général tout en jugeant sereinement le mauvais goût politique des mécontents. L’homme de gauche c’est l’homme qui n’est pas un salaud. En ce sens, elle s’est transformée en une posture morale dépolitisée qui se distingue par ses goûts et ses dégoûts d’une masse moyenne déclassée.

  • Entre les experts de l’hégémonie crétino-libérale et les cultureux du bon goût, la haine grandissante du tiers exclu.

Laisser un commentaire