Marche !

Marche !

mouton_1-bfa6e[1]

« Le progrès est là, avec son grand fouet, qui frappe sur le troupeau

– Marche !

– Quoi ! toujours marcher ! jamais faire halte !

– Marche ! Cet ombrage me plaît, cet asile m’attire…

– Il y en a un préférable : marche.

– Nous y voici.

– Marche encore. »

Rodolphe Töpffer, Du progrès dans ses rapports avec le petit bourgeois et les maîtres d’école (1835)

Le front républicain de trop

Le front républicain de trop

chirac[1]

  • Je ne voterai pas le 7 mai. Le pire n’est jamais exclu ? C’est tout à fait vrai.

 

  • Si on m’avait dit, en 2002, à la sortie de l’isoloir, que je devrais, quinze ans après, voter pour une baudruche montée de toutes pièces par une presse aux ordres pour faire barrage à la fille de Jean-Marie Le Pen, je serais certainement aller chercher à la hache mon bulletin Chirac dans l’urne.

 

  • Si on m’avait dit, en 2002, que les Etats-Unis allaient envahir l’Irak sur des preuves frauduleuses, dévaster toute une région du monde, mais que je devrais tout de même choisir, contre le Mal,  le pantin de Jacques Attali, grand manitou du gouvernement mondial, je serais aller chercher en hurlant mon bulletin Chirac dans l’urne.

 

  • Si on m’avait dit, en 2002, qu’une crise financière allait ruiner, par la cupidité de super millionnaires, des millions d’hommes et de femmes, que l’on allait ensuite renflouer les responsables avec de l’argent public, mais que je devrais tout de même donner ma voix, contre le Mal, à un énarque financier, je serais aller chercher à grands coups de tatanes mon bulletin Chirac dans l’urne.

 

  • Si on m’avait dit, en 2002, que l’école publique distribuerait des flyers expliquant aux élèves, dans un langage de boîte de com, qu’ils pourront désormais avoir le bac en six ans, mais que je devrais faire élire, contre le Mal, un pur produit de la com, je serais aller chercher à la masse d’arme mon bulletin Chirac dans l’urne.

 

  • Si on m’avait dit, en 2002, que la politique serait réduite à une émission de téléréalité abrutissante, que des helpers outsiders marcheurs gonfleraient dans ce vide abyssal, mais que je devrais tout même voter, contre le Mal, pour leur super manager télé évangéliste, je serais aller chercher à la scie sauteuse mon bulletin Chirac dans l’urne.

 

  • Si on m’avait dit, en 2002, que le paysage politique français se résumerait à marcher au centre avec une armée de communicants faisant la promotion du meilleur des mondes pour faire barrage au Mal, je serais aller chercher avec de gros parpaings mon bulletin Chirac dans l’urne.

 

  • Si on m’avait dit enfin, en 2002, que je serais réduit à gueuler ma colère sur un site internet personnel tant le niveau intellectuel de la presse nationale et de l’édition recule aussi vite que la mer monte, je ne m’en serais peut-être jamais remis.

HB

Le silence de Jean-Luc Mélenchon

Le silence de Jean-Luc Mélenchon

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……………

  • Il est toujours souhaitable de se poser les bonnes questions. Pour quelle raison le silence de Jean-Luc Mélenchon, en vue du second tour de la présidentielle, suscite autant de considérations morales et si peu d’analyses politiques ? C’est que la morale est compatible avec la logique économique en cours. La politique, beaucoup moins. Là encore, nous suivons le modèle américain. A intervalles réguliers, de grandes purges morales médiatiques réactivent l’implacable logique de domination économique et financière. Pour des raisons d’arithmétiques électorales, d’histoire contemporaine, de matraquage médiatique,  de démonologie et j’en passe, post-it Macron est déjà président de la République et il le sait. J’entends aussitôt le philosophe de salon, ton suave et œil de biche :  – vous vous arrangez avec votre conscience. En choisissant de ne pas choisir, ce qui est un choix (relisez Sartre), vous laissez faire à d’autres ce que vous n’assumez pas de faire vous-même. Autrui aux mains sales vous permet de garder votre belle âme propre. D’ailleurs, si tout le monde faisait comme vous, Marine Le Pen, ce que vous ne souhaitez manifestement pas, homme de mauvaise foi, serait élue le 7 mai. Cela contredirait en passant votre premier constat.

 

  • Vous noterez à quel point cette causerie morale nous écarte de la question politique. Jean-Luc Mélenchon ne fait pas la morale de l’info, il n’a rien d’un curé déguisé sous le  maquillage moderniste du philosophe dans le vent ou de l’économiste en vue. Les deux se tiennent aujourd’hui la main pour fournir aux post-it macronisés du nouveau monde leur assise idéologique. Jean-Luc Mélenchon fait de la politique. Cela signifie qu’il cherche à peser, comme d’autres,  sur l’institution de la société, sur ses choix fondamentaux auxquels, abstentionnistes ou pas, nous devrons nous plier car il feront demain – plus sûrement cet été en douce – force de loi. Comme tout politique, il a lu, avec post-it Macron, son Machiavel. Il est aussi stratège. Quelle est donc la meilleure stratégie politique à adopter afin de sortir du jeu de dupe qui consiste à brandir, à intervalles réguliers, l’épouvantail Front national, ce diable utile, afin de ne surtout rien changer (1) ? A côté de cette réflexion politique, virile au sens machiavélien,  les considérations des perruches morales philosophes et autres courtisanes économistes sont de peu de poids. Derrière Jean-Luc Mélenchon, sept millions d’électeurs qui n’ont choisi ni le Front national ni la bouillie Macron servie à des citoyens en coma festif dépassé. Que cette masse d’électeurs soit hétérogène est une chose – toutes les masses le sont – qu’elle puisse être réduite à une broderie morale en est une autre.

 

  • Libération, le lendemain du premier tour, page 3, étale sur une demi page, en gros caractère : « MACRON UN CENTRE ANTI-POISON. Dernier rempart contre le Front national de Marine Le Pen, la météorite d’En marche réussit son pari de se placer au-dessus du clivage gauche-droite. Benoît Hamon et François Fillon ont déjà appelé à faire barrage. » (2) Météorite pour Libération ; fusée pour le Nouvel Obs. La conquête spatiale de Jacques Cheminade n’est finalement pas si loin. Voilà ce que le journalisme « critique » dit de gauche, dans ses pages Idées et Rebonds, propose aujourd’hui à ses tous derniers lecteurs. Mais cette indigence politique et stratégique peut encore compter sur le renfort des perruches philosophes et des courtisanes économistes. Télévision, radio, Internet, show, prime, punchline, tout est bon pour venir au secours d’une presse moribonde.

Le centre anti-poison Macron recrute tous ceux qui feront demain barrage au Mal et aux extrêmes.

 

  • Dans ce contexte, le silence de Jean-Luc Mélenchon est certainement le seul acte politique de cette campagne électorale. Dans cet étau, entre économisme et moraline, toute la difficulté consiste à créer un espace politique autonome. Nombreux seront les fins esprits, armés de quelques arguments, qui railleront cette tentative. Jean-Luc Mélenchon, l’ancien du PS et son gros ego holographique. Les urbains insoumis branchés et leur vote tendance. La horde de cyber activistes et leurs jeux vidéos en ligne. Autant de portraits qui pourraient avoir leur pertinence s’ils n’étaient pas aussi les alliés objectifs d’un processus de dépolitisation en cours, processus qui laisse les mains libres aux pires salopards. Ceux-là ne veulent surtout pas de politique et de la critique qui vient à sa suite. Encore moins d’une philosophie qui fournirait des armes intellectuelles aux âmes perdues de la grande cause mondialiste. Ils veulent, sur toutes les chaînes et à toutes les heures, des moralistes philosophes, ces curés du nouveau monde, et des experts économistes pour faire passer les plats des soubrettes financières au pouvoir. Ils veulent dépasser les vieux clivages, les anciens conflits. Ils veulent la paix des commerces, la soumission  du plus grand nombre et des petites bougies les soirs d’attentat. Marine Le Pen, qui ne brille tout de même pas par son intelligence, est leur allier objectif. Ce sera encore le cas le 7 mai.

 

  • Il est donc temps de savoir ce que nous voulons. Sauver le Bien ou faire de la politique. Baratiner à la radio avec des bribes de Jean-Paul Sartre ou résister tant bien que mal au processus de liquidation en cours en pensant un peu. Faire les malins ou sauver notre peau. On me demandera peut-être quel est mon intérêt, en quoi suis-je concerné par cette résistance, moi qui suis professeur de philosophie dans l’Education nationale. La réponse tient en peu de lignes. Il existe un rapport très étroit entre la philosophie et le politique, un rapport essentiel. Post-it Macron ne me contredira d’ailleurs pas sur ce point, lui qui est passé d’un mémoire sur Machiavel à la commission Attali, d’une pseudo collaboration avec Paul Ricœur au ministère de l’économie et des finances.

 

Sans politique, la philosophie est la morale des curés ; sans philosophie, la politique est l’état de fait des salopards.

……..

(1) Dans la novlangue politique, « en marche » est un jingle pour annoncer la prochaine saison. « A suivre… » marche aussi.

(2) Libération, 24 avril 2017. Pour faire barrage, n’oubliez pas de consulter le Lexique de lepénologie pour le second tour.

 

 

 

La pari des soumis

Le pari des soumis

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  • Après son passage par la commission Attali, cet incontournable gourou de la libéralisation du marché à la sauce américaine, post-it Macron devient, en 2012, membre de la French-American Foundation France. Qu’est-ce donc que cette chose ? En bref, économie dérégulée, mondialisation heureuse et réseaux politico-financiers sur le modèle américain. Commençons par le vote à l’américaine suite à un concours de télé réalité, immense show fait de punchline, de battle et de prime. Organisation d’un spectacle politique intégral et abrutissant, très au-delà des pires cauchemars de Guy Debord. Vient ensuite l’école américaine publique où seuls les établissements performants obtiennent des aides fédérales. Système particulièrement inique qui repose exclusivement sur l’inégalité de richesses des Etats et des villes. La rentabilisation à tous les niveaux. Dois-je rappeler qu’en France des primes sont accordées aux chefs d’établissement « performants » sur des critères aussi aberrants que le taux de redoublement. Vient ensuite la promotion d’une bouillie œcuménique qui ne dérange pas le commerce. Ai-je besoin de rappeler que le Times pris soin de flouter le dessin de Cabu fraîchement assassiné avec ses amis écrivains et dessinateurs dans son journal ? Ce modèle est l’ennemi de ce que nous mettons en valeur lorsque nous parlons de laïcité en France. Peu probable que vous ayez une quelconque analyse du post-it Macron sur ce sujet dans un délai raisonnable. L’usage de mots creux avec des ballons, oui ; la mise en pratique des contradictions que cache cette vacuité, non. J’épargne au lecteur les considérations sur le rapport à la langue, à la culture, à la nourriture qui n’ajoutent rien à l’évidence du constat. Les Macron de tous bords se caractérisent par l’absence totale de critique à l’égard de ce qui vient. Il marchent.  Mais soyez sûrs d’une chose, ce ne sont pas eux qui consommeront en priorité la merde de demain.

 

  • Post-it Macron, sur le modèle de Barack Obama, pourrait durer dix ans. Son charisme de gant de toilette, sa morgue vaselinaire, l’état du corps social risque cependant de poser rapidement problème à la baudruche anesthésiante et à sa suite. A la différence de Jacques Attali, grand chaman des commissions d’actionnaires, je ne prédis pas l’avenir. En particulier quand cet avenir dépend aussi de mon voisin de palier qui prend tous les risques pour transporter de la nourriture sur son vélo branlant pour une poignée d’euros ou de celles de mon ami interne en médecine exploité comme un chien dans des services saturés. Une chose par contre me paraît certaine,

 

Macron sera le président des ignares dominés et des cyniques dominants.

 

  • Toute la question est de savoir si nous nous contentons d’un constat lucide mais désabusé en attendant de nous faire tondre. Je ne parle pas simplement d’une tonte financière. J’ai à l’esprit le mot de Rousseau dans du Contrat social (1762) : « Donnez de l’argent et vous aurez des fers. Ce mot de finance est un mot d’esclave. » Ce qui pousse un homme à réagir, à lutter, à se dresser ce n’est pas simplement sa feuille de paye. Difficile de savoir si nous sommes individuellement des soumis ou des insoumis. Placer le verbe trop haut, c’est risquer de déchoir dans la pratique.  Cela ne nous empêche pas d’avoir une exigence qualitative en révélant l’imposture là où elle se trouve. Macron est certainement l’imposture la plus manifeste de ces trente dernières années. Ce n’est pas peu dire. Son élection nous renseigne aussi bien sur la déliquescence bien connue de la représentation politique que sur l’efficacité des moyens promotionnels mis en place pour que ça dure. Mais si je devais faire une gueule à mon pire ennemi, cette gueule ne ressemblerait pas à Emmanuel Macron mais à ceux qui n’ont plus de narines pour sentir la mauvaise odeur sous leurs chaussures.

 

  • Le chantage à la conscience qui fleurit ici ou là – votez Macron pour éviter le pire – au-delà de son caractère paternaliste et comique, oublie que la conscience est une infatigable ironie. Les mêmes faux culs qui font des petites chroniques à la radio ou à la télévision pour mettre en garde les imbéciles contre la montée des autocrates, espèrent aujourd’hui que le champion du vide qui les fait vivre sera élu avec un score de dictateur et une participation stratosphérique. Eux animent sans trop y croire la grande dépression collective. Pendant ce temps, d’autres tentent joyeusement des coups. C’est à se demander qui parie sur le pire.

L’indigence spirituelle des « élites » du nouveau monde

L’indigence spirituelle des « élites » du nouveau monde

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  • Le vote de classe économique en faveur d’Emmanuel Macron est synonyme de misère pour les uns, d’indigence spirituelle pour les autres. Le cadrisme – à ne surtout pas confondre avec le castrisme – consiste à s’adresser à une frange de la population qui, sans être pauvre, se sent menacée par une néopaupérisation, la paupérisation des pas encore pauvres. David Brooks, auteur de Bobos In Paradise: The New Upper Class and How They Got There, dans un article du New York Times du 12 janvier 2003, Pourquoi les classes moyennes votent comme les gens riches, relate un sondage commis par le Times Magazine. A la question posée de savoir si l’individu questionné fait partie des 1% les plus riches, 19 % répondent par l’affirmative et encore 20% pensent y parvenir un jour. Voilà pour le vivier électoral du micro post-Obama et l’étrange leçon d’arithmétique.

 

  • Ce qui compte finalement, c’est de penser qu’on y est ou qu’on va y être quitte à se soumettre aux pires servilités du travail performance. C’est ainsi que la représentation induite par 1% des plus riches mobilise environ 40% de l’électorat, un coussinet confortable nourri par l’indigence intellectuelle des cadres elle-même entretenue par un système de formation rempli d’air. En clair : pour se sentir moins pauvre, il faut toujours aller dans le sens des plus riches. Se sentir et non pas être. Il en va de tout un imaginaire matérialiste dégradé  qui oriente en profondeur les affects politiques. Le cadrisme fonctionne selon les lois éprouvées de la fricologie : plus y a de fric pour les uns, plus y aurait de fric à venir pour les autres. Le cadrisme et son espoir de SMIC cadre, salaire minimum d’insertion cadriste.

 

  • Ne reste plus au cadriste qu’à allumer son ordinateur le matin en rêvant de faire bientôt partie des 1%. Lucide et réaliste, vous entendrez son rire de hyène affamée lorsqu’ils entend le mot utopie. La réalité est moins réjouissante. Encore faut-il, dans l’attente d’en être, qu’il supporte le souffle d’air qui traverse sa boîte de com, qu’il résiste aux monceaux de vacuité qui le font vivre. Son ennui à l’after work, sa conscience parfois lucide de dépressif communicant, tout cela bien sûr n’entre pas en considération dans la grande marche vaine d’Emmanuel Macron. Mais le monde est bien fait. L’excroissance tératologique de sa liberté cybernétique, la contemplation onanistique de ses performances et la pauvreté de sa culture suffiront à le faire tenir encore un peu.

 

  • Je laisse notre bonhomme à sa marche infernale vers le vide pour en revenir au fond du problème. Si vous additionnez toute la glose journalistique sur les dangers d’un castrisme à la française ce dernier mois, vous sauriez pris de nausée. La progression de Jean-Luc Mélenchon dans les différentes sondées fut en cela un révélateur ironique de cette doxa défensive. Vertige du copier-coller. En comparaison, rien ou si peu sur le cadrisme dont les effets sur nos vies sont autrement plus inquiétants. Mais avant de crier au complot, réfléchissons bien à la convergence aujourd’hui des cursus de formation des cadres, des journalistes, des décideurs, de cette fameuse « élite ». Alain Finkielkraut, illisible pour une large majorité de ces sous-éduqués, a raison de porter le fer contre ce que devient l’école et l’université, cette crise de la culture qui, à défaut d’être sérieusement pensée, revient à intervalles réguliers comme sujet d’animation et de causeries mondaines.

 

  • Les rencontres que j’ai pu faire avec cette soi-disant « élite » m’ont plus instruit que la lecture de Karl Marx. Pressée par le temps, sommée de répondre instantanément à la médiocrité marchande dans des délais toujours plus improbables, constamment greffée aux machines, cette classe assez disparate quant à la condition économique – ne confondons pas le pigiste esclave du maître patron de presse – barbotte dans un bain idéologique somme toute assez homogène. Cela n’exclut pas les singularités, elles existent, mais on ne pense pas avec des portraits chinois. L’indigence spirituelle de ce bain est flagrante. Ce « cyber bétail de la neurocratie » (1) est plus ou moins riche, plus ou moins visible, plus ou moins bankable – mot abjecte qui résume à lui seul toute l’étendue de la misère. Il n’en reste pas moins vrai qu’il accepte de se soumettre – y compris dans ses couches les plus hautes. A ceux qui verront dans Emmanuel Macron un vainqueur, n’oubliez pas le degré de soumission et de servilité morale dont il faut faire preuve pour représenter aussi vite les intérêts d’une telle « élite ».

Macron n’est autre que le You Porn du politique. Rien de plus.

 

  • Mais l’enthousiasme pour la soumission s’effrite. Tout d’abord chez ceux dont la marche en  avant est simplement synonyme de misère sociale et économique. Ces hommes et ces femmes sont pris dans un avenir collectif détruit par la volonté des cas particuliers de l’espèce. Lucidement, la souffrance restant un chemin assez sûr pour accéder au vrai, ils quittent l’indigente marche en s’accrochant politiquement à ce qu’il trouve dans ce grand naufrage de l’homme. Condamneriez-vous celui qui s’accroche à une branche pourrie à défaut de trouver une embarcation digne de ce nom ? Mais l’enthousiasme disparaît aussi chez ceux qui ne veulent plus du travail performance, ceux qui respirent de la merde, mangent du plastique, refusent de lire des  crétineries bankable et de voir leurs enfants éduqués par des imbéciles en marche qui communiquent. S’il s’agit là de votre définition du bobo utopiste qui n’a pas encore entendu parler de la fin de l’Histoire, j’en suis. Et après, on fait quoi ?

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  • Les français peints par eux-mêmes fut un des grands succès de librairie au XIX eme siècle. Ce réalisme social n’est pas exempt de cruauté. La peinture y est féroce, les illustrations magnifiques. Les merdeux en marche cyber connectés figureraient en bonne place dans un projet qui pourrait s’inspirer de ce grand travail de peinture sociale.  Je lance l’idée. Une bonne plume pourrait même croquer leur vide spirituelle, leur soumission moderniste et leur néo-servilité dans un même trait.  Le texte pourrait être réjouissant. Voici la première bulle :

« Le choix de notre génération, c’est de poursuivre le rêve des Lumières parce qu’il est menacé. »

Macron, 19 avril 2017, Nantes.

…….

(Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs, 1998)

La critique insoumise

La critique insoumise

l empire du bien_phillipe_muray[1]

« L’Empire du Bien triomphe. Il est urgent de le saboter. »

Philippe Muray

…….

Dimanche 23 avril, 23h54

  • Le sentez-vous gonfler, le sentez-vous s’agréger de toutes les bonnes volontés, de toutes ces petites bougies qui scintillent. Regardez-le s’épandre, se rassembler le plus largement possible pour une belle victoire le 4 mai 2017. Chacune et chacun y aura sa place. Aucun perdant. Considérez maintenant cette évidence : le choix du Bien et de son Empire.

 

  • Jean-Luc Mélenchon n’appelle  pas, ce soir, à voter Emmanuel Macron contre Marine Le Pen. Outrage. Les mêmes qui le désignaient comme nouveau tribun populiste sud américain la veille s’insurgent, le lendemain, contre ses silences coupables quand il s’agit de dire à la masse ce qu’elle doit penser. Le journaliste insiste :  – « on notera que Jean-Luc Mélenchon n’appelle pas à voter pour Emmanuel Macron ». L’intéressé c’était pourtant exprimé sur le sujet quelques jours avant : « Une chaise ou un banc serait mieux élue qu’elle dans ce pays ». Marine Le Pen ne sera pas élue dans quinze jours. Elle sera nettement battue et tout le monde le sait. Je veux dire tous ceux qui savent comment ça marche. Le journaliste qui note le propos coupable de Jean-Luc Mélenchon, propos qui ne changera strictement rien au résultat final, en fait partie lui aussi.

 

  • Par conséquent, la seule question un peu sérieuse à se poser ce soir, la question que s’est peut-être posée Jean-Luc Mélenchon en rédigeant son allocution, est très simple. Comment combattre l’Empire du Bien ?  Avec elle, cette autre : comment exister dans un espace critique et politique qui réduit toute pensée à un choix binaire ? Une troisième question, liée aux deux autres : que faut-il faire face aux robots journalistes qui vous somment en direct de prendre le parti du Bien ? Jean-Luc Mélenchon ne peut pas dire que l’élection est réglée. S’il le faisait, c’est-à-dire s’il disait tout haut ce que tout le monde sait ce soir, il deviendrait aussitôt l’ennemi, y compris pour une partie de son mouvement politique. Il détruirait le pacte tacite, le jeu de dupe qui consiste à rappeler en toute circonstance que nous devons défendre le Bien et combattre le Mal.

 

  • A côté de Marine Le Pen, la téléréalité politique, c’est le Bien. La fabrication expresse d’une baudruche médiatique, c’est encore le Bien. Les robots journalistes, le Bien. L’information en continue des zombies communicants, le Bien, encore le Bien. La continuation des ordres de domination, c’est toujours le Bien. Alors Jean-Luc Mélenchon, toujours sommé de répondre, s’en remet à une consultation fumeuse sur une plateforme d’échanges, une énième participation interactive. Ce en quoi il retombe dans la logique de l’Empire du Bien en ratant la cible. Non pas qu’il ne sache pas exactement où elle se trouve mais parce que sa position de politique lui interdit de la viser. Limite de ce qu’il peut. Le problème n’est pas de faire barrage au front national avec tous les petits castors serviles de l’information politique. Le Bien d’un côté, autrement dit ce qui doit être ; le Mal de l’autre, autant dire ce qui ne sera jamais. Car l’astuce consiste justement à faire croire que le Mal est ailleurs, potentiel, toujours différé. Imaginez un instant que Jean-Luc Mélenchon ait pris la parole mais en ces termes :

« Les gens, nous savons, vous et moi, qu’Emmanuel Macron sera le prochain président de la République française. La question de savoir si je vais donner une consigne de vote est une farce dont je vous dispense. Que je le fasse ou pas, Emmanuel Macron est déjà président de la République. Pensez-vous une seule seconde, les gens, qu’une logique promotionnelle capable de créer en un an de toute pièce un Emmanuel Macron ait besoin de mes consignes de vote pour triompher dans quinze jours ?

La question est plutôt de savoir pourquoi demain les castors serviles de l’information politique, de sous-entendus en accusations franches, me déverseront, sans autres formes de procès, dans le camp du Mal ? Répondre à cette question, c’est aussi comprendre comment une baudruche ventriloque peut devenir en France, pays supposé de la liberté de pensée et de la critique, président en un an. Répondre à cette question, c’est faire de la politique au sens noble.

Quinze ans après, nous en sommes toujours au même point. Après la énième crise financière – la suivante étant toujours plus raide que la précédente -, après l’invasion américaine de l’Iraq jusqu’à la cancérisation du terrorisme islamiste, les centaines de morts, après Uber and co : choisir le parti du Bien pour faire barrage au parti du Mal. A ce chantage inventé par la gauche divine, à cette même gauche divine qui a choisi son champion, nous ne pouvons répondre que par le mépris.

Vous connaissez Philippe Muray ? Ecoutez : « Le Bien a toujours eu besoin de Mal, mais aujourd’hui plus que jamais. Le faux Bien a besoin d’épouvantails ; moins pour les liquider, d’ailleurs, que pour anéantir, à travers eux ou au-delà d’eux, ce qu’il pourrait rester encore, de part le monde, d’irrégularités inquiétantes, d’exceptions, de bizarreries insupportables, enfin les vrais dangers qui le menacent, quoique l’on en parle pas. » Qu’en pensez-vous ? Je dois vous dire que ce Muray est étiqueté réactionnaire de droite et qu’il est devenu, juste après sa mort- comme de juste – un amuse-bouche critique pour les mondains qui font barrage au Mal avec tous les petits castors. Et alors ? Cet Empire du Bien qui fait tant de mal aux irrégularités inquiétantes a trouvé hier soir une nouvelle baudruche en la personne d’Emmanuel Macron. Une nouvelle baudruche et une multitude de petits robots pour lui donner un corps politique. Alors que faire ? Se résigner, accepter de ne pas juger et de marcher avec les zombies du Bien ?  Ou mettre en place des stratégies critiques et politiques de sabotages ? » 

  • Ceux qui dénoncent le système médiatique dans son ensemble font fausse route. Les rusés sont assez habiles pour démontrer qu’un tel système n’existe pas. Non, ce qu’il faut c’est poursuivre le travail et montrer concrètement qu’un certain type de discours ne trouve aucun relais chez ceux qui fabriquent l’opinion de l’homme moyen. De ce point de vue, ma génération, que je connais sur le bout du clavier, a totalement démissionné. Soit elle se vautre dans la communication d’ambiance, soit elle cultive son petit jardin égotique, soit elle regarde d’un œil cynique la catastrophe en cours. Une autre voie est possible, celle de la résistance, le maquis puisque nous sommes à l’heure des clins d’œil nationaux. Philippe Muray avait compris une chose très simple mais douloureuse. Face à l’Empire du Bien, notre destin sera le terrorisme spirituel. Lui appelait cela ses exorcismes. Par la seule force de l’esprit, l’idée consistera à créer des relais critiques sur lesquels d’autres pourront trouver la force de s’appuyer. Nous ne serons pas payés en honneurs dans le grand barnum du spectacle. Et alors ? Nous serons quasi imperceptibles mais lus avec l’attention de ceux qui restent une fois la lessive essorée.

 

  • Jean-Luc Mélenchon s’arrête en chemin. Non pas qu’il soit défaillant mais pour la simple raison qu’il ne peut pas faire seul le chemin qui mène de la contestation politique d’un ordre de domination au renversement de cet ordre. A moins de se muer en autocrate. Il lui faut des relais intellectuels et pas simplement des gamers qui le mettent en scène dans un jeu vidéo. S’il y avait sur les plateaux de télévision, dans les médias, dans les différents organes de presse des journalistes, des critiques, des intellectuels libres d’écrire et de penser, le discours fictionnel que je viens de rédiger serait accessible au plus grand nombre et les thèses de Philippe Muray ou de Jean Baudrillard ne seraient pas simplement réservées à une petite élite parisienne (1) qui, s’en être dupe, n’a aucun intérêt à éventer ses petits secrets de fabrication, sa cuisine maison. Oui, c’est aussi à toi que je m’adresse Raphaël Enthoven, toi qui cite Muray dans ton dernier livre.

Il va de soi que dans cet autre monde, un Emmanuel Macron n’aurait aucune chance d’accéder à la présidence de la République.

………….

(1) Résultats à (97% des bulletins dépouillés) : 35% 26% 19,5% 10% 5%

Macron et les bulles d’air du MEDEF

Macron et les bulles d’air du MEDEF

01[1]Laurence Parisot (sublimée par le peintre) et les helpers d’Emmanuel Macron

……………………….

  • En s’approchant vaillamment des moulins à vent, alors qu’il transperçait de sa lance une aile de géant, Don Quichotte roula au sol. Les caprices de l’air rendaient inabordable le morceau de voilure. Mais Laurence Parisot fait mieux que le sage Feston : elle transforme les géants en bulles d’air. Plus redoutable encore. « Il paraît bien, répondit don Quichotte, que tu n’es pas fort versé en ce qui est des aventures : ce sont des géants, et, si tu as peur, ôte toi de là et te mets en oraison, tandis que je vais entrer avec eux en une furieuse bataille. » Géants, moulins à vent ou bulles d’air, les choses de la guerre sont changeantes.
  • Laurence Parisot nous proposait déjà en 2007 – bien avant la grande marche du séminariste Macron – quelques leçons de secourisme. Tout commence par l’impôt sur les portes et les fenêtres. Promulgué sous le Directoire, en 1798, cet impôt était supposé s’appliquer en proportion du nombre de portes et fenêtres donnant sur les rues, cours ou jardin. Les propriétaires devaient s’acquitter de cet impôt facilement quantifiable depuis la voirie. « L’intention du législateur était claire : il s’agissait de créer un impôt progressif en fonction de la richesse du lieu. » (1) Conséquences ? « Les citoyens ordinaires se mirent à condamner autant de portes et de fenêtres qu’ils le pouvaient, et les architectes, à construire des bâtiments aux ouvertures de plus en plus petites. La trace de cet impôt est encore visible aujourd’hui, et il n’est pas rare de deviner sur les plus belles façades l’emplacement de fenêtres qui furent autrefois purement et simplement bouchées. » (2) Cible des mouvements hygiénistes au XIX siècle, l’impôt fut aboli en 1926.
  • Cette histoire de portes et fenêtres fait partie du grand vivier des ritournelles édifiantes du MEDEF. Après le grandiloquent « la culture c’est la vie » des années 80, en marche pour le tout nouveau tout beau « l’entreprise c’est la vie ». La thématique de l’oxygénation devrait convaincre les derniers psychorigides. La « flexibilité », avec le « dynamisme« , faisait déjà partie du grand concert entrepreneurial des années 80. Dans la TepSeg (la langue Tapie Séguéla), la flexibilité était le grand sésame, l’argument imparable à opposer à tous les bâtisseurs de rigide. Cette période, cela dit en passant, accompagnait une désindustralisation massive de la France dont nous payons aujourd’hui le prix.
  • Avoir « l’esprit flexible« , c’est s’adapter au monde tel qu’il pousse. Mais rien ne pousse sans oxygène. Alors, quand la France « s’exalte à défendre un modèle social à bout de souffle », décrète Laurence Parisot (3), elle respire mal et met en danger les plus chétifs. « Cela semble anodin d’abord, on s’y habituerait presque, mais les hygiénistes du XIX siècle ne s’y étaient pas trompés : quand on ferme les portes et qu’on bouche les fenêtres, les catastrophes s’enchaînent. » (4) On a compris, fini les rapports de force, exit la misère du travail aliénant ou le début d’une réflexion sur la profonde nullité de certains emplois de service – les fameux deux emplois décents du programme d’Emmanuel Macron. Tout se mesure désormais en quantité d’oxygène à humer, ce bien commun.
  • « Nous le savons tous indistinctement dès notre plus jeune âge, la respiration est une fonction première. Elle nous tient en vie, et plus encore. Respirer, c’est réaliser l’échange entre l’intérieur et l’extérieur, c’est faciliter le brassage entre le vieux et le neuf, c’est s’oxygéner le corps et l’esprit, c’est se renouveler, c’est vivre et revivre. Qui n’a jamais éprouvé le besoin de quitter au plus vite un espace où l’air était vicié ? Qui n’a jamais souhaité trouver un lieu où régnera un autre climat, moins lourd, moins pesant, moins conventionnel, plus fluide, plus créatif, plus libre. » (5) De l’art éthéré de la synthèse de tous les lieux communs. « Vivre » et « revivre », vivre pour commencer ; le « brassage », soupe primitive de toutes les créations, fusion de soi dans le grand corps de l’entreprise, ventilateur ; l’aérien, le léger, le volatile, le « moins lourd » ou le « moins pesant », mythologie de la brise, air conditionné, ductilité des transports, vaporisation des charges, des poids, des boulets et des ligatures. Avant d’être une superstructure chapeautée par un grand Sujet zénithal (Etat, Progrès, Entreprise), l’idéologie ça se hume, ça se respire à pleins poumons. Et puis ça gonfle les baudruches de la communication de bazar. Aujourd’hui, Emmanuel Macron
  • Donc « l’entreprise c’est la vie ! Et au commencement de la vie… est la création. » (6) Le grand démiurge de cette auto-poïesis entrepreneuriale reste le chef d’entreprise, croisé d’un nouveau monde mis en scène dans une rubrique justement intitulée : « citoyens du monde ». « Entrepreneurs-aventuriers, entrepreneurs-pionniers, entrepreneurs-inventeurs ou entrepreneurs-témoins de ce monde inédit, nous aimerions transmettre aux nouvelles générations la même capacité d’émerveillement qu’ont donnée les maîtres et les maîtresses d’école, le même goût pour l’avenir, la même espérance dans le futur. » (7) A croire qu’il n’existe plus d’instituteurs et que l’émerveillement en blouse bleue est à ranger dans le musée des tableaux noirs demain échangés contre des tableaux interactifs. Quoi de plus juteux que le marché de l’éducation pour assurer la pérennité du réservoir client et votant. Dans ce messianisme, le premier franchisé venu pourra se rêver en instructeur du nouveau monde. Mais les nouveaux hussards du management n’émerveilleront pas en faisant découvrir les subtiles finesses de la géométrie du plan ou les espaces infinis qui effraient mais en assurant l’indiscutable promotion de quelques représentants de commerce soudain promus petits pères du peuple par la seule force de l’air.

………….

 

(1) L. Parisot, Besoin d’air, Paris, seuil, 2007, Préface.
(2) Loc.cit.
(3) Loc. cit.
(4) Loc. cit.
(5) Loc.cit.
(6) Loc. cit.
(7) Loc. cit.

Le vote utile

Le vote utile

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  • Il ne suffit pas de voter encore faut-il voter utile. Tactical voting diront les plus malins. Pour les paumés en revanche, les dernières sondées indiqueront comment voter utile pour faire barrage aux extrêmes. A contrario, le vote inutile, dit aussi vote de plaisir ou d’agrément, ne fait barrage à rien et assure même la victoire du camp honni. Vote de collabo qui s’ignore, vote imbécile et coupable quand la menace gronde. Le chantage à l’utilité n’est pas propre à la démocratie médiatique spectaculaire marchande mais se retrouve dans de nombreux secteurs de la vie publique. Vous repérerez ainsi au premier coup d’œil les bureaux de postes inutiles dans les campagnes, les aides soignants inutiles dans les hôpitaux, les matières inutiles à l’école, les services inutiles un peu partout. « La philosophie, est-ce utile ? » Cette phrase rituelle, tenue pour profonde par l’élève qui la pose en début d’année,  fait de l’utilité le juge absolu de tout effort de pensée. Utile, on prend ; inutile, on zappe.

 

  • L’utilité se présente toujours comme une fonctionnalité neutre, désintéressée. Voter utile, c’est se placer ainsi au-dessus des conflits partisans, accepter de mettre ses convictions de côté pour servir une cause supérieure. Faire de nécessité vertu. Renversement dans lequel la fonctionnalité pratique prend le dessus sur toute considération de valeur. L’efficacité d’abord. Voter utile, c’est devenir enfin adulte en sachant classer les priorités. Ce qui fait du vote utile une étape transitoire vers la remise en question de l’utilité du vote. En effet, ne plus voter, autrement dit faire en sorte que des institutions modérées démocratiques citoyennes sociales et libérales se perpétuent sereinement, reste la meilleure façon de ne pas prendre le risque des conséquences néfastes d’un excès de votes inutiles. C’est bien fait, les sondées sont justement là pour cela. Contrairement à ce que répètent quotidiennement les cacatoès fraîchement sortis des écoles de journalisme de l’information utile, les sondées ont pour première fonction de rendre le vote inutile. Le matraquage opère. Jusqu’à abrutissement des masses indécises, les sondées dessinent les limites de l’utile et de l’inutile, cartographient le territoire politique de l’utile et du dérisoire.

 

  • Dieu est unique ; le diable est légion. Vote utile d’un côté ; vote utopique, romantique, de contestation, de rejet, de colère, de refus, de protestation, vote avertissement, vote sanction, vote en caoutchouc de l’autre. Le vote utile entérine l’existant. C’est un vote de validation qui paraphe la soumission à l’ordre des choses et des rapports de force en présence. Un oui franc et massif aux pourcentages et aux sondées du peuple. Vote de résignation malicieuse et d’acceptation rusée aux diverses  techniques de scénarisation du corps politique et de mise en spectacle du peuple. L’élection n’est un piège à con que pour celui qui croit que le vote changera quelque chose. Alors autant voter pour celui qui va gagner. Non?

 

  • Le vote utile sait à quoi s’attendre, il est déjà au-delà. Le dernier homme de Nietzsche et le vote utile ne font qu’un. Une définition s’impose : le dernier homme est celui qui votera utile le plus longtemps. Que le vote utile ne soit qu’une construction médiatique, qu’un consensus factice d’information-production de l’opinion publique, ne semble pas déranger outre mesure. Peu importe les généalogies et les pensées de derrière, les critiques maussades et les constats alarmants sur l’anéantissement du jugement. Le vote utile a pour lui la force de l’évidence et du bon sens. Les débats télévisés sont massivement suivis, les tweets tombent en cascade, la démocratie est bien vivante. Votons donc utile pour que tout cela dure encore longtemps.

Castramétation mentale

Castramétation mentale

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  • Certains pensent encore que le travail de résistance critique aux abrutissements consentis relève d’un honnête passe-temps élitiste. A moins qu’ils ne soupçonnent une nostalgie cultivée, un dandysme stérile et complaisant, une façon habile de sauver son âme à peu de frais. Au nom d’un progressisme somnambulique, ils vont même jusqu’à accuser ceux qui témoignent des soumissions spirituelles de notre temps de faire le jeu des ennemis de la démocratie, autrement dit du marché. Car c’est bien de témoignages dont il est question. Dresser des constats, dire ce qui est le cas, faire état de ne ce que nous devenons, de ce que nous vivons, voilà notre seul réalisme. Au milieu d’une nuée de visionnaires, de marchands d’avenir, de promoteurs d’émancipations collectives, tous persuadés des vertus des nouvelles technologies de l’information et de la communication, quand la liberté ne circule plus qu’en fibre optique, ne reste qu’à témoigner. Quoi d’autre ? Consentir ? Jouer le jeu ? Subir les pires humiliations pour avoir le droit à son quart d’heure promotion ? Accepter la dégénérescence programmée de la langue pour trouver un public ?  Ménager le vide et appeler cela design ?

 

  • L’heure n’est plus aux négociations. Les ironiques milices de l’esprit qui erreront demain dans un maelstrom de virtualisations insensées n’auront d’autre souci que de préserver leur univers imaginaire, mental, linguistique. L’heure ne sera pas à la prise, encore moins à la chasse, mais à la préservation. Il s’agira de sauver, des moyens gigantesques qui seront mis en œuvre pour informer les masses, des lambeaux d’étonnement et avec eux quelques prodiges résiduels pour les porter, en contrebande. Décrire la bouillie progressiste, la peindre, l’illustrer, la chanter, non pas pour enrôler les petits hommes qui barbotent et sautillent dans cette gelée mais pour ne pas être englouti à notre tour. Les armes de la critique seront des armes défensives. Elles soutiendront une castramétation imaginaire, une sphère de protection mentale.

 

  • Ceux-là même qui prétendent réformer une société en crise le font dans des termes qui dévastent la langue. Dans le règne sans partage de la marchandise et du marché, les nouveaux démocrates seront aussi les publicistes d’une nouvelle offre de soumission. Ne tirons surtout aucune conséquence sérieuse de la catastrophe en cours : tel est le credo des politiques représentants de commerce. Ce à quoi je fais pourtant face quotidiennement sur les bancs de l’école publique ne ressemble en rien à une révolte contre un soi-disant système qu’il serait urgent de réformer mais à un délaissement spirituel sans précédent. Imaginaire rétréci, langage stéréotypé, uniformisation du jugement. Les mondes intérieurs s’appauvrissent en proportion inverse de leur mise en réseaux.

 

  • Où est la menace ? L’insécurité ? Le terrorisme ? La montée des extrêmes? La crise ? Les défenseurs d’un ordre économique qui se nourrit du rapetissement des dimensions de l’homme sont passés maîtres dans la mise en scène spectaculaire des menaces factices ou marginales. Les technologies de l’information, de la communication, de la médiatisation  ont atteint un tel degré d’intégration et de puissance que l’idéal d’autonomie du jugement cher à la philosophie libérale – chaque individu est libre de se situer en conscience face à une offre donnée – n’a plus aucun sens au regard d’une telle maîtrise. Pire, cet idéal est l’alibi utile qui autorise les plus obscènes régressions mentales (à condition qu’elles soient économiquement rentables) sous prétexte que l’individu est toujours capable de s’y soustraire. Affirmer le contraire serait faire preuve d’un odieux paternalisme morale : de quel droit pensez-vous que les individus ne sont pas capables de se situer eux-mêmes, de faire preuve d’autonomie, de distance, de recul critique ? Comme si l’autonomie, le jugement, la distance, le recul critique pouvaient ne pas être affectés par la contamination calculée, rationnelle d’une ingénierie de la communication qui a fait de l’esprit humain son dernier continent stratégique à conquérir. L’idéal d’autonomie libéral affirme théoriquement une sphère de jugement dont l’autonomie est pratiquement contraire aux intérêts du marché libéral. Il y a donc tout lieu de comprendre que cette affirmation n’est qu’un leurre utile : n’ayez crainte, votre liberté de jugement est en droit toujours sauve !

 

  • Un ami me faisait part récemment de l’angoisse que suscite chez lui une publicité d’IBM qui met en scène un dénommé Watson, célébrité médiatique dans le domaine de l’intelligence artificielle. Voir l’homme se prosterner devant la réconciliation de l’esprit, de la rentabilité et de la machine, pour le plus grand profit des puissances de l’argent, ne peut en effet que susciter l’angoisse. Une angoisse dont la réalité est inimaginable pour ceux qui imaginent aujourd’hui l’irréalité de demain. Angoisse qui devra être vaincue au profit du marché, non pas par des adversaires idéologiques fanatisés ou des théologiens barbares, ces menaces factices ou marginales, mais par un surcroît technologique d’information et de communication, le tout soutenu par une volonté politique émancipatrice et libérale. Il arrive ainsi à notre univers mental ce qui a déjà lieu dans le monde physique : une réorganisation du territoire, un réaménagement rentabilisé de l’espace.

 

  • Nos lignes de défense ne peuvent être simplement théoriques ou ironiques, spéculatives ou satiriques. Elles seront aussi offensives et agressives, humiliantes pour l’ennemi. L’angoisse pourra se muer en une violence symbolique qu’il s’agira d’orienter contre les promoteurs de la dévastation, ces hommes cyberadaptés qui parlent bas et sont à votre écoute. Combien de fois ai-je pu percevoir la jubilation de ceux qui exprimaient joyeusement, dans une formule bien sentie, dans une langue truculente, dans des pratiques erratiques, la défense de leur univers mental contre les puissances d’intrusion. Les mots ont un sens et il s’agit bien d’une guerre, non pas simplement de la mise en forme esthétique d’un certain désarroi, d’une petite insatisfaction passagère, d’une humeur. Nos adversaires ne s’y trompent pas. Reconnaissons leur au moins cette lucidité là. Ils savent, pour reprendre l’idiote rengaine, que personne ne sera pris en otage. Nous ne sommes pas du genre à faire des prisonniers.

Election de Mister France

Election de Mister France Couronne-miss-france-2015

  • Le psychodrame électoral bat son plein. Un défilé de gueules, de tronches et de costards agrémenté de gros chiffres, de quantification budgétaire, d’économies, de dépenses, de chiffrages pour le sérieux.  Casting présidentiel – la formule tourne sur les chaînes infos – sur fond d’éléments de langage, de formules-chocs, de propositions repères : nouveau logiciel, présidentiabilité, sortie de crise, rassemblement, calendrier juridique. Millions et milliards d’euros sont de sortie. Bouillasse d’avocats, guacamole éditoriale, minestrone en débats et  analyses en gratins. Une foire aux egos qui sert au mieux la mise en spectacle quotidienne du grand show quinquennal. Une armée de cacatoès délavés communiquent en boucle sur la chose. Menace du chômage, des extrêmes, de la dette, du déclassement, de la perte d’identité, du terrorisme. Menaces au programme. L’élection de Mister France et son décor glauque.

 

  • Bobos parisiens contre hobereaux de province, le peuple, oh bon peuple, va faire son choix. Drapeaux tricolores dans les deux camps. Les prolos cracheraient-ils dans la soupe préparée par les maîtres queue du spectacle politique ? L’heure est grave, les extrêmes sont aux portes de Paris. Le philosophe du mois éclaire heureusement la question dans le Magazine Philo Plus. L’orgie bat son plein juste avant la descente, les cent jours de grâce qui n’en feront plus qu’un. Actu oblige. Mister France portera tout : le redressement du pays, l’arthrose des seniors, l’urgence climatique, l’essorage de la dette, la purification de l’air, l’inversion de la courbe du chômage, l’espoir de la jeunesse, le travail, le loisir et le droit à l’orgasme.

 

  • Qui sera l’élu de votre cœur ? Le diarrhéique jeune péteux mégalo et ses flux d’outsiders translucides  décérébrés ? Le terrien constipé et son fief historique en cathédrales de bouses juridiques ? La flatuleuse héritière et son rictus de hyène pelée ? Le tribun ventriloque et son inutile talent oratoire météoritique ? Le spectre coprophage et sa vision brumeuse d’apparatchik frondeur ami des hommes ?  J’hésite. Non, j’ouvrirai l’annuaire le jour du choix et glisserai dans l’urne le nom d’un inconnu : Yvette Damnon, Karim Marty, Kevin Landi, Jean-Claude Pilorget.

 

  • La politique réalité surclasse définitivement  la télé réalité. Qui restera en deuxième semaine ? Dindes et dindons déchiffrent pour vous les ébats du jour, les derniers soubresauts dans le bocal. Qui reste ? Qui se retire ? Les fidèles de la première heure, les frondeurs de la dernière, vous les verrez tous, petits organigrammes animés pour mieux comprendre. La pédagogie n’est jamais très loin. Les alliances, les reniements, les confessions en off et les déclarations en prime avant de repartir à la conquête de l’électeur, dans les fiefs, sur les terres historiques.  Electeur-spectateur doublement sondé, audimat et intention de vote. Urine et selle. Avant, après, pendant. Le matin et le soir. A toutes heures. Flux quotidien de pourcentages, de courbes sur le modèle des courbes du chômage ou des indices de pollution de l’air. Météo politique ? Plutôt, lobotomie de masse, soft, design, démocratique, française. A voté.