Raphaël Enthoven, l’Hippias d’Europe 1
ou la soumission aux puissances maquillée en philosophie
- Mettre dans un même panier, celui du rejet de la démocratie, les opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les partisans d’Hilary Clinton et ceux de Nicolas Sarkozy aux primaires « de la droite et du centre » n’effraie pas Raphaël Enthoven et sa morale de l’info distillée quotidiennement sur les ondes. Suivons sa logique du jour : « La vérité de leur cause l’emporte sur la réalité de leur déroute. » « Autrement dit, comme ils ont une opinion avant d’être démocrates, ils ne sont démocrates que lorsque c’est leur opinion qui l’emporte. » Conclusion : « S’ils étaient démocrates avant toutes choses, les zadistes seraient tous favorables à la construction de l’aéroport. » Et si la rhétorique, Raphaël Enthoven, n’était qu’un habile instrument pour faire triompher les causes les moins justes ? C’est en ces termes que Socrate s’adresse aux sophistes – Hippias d’Elis pour n’en citer qu’un – eux qui ne s’éloignent jamais « du comptoir des banquiers. » (1) Socrate n’était pas démocrate pas plus que Léonard de Vinci n’était un bétonneur en situation nationale de monopole. « Pour qu’un choix soit juste, affirme-t-il dans le Lachès, je crois qu’il doit se régler sur la science, et non pas sur le nombre. » Quelle science, Raphaël Enthoven ? Celle du rapporteur public qui met en avant l’instabilité des sols sur la zone ? Celle du spécialiste du campagnol amphibie menacé par la destruction de son milieu ? Celle des trois inspecteurs des ponts, des eaux et des forêts qui jugent le projet surdimensionné et hautement nuisible pour l’environnement ? Celle des agriculteurs locaux qui arpentent la terre au quotidien ? Celle de Raphaël Enthoven chroniqueur à Europe 1 ?
- Campagnol amphibie, Socrate est mort d’avoir fait de la politique en philosophe, accusé, dans la mémoire collective des athéniens, d’être proche des oligarques qui avaient tenté de renverser la démocratie en 404 av J.C. Mauvaise conscience du plus grand nombre, adversaire déclaré des visées impérialistes d’une démocratie désormais corrompue, Socrate ne faisait pas de la loi majoritaire l’étalon du vrai et du juste. Bien au contraire, la justice est pour lui une condition, non effet. On doit être juste avant d’être démocrate, la démocratie – ou ce qu’il en reste – dût-elle en pâtir. Depuis quand la loi de la majorité a-t-elle besoin du secours de la morale pour se faire entendre ? Depuis quand le tapage du plus grand nombre passe-t-il avant l’exigence de savoir, de justice et de vérité ? Depuis quand Vinci autoroute & co a-t-il besoin de philosophes à la radio?
- Les zadistes (terme utile, j’en conviens, pour disqualifier un mouvement de rejet qui ne se limite pas aux occupants de la zone) ne sont pas là pour satisfaire la démocratie ; Socrate ne s’adressait pas à l’héliée pour plaire au public. Quelques zonards paumés dans des cabanons comparés au divin Socrate ? Oui mon ami, la destruction des cultures en France passe avant France culture, tout comme l’idée passe avant la courbette mondaine et le clin d’œil philosophique aux grands noms de l’histoire. Il est question de combat pas de débat. En outre, je ne risque pas de perdre mon salaire en affirmant, sur ma matinale personnelle, que les brillants causeurs ne sont que de petits sophistes proches du comptoir des banquiers. L’Etat me paie pour corriger des copies médiocres en grosses quantités pas pour faire la morale aux culs terreux au nom de la démocratie un mercredi matin à la radio.
- L’attitude au combat de l’hoplite, celui qui fait face à l’ennemi, qui tient la position sans déserter, quelle que soit la dureté des conditions de la lutte, me paraît autrement plus respectable, Raphaël Enthoven, que celle du discoureur rémunéré qui délivre, le cul au chaud, des bons points de démocratie. Ce qui est grand en Socrate ce n’est pas sa rhétorique, pénible quand elle devient pédagogie redondante, radotage questionnant, mais son courage à affronter les ombres de la rumeur et les calomnies de la foule. Ce que charrie aussi la démocratie en grande quantité sur les autoroutes de l’info.
- Ce que l’on constate par contre depuis tant d’années, sur les chaînes télévisées, les grandes ondes, les maisons d’édition qui ont pognon sur rue, ce n’est rien d’autre que la soumission grandissante et le larbinat de l’esprit, la démission intellectuelle lorsque la causerie n’a pas derrière elle le secours d’une puissance établie. Le régime démocratique, dont Raphaël Enthoven, Hippias d’Europe 1, se targue d’être le digne héritier, fut responsable de la mort de Socrate. Bien sûr, quand il s’agit de mettre en avant l’esprit critique en général, le doute et le questionnement sur des sujets sans enjeux économiques, les discoureurs rémunérés se précipitent. Socrate, ce héros. Mais que l’affaire devienne sérieuse, que les banquiers bétonneurs lèvent le petit doigt et la débandade s’amorce. Les brillants causeurs quittent alors dare-dare le radeau de la critique pour retrouver les halls d’embarquement de la démocratie-Vinci-autoroute-péage avec le gros de la troupe.
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Platon, Hippias mineur.