Les butins de Panurge
- Qui, en ces temps volatils, aura le courage d’aller jusqu’au bout d’une idée fixe? Plutôt papillonner, c’est la fin de l’histoire. Nous passons aériens d’une idée à une autre, d’un frétillement au prochain, oublieux de la veille, excités par demain. Aucune vision honnête n’a pu voir le jour sans un surcroît de raide ? Une idée dogmatique pour nos coléoptères.
- L’homme d’aujourd’hui est beaucoup trop adapté. On le dit en souffrance ? Mais c’est tout le contraire : il est vraiment trop bien, trop à l’aise et trop souple, il a trop tout compris, il trotte vraiment trop bien. Il s’ajuste à merveille, glisse parce qu’il faut glisser, surfe s’il faut surfer, s’amuse quand il faut s’amuser. Il butine et s’adapte. Adaptation, voilà le maître mot, l’impératif ultime, le mot d’ordre parfait. Connaissez-vous ceci et goûtez-vous cela, l’avez-vous déjà vu, savez-vous qui fait ça ? Pour chaque invitation, une réponse utile, la bonne adaptation, le mot bien calibré, une attitude à prendre, une façon de parler.
- Le soir à la télé des modèles à la chaîne, des idées de débats, des canevas, des sujets. Ne reste qu’à imiter l’émission de son choix. Regardez ceux qui passent, il savent bien y faire : prendre un air affecté et feindre l’enchantement. Le mime du présent est une mare à sots, tout le monde s’y reflète, copie sur le modèle, recopie la leçon, la récite aux amis. La manie du décalque envahit les foyers : modèle de vie parfaite, de bonheur réussi, d’éducation au poil, de réussite en herbe. Ne reste qu’à pomper. Avec plus de souplesse, aucune situation qui ne soit insoluble. Il vous manque la clé, la notice du mois ? Des banques de données compilent chaque jour les idées à avoir. Ce qui est bon ici peut échouer par là-bas ? Ne soyez pas rigide, ajustez le format.
- Dans ce grand osmoseur de modèles à sucer, l’intrus c’est le rigide. Avec pour mauvais goût de croire en son principe, de butiner le même sans ouverture d’esprit, ce résidu bloqué n’a pas encore compris que les temps ont changé. Adaptation, mon vieux, sinon tu vas crever, pétrifié d’identique, figé dans ton idée. Cet homme d’un autre siècle n’a pas encore compris qu’ici on ne croit plus aux positions pérennes, aux principes d’école, aux lignes de conduite. On passe sans distinction d’une idée à une autre. Vous êtes encore ici ? Pensez donc à changer, butinez par là-bas et puis un peu plus loin. Il ne faut rien rater, ne pas perdre une goutte. Soyez ouvert d’esprit, butinez n’importe où, rien n’est vraiment mauvais, il y a toujours à prendre. Aucune cohérence dans le papillonnage ? Une idée de rigide. Tout se fait au hasard. On pique un peu ici, on copie un peu là, on sait un peu ceci, on aime un peu cela. Que les rigides pourrissent en restant sur leur terre, pour les butins de Panurge, l’essentiel c’est dans l’air.
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Publié le 08 octobre 2010 par bernat