Dispensé de philosophie pour « raisons médicales » ou le tiers temps de la femme à barbe
- Dans la salle d’examen que j’avais l’honneur et le privilège de surveiller ce matin au titre de professeur en classe terminale et pion, une élève manquait. Présente la veille, son absence pouvait nous laisser craindre (les professeurs en classe terminale et pions craignent souvent pour leurs élèves) une démission soudaine, conséquence d’un échec la veille aux épreuves de philosophie (8h-12h) et de littérature (14h-16h). Naïveté.
- Nous remplissions en effet la fiche administrative afin d’établir l’absence de cette élève à l’épreuve d’histoire-géographie (8h-12h), quand nous apprîmes oralement mais par la voie rectorale que cette élève était dispensée de cette épreuve pour des « raisons médicales ». Il va de soi qu’en tant que professeurs en classe terminale et pions nous n’avons pas accès aux informations confidentielles, privatives, individuelles, j’ose dire intimistes qui ont pu conduire à la décision étonnante de dispenser, pour « raisons médicales », une élève de passer une épreuve du baccalauréat. Pas la philosophie, la littérature ou les roulades sur tatamis émiettés mais l’histoire-géographie. L’étiologie médicale est très précise.
- Une fois la surveillance passée (tout passe, y compris les surveillances, c’est le grand bénéfice de notre condition temporelle) nous apprenons également, de l’aveu même du proviseur adjoint, qu’un candidat, toujours pour « raisons médicales », fut dispensé de l’épreuve de philosophie. Dans le menu bac à composer soi-même, il existe également, sous le même chapiteau scolaire, le candidat épileptique (une salle, deux surveillants, un tiers temps en plus), l’agoraphobe et le dépressif. A quand le tiers temps pétomane avec protection du petit personnel de surveillance par masques ?
- L’individualisation débilitante, mes chers amis de l’encrier, la singularisation des parcours n’en est qu’à ses débuts. Après tout, chaque élève n’est-il pas une monade subjective inviolable dans ses angoisses, dans ses peurs, dans son anxiété, sa psychologie, son intime, dans l’odeur de son pet en face d’un monde qui change et qui bouge, un monde qui remue aussi de la queue ?
- Nous entassons sans vergogne, dans des espaces exigus, toute une génération de jeunes humains connaissants au risque des hormones et de la sudation. Nous risquons à chaque instant la catastrophe épileptique, le collapse agoraphobique, l’allergie philologique, la crise d’urticaire en coloriant une carte d’Egypte. Comment une société rationnelle, juste et socialiste peut-elle tolérer plus longtemps une telle prise de risque, un manque de discernement qui engage la responsabilité de tous et la surveillance de chacun ?
- Que ceux qui osent rire des dispenses disciplinaires et autres massages capillaires promis durant l’épreuve de mathématiques aux candidats qui présenteront sur certificats les symptômes de la femme à barbe, ne fassent pas les malins. Tout cela est très sérieux.
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(Publié le 19 juin 2012 par bernat)