Les couillus démolisseurs de Tombouctou

Les couillus démolisseurs de Tombouctou

 

  • A quelques jours d’intervalle, nous contemplons, sur nos écrans de contrôle, la destruction immobilière du port phénicien de Beyrouth et celle des mausolées de Tombouctou. Les mercenaires du bétonnage, rafraîchis en dollars, ne voient aucun intérêt à la préservation de ces ruines portuaires datant du Ve siècle ; les ensablés du cervelet, rafraîchis si Dieu le veut, ne voient aucun intérêt à ne pas fracasser de la caillasse en gueulant Allah Akbar pour se donner du courage en plein midi.

 

  • Intéressons-nous à la seconde « alternative » de cette désormais convenue « fin de l’histoire ». Encore faut-il que le caillou en question ait une valeur symbolique, qu’il soit agréé UNESCO. Les couillus compagnons de la concasse à Tombouctou justifient le labeur en faisant valoir que ce n’est pas à l’UNESCO de statuer sur la nature de la caillasse qui fait accessoirement office de lieux de culte pour la population locale. L’idée mérite d’être dûment creusée.
  • L’UNESCO, voilà ce qu’il s’agit de mettre en miette, le symbole. Le jour où les corons accèdent au statut immémorial de « patrimoine mondial de l’humanité », plus au nord, des burineurs inspirés par Allah (pourquoi ne pas les croire ?) plus au sud défoncent des mausolées à Tombouctou. Imaginera-t-on un instant les corons reprendre pelles et pioches pour détruire ce qu’il reste de l’endroit où ils piochaient ? De là à dire que les anciens mineurs, ceux du nord, sont, au même titre que la population locale de Tombouctou, d’affreux idolâtres, il n’y a qu’un pas. Les incrédules de Tombouctou croient encore à la vieille légende, comme les mineurs du nord aux corons ou les archéologues démissionnaires de Beyrouth aux ruines antiques. Ils déifient le passé. Mausolées ou tas de sable, port phénicien ou Bouddhas, le lieu vénéré a un sens humain. La porte du mausolée ne s’ouvrira qu’à la fin des temps dites-vous ? Réveillez-vous tombouctiens du monde d’hier, nous avons fait sauter la porte. Preuve est faite que la fin des temps n’est pas pour aujourd’hui. Eureka s’écria Archimède avant le progrès ; Allah Akbar s’égosille les démolisseurs à son terme.
  • Bouddhas, mausolées, totems, tas de sables ne reste, à une période post-historique, qu’à soigner la destruction finale. Nihilisme ? Plutôt  démolition somptuaire. L’UNESCO (mais qu’est-ce que ceci ?) attribue une valeur supérieure, un sens historique aux mausolées ? Nous, compagnons de la concasse, paumés, pécores et analphabètes, abrutis aussi, nous affirmerons, à grands de coups de pioches et de tatanes, un sens dans la destruction du vôtre. La signification de notre acte n’est autre que le refus que quelque chose de sensé pour l’homme puisse encore tenir debout. L’UNESCO et les populations locales sont complices d’une même idolâtrie. Comment pouvez-vous croire à ces ruines, à ces tas de pierre au début du XXIe siècle ? Le bon sens nous égare. Les ensablés du cervelet ne promettent pas un nouveau moyen age, un retour à je ne sais quelles valeurs rétrogrades mais accompagnent, dans leur style propre, les destructions qui chantent, celles de tous les couillus démolisseurs qui ne croient plus aux contes de fées, aux petites histoires de tradition, de saints et de tas de sables ancestraux.
  •  Et les couillus démolisseurs ont mille visages. Tantôt entrepreneurs à Beyrouth pour cause immobilière, tantôt rénovateurs de façades à Startford pour cause olympique, tantôt ensablés du cervelet à Tombouctou pour cause d’Allah Akbar. Les démolisseurs pullulent sous toutes les latitudes, de l’Orient à l’Occident en passant par le milieu. Ils concassent et pulvérisent, tantôt à la pelle, tantôt à la pelleteuse, une question de croissance. Tantôt à mains nues dans les comics.
  • Ce mouvement d’ensemble de démolition (qu’il serait passablement faux de réduire à une seule contrée géographique, à une seule détermination religieuse ou politique) à ses accès de fièvre (hier les Bouddhas de Bamiyan, aujourd’hui les mausolées de Tombouctou). Il s’inscrit plus largement dans un processus historique inédit, celui qui consiste à liquider l’histoire humaine une bonne fois pour toute. Quand le passé ne signifie plus rien, quand l’homme n’a plus pour seul horizon que le présent éternel, ânonné en croissance, en Allah Akbar ou en dollars (la nature du mot importe moins que la fonction tautologique qu’il occupe), tout ce qui témoigne de la survivance d’un sens mérite d’être détruit afin que les amnésiques, à la fin de l’histoire, ne souffrent pas trop de l’aplatissement irréversible des dimensions de l’homme.
  • Cette nuit, mon grand-père est mort, tout près de la centaine. Il savait faire le vin et les gâteaux de noix.

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Publié le 03 juillet 2012

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