Bernard Stiegler, marin d’eau douce

Bernard Stiegler, marin d’eau douce

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  • Que vaut un livre qui scande la valeur esprit mais qui nous glisse à la fin un bulletin d’adhésion à une association internationale pour le réenchantement du monde ? Les grands constats interplanétaires sur l’état du désenchantement mondial sont posés par Bernard Stiegler depuis au moins dix ans à « nous, les humains… » (1) Pour une large part, notre période se pense comme pré-apocalyptique. Nombreux sont ceux qui désirent honnêtement, à coups de concepts magiques, sauver la planète d’un immense tsunami de nullité vectorisé, tensorisé, médiatisé (peu importe le bidule qui dit le mouvement de la vague) par des hypomnémata out of control of spirit value. Pesée, contre pesée : tous au chevet du malade. En anglais, de préférence. Le grand monstre virtualisé a fait aujourd’hui ? Couleur des selles ? Négentropiques, entropiques ou métastables ? Les Diafoirus de l’e-learning font dans la prévision, montent sur l’échelle et prêchent le grand péril déjà porté par des petits démons tel Patrick Le Lay, pionnier en la matière, dont l’insondable profondeur de vue marquait, dès 1987, le recul des eaux avant le raz-de-marée final. Les philosophes font aujourd’hui dans le prophétisme planétoïde et le canotage critique.

 

  • Difficile pour autant de lancer des anathèmes contre l’avachissement sans proposer des solutions de rechange. Critique oui, constructive c’est mieux! De là la profusion des associations internationales avec comme porte-voix, pour le défilé clanique, un réajustement postmoderne des prophéties de Nostradamus. Le texte, plat comme une limande, ajustant le concept pour dire la paternité de l’idée, berceuse pour notre temps. Embarqué dans la coquille de noix du nécessaire crédit à faire à l’auteur, le lecteur dérive. Première bouée : Patrick Le Lay. TF1, c’est pas bien. Arrimer la bouée avec Gilbert Simondon. Sur le filin, des coquillages pour faire ancien : Deleuze, Foucault, vieilles moules de la contestation. Deuxième bouée, à la hache : « sortir du capitalisme barbare. » Puis vient le mélange de grec, de mots coupés en deux (« trans-formation », « techno-logie », « éco-logie », « e-learning ») et de grands slogans sur le capitalisme. Une étude systématique sur les régimes de discours de ces prophéties numériques reste à inventer. Le mot coupé en deux touche un public de l’entre-deux mer. Puis vient la séparation des eaux, elle vient toujours : le fatalisme, « combattu par la pensée des lumières » ou la résistance et la lutte pour la « valeur esprit » : « l’esprit est avant tout ce qui est capable d’imaginer et de concrétiser des alternatives, et ce qui ne peut se constituer que comme association des esprits. »

 

  • Ça tangue. Patrick Le Lay et le baron Seillière sont en vue. « Autrement dit, il faut organiser systématiquement la lutte pour l’augmentation de la valeur esprit ». Tirs de boulets à tribord : Star Ac, TF1, Le Lay, Seillière. « Débilité intrinsèque de la société industrielle »: le philosophe écope. « L’enchantement, comme projection du désir, est la seule possibilité de trans-former l’intérêt individuel en intérêt collectif. » La lutte sera féroce s’égosille le moussaillon : « la poursuite de l’hyperindustrialisation est inéluctable : à cet égard, en effet, there is no alternative. » Oh, no ! « Les technologies de l’esprit peuvent et doivent devenir un nouvel âge de l’esprit, un renouveau de l’esprit, une nouvelle « vie de l’esprit » « . A couvert, Le Lay à la manœuvre: « La « Star Ac » est devenue un vrai phénomène de société : nous n’en sommes pas peu fier. » (2) Le philosophe écope, en priant le dieu des rivières, Ars Industrialis. Retour sur la terre ferme. Un colloque chez SFR pour sécher l’équipage ?

 

  • Le philosophe flibustier, entre divination et ressource, désenchanté et maître enchanteur, dresse le pavillon de complaisance pour naviguer en eaux troubles : philosophe dans les hostiles contrées marketing ; engagé dans la cité des hommes pour ses collègues restés à quai. Agent double de notre temps, Industrialis le jour, Ars la nuit, armé d’un discours polymétallique, sans peur et sans reproche, il engage la lutte finale. Albator des missions impossibles, nom de code valeur esprit. Ars Industrialis ? C’est beau.

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(1) Toutes le citations sont extraites de Réenchanter le monde, B. Stiegler, Ars Industrialis, Paris, Flammarion, 2006.

(2) Celle-là est de Patrick Le Lay, cité par Stiegler et Ars Industrialis.

Publié dans : Fin |

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