La gerbe globale
« Quand tous les calculs compliqués s’avèrent faux, quand les philosophes eux-mêmes n’ont plus rien à nous dire, il est excusable de se tourner vers le babillage des oiseaux ou vers le lointain contrepoids des astres ».
M. Yourcenar, Mémoires d’Hadrien.
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- Menace terroriste mondiale, marche planétaire pour le climat, flux migratoires massifs, dérèglements structuraux, crises endémiques, enjeux géo-stratégiques globaux, autant de formules qui placent l’esprit en face de représentations sans objets. Ces images flottantes, agrégats de photographies, de documentaires « minute », d’analyses à la louche, de fils « actu » et « live »sont particulièrement propices aux délires en tous genres.
- La mondialisation des esprits fait autant de ravages que la mondialisation des échanges de biens consommables, de devises, de capitaux, de gadgets débiles. Comment vivre au quotidien – quotidien qui apparaît d’ailleurs comme toujours plus indigne d’attention – lorsque l’esprit flotte au milieu de ce maelström globaliste supposé renvoyer à ce qu’il y a de plus essentiel à considérer ? Frappée d’insignifiance, la vie incarnée, singulière, située, se déréalise. Une projection vide, qui mesure l’importance d’une représentation à son gigantisme, place l’homme dans une situation intenable. Saturé d’enjeux planétaires disponibles à tous moments, il se « planétarise », le cul derrière son écran plat. Les informations qu’il reçoit, par nature sidérantes, ne peuvent plus faire sens tant elles s’accumulent, se contredisent, s’aplatissent les unes sur les autres.
- Les racines angoissantes de la Nausée de Sartre sont un bouquet garni à côté de ce flux planétaire de débris sémantiques. La gerbe est hélas spontanément associée aux reflux du corps. Qu’en est-il pour l’esprit ? Comment décrire cette insupportable saturation d’actualités terrestres globoïdes ? Dans L’homme sans qualité, Robert Musil fait dire à son héros d’antan qu’il est bon de résoudre des intégrales, pour maigrir après une soirée mondaine.
- Pour moi, ce sera le ciel, ma première passion, les étoiles, les galaxies, ces halos lumineux vis-à-vis desquels l’homme se situe dans ce qui reste son véritable destin métaphysique, un mystère peu propice au buzz ou à la terreur orchestrée des masses hystériques par les perfusions chroniques d’actualités planétaires. Il y a tout de même quelque chose de profondément écœurant et nauséeux dans cette façon dont le mondial rend hommage à la mondialité dans un circuit tautologique où le même – hier « je suis Charlie », aujourd’hui le drapeau français, demain les nuanciers de vert de la COP 21, dans trois jours les anneaux olympiques – recouvre l’identique à perte de vue.
- L’onanisme planétaire n’a certainement pas contaminé toutes les parties du globe. Des paumés résistent avec le ciel, et non le net, en toile de fond. En voiture, pour contrarier la nausée, toujours viser un point fixe, l’horizon. Un petit quart d’heure sur LeMonde.fr (un parmi d’autres) et la gerbe globaliste pointe le bout de son nez. L’esprit se téléporte en deux clics aux quatre coins du globe dans une spirale dénuée de sens, incohérente, ubuesque au mieux, vomitive au pire. Pascal n’aurait jamais écrit que le silence des deux infinis l’effrayait s’il avait connu ça. Jamais.
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Publié le 01 décembre 2015