Contaminons Twitter

Contaminons Twitter

 

Dix jours à pondre des aphorismes sur Twitter sous le sobriquet baroque Bernathoustra. Dix jours pour mesurer l’ampleur de la catastrophe.

  • L’exercice, sous contrainte, n’est pas déplaisant en soi. 140 signes pour produire du sens, faire un petit effet, décrocher un sourire, décapiter selon l’humeur, toujours avec courtoisie, avec des mots, dans les formes, à la fine pointe réflexive de la civilisation occidentale.  Pourquoi pas. Glisser une citation entre deux idées. Ne vous laissez pas abuser toutefois par le nombre de « tweets » en haut à gauche sur les différents sites. La quasi totalité des « twitters » ne font que « retwitter », c’est-à-dire cliquer sur un moignon de signes déjà « retwitté » cent fois. L’effort créatif est aux antipodes de cet espace machinique de duplication du même.

  • Vous entrer ici dans un univers tautologique, asubjectif, paresseux, narcissique, autiste. Aucun effort de syntaxe, des « # » et des « @ » en pagaille, un fouillis de signes souvent incompréhensibles, ramifications de renvois, d’abréviations tronquées, de clins d’œil débiles. Univers publicitaire dans lequel, bon en mal an, chacun met sa camelote en scène. Aucun effort de style. D’où la conclusion :

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« Ce n’est pas parce que le média interdit de faire des phrases sensées que les gens salopent. Ils s’autorisent plutôt du média pour saloper ».

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  • La même information n’est pas reprise deux ou trois fois mais mille fois, dix mille fois. Suivre un « fil de discussion » est une épreuve asilaire. Vous constaterez, d’un moignon à l’autre, la logique implacable de cet immense processus d’uniformisation qui laboure l’esprit. Essentiellement dominée par les professionnels de la communication et du journalisme (je peine d’ailleurs à les différencier) et par une armée de jeunes zombies virtualisés, la chose a tout du cauchemar. Nombre d’abonnés, d’abonnements, tout est capitalisable. Combien pesez-vous ? L’objectif est simple : cumuler des points, des clics, des visites. Cliquer pour être recliqué ; recliquer pour être rerecliqué ; rererecliquer pour être rererererecliqué.

  • Le discours est rodé : ce n’est qu’un moyen. Mieux : tout le monde le sait. Pire : pourquoi chercher du sens dans tout ceci ? Les vieux barbons cathodiques adoptent un style jeune et cool (« ptdr », « LoL »), drague obscène du client, retape promotionnelle. Twitter et ses succédanés ne sont pas un moyen mais un processus de démembrement faussement horizontal, processus qui accomplira (Twitter ou un autre) la prophétie d’Orwell : l’incapacité d’exprimer le réel dans une langue. L’utilisation de signes mimétiques dans un effrayant somnambulisme se décompose en même temps que le monde qu’elle duplique. Comment peut-on imaginer qu’il puisse sortir de tout cela autre chose qu’un homme soumis, incapable de se signifier sans reproduire les codes que des machines inventeront pour lui ? C’est ici que le cynisme des maîtres joue à plein : ceux qui maîtrisent leur langue n’ont que peu d’intérêt à limiter le processus de décomposition chez ceux qu’ils dominent. Autant venter les mérites de ce nouveau rapport à l’écrit, célébrer les nouvelles anarchies d’internet et la libération par le réseau. Avons-nous d’autre destin que celui de devenir les minorités parasitaires de ces monstruosités majoritaires ?

  • Ironie morbide, enfin, de lire, ici ou là, que nous avons gagné quelque chose avec ces nouveaux « moyens ». Aux odieux perroquets, aux bousilleurs de langue, aux salopards adaptés, je réserverai mes meilleurs traits – et non pas tweets. Sur tous les supports, nous devons lutter pour conserver notre langue. Sans elle, nous ne serons plus rien. Le barbare c’est celui qui croit avec la barbarie.

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