La marche contre l’islamophobie et le bobo de service

La marche contre l’islamophobie et la gauche liquide

  • Inutile de revenir sur l’assemblage hétéroclite des signataires de la tribune qui appelle à manifester contre l’islamophobie le 10 novembre 2019 à Paris. Laissons la chasse aux sorcières à ceux qui usent de l’anathème « islamophobe » pour ne pas penser le problème politique dont il est question et cette marche pose un problème politique, le problème politique de la gauche plus que celui de l’Islam en France.

 

  • La question posée, derrière le grand barnum, est de savoir si le modèle communautariste anglo-saxon peut prendre en France. Cette question mérite pourtant d’être reformulée tant le mot « communautariste » manque de précision. Il s’agit plutôt d’évaluer quelle relation le politique entretient avec la société. Autrement dit, vivons-nous dans une société civile avant de vivre dans une société politique ou est-ce l’inverse ? C’est bien cela la question de fond, c’est aussi cela qu’une partie de la gauche française ne veut surtout pas penser, barbotant dans le social très loin du politique.

 

  • Après tout, qu’importe le voile dans les sorties scolaires si la mère est disponible pour accompagner les élèves – un préalable est d’en finir avec les mots régressifs qui piègent la réflexion politique, « maman », « enfant » ? La question peut-être formulée autrement : pour quelle raison l’éducation nationale a-t-elle de besoin de mères (et pourquoi pas de pères ?) pour accompagner les élèves lors des sorties scolaires ? Ce mélange n’a pas lieu d’être. L’école de la République doit être capable d’encadrer des sorties scolaires sans avoir recours à des mères (ou des pères, j’insiste) d’élèves. Pas d’encadrement, pas de sortie. Au ministère de rendre des comptes de sa politique éducative à ceux qu’il lèse par cynisme. Curieusement, rares sont ceux qui posent la question en ces termes. Tous semblent entériner le fait que la sortie scolaire est une sortie hors de l’école de la République étant entendu que les parents n’ont pas à entrer dans les salles de classe, que la fameuse société civile n’a pas à faire intrusion dans l’institution scolaire qui est avant tout une institution politique sérieuse et pas une zone de stabulation bouffonne ouverte aux quatre vents du grand marché relativiste.

 

  • Nous mesurons déjà à quel point les positions divergent sur ce que doit être l’école de la République. Pour moi, un lieu d’exigence. Exigence qui s’impose à tous, aux personnels de l’éducation nationale, aux professeurs, aux élèves, aux parents d’élèves qui ne sont pas les clients d’un service à la personne. Cette exigence suppose une tenue, une attitude, une rigueur pour soi et pour les autres. Dire cela, ce n’est pas être de « droite » ou « réactionnaire » comme le répètent en boucle des imbéciles, de sombres crétins qui tiennent à peine débout. Comment voulez-vous exiger quoi que ce soit au milieu d’un hall de gare ? Comment élever qui que ce soit (l’ambition n’étant pas de rester vautrer en attendant que cela se passe) sans exigences ? Exigence de travail, d’engagement, de rectitude, exigence de moyens aussi. Autant de mots en passe de devenir grossiers. Sans exigences instituées, l’homme, tout homme, se liquéfie. D’où le religieux pour le rappel à l’ordre.

 

  • Nous ne prêtons pas attention aux mots. Que signifie « pratique rigoriste d’une religion » si ce n’est une forme d’exigence que l’on s’impose ? Mais pourquoi cette exigence devrait-elle en passer par le religieux ? Comment se fait-il que nous acceptions le rigorisme du religieux tout en repoussant systématiquement toute forme d’exigence politique ? Pour quelle raison ceux qui se soumettent à la loi de leur Dieu réclament de droit l’insoumission contre la République ? Et comment voulez-vous faire valoir une exigence politique quand un politique véreux préside l’Assemblée nationale ? Voyez-vous le problème ici posé ?

 

  • La pensée républicaine est portée par une exigence que nous avons fini par oublier, une exigence de et pour l’homme. La gauche sans exigence, sans verticalité, la gauche couchée, c’est la gauche de toutes les défaites, de toutes les trahisons. Voilà ce qu’est aujourd’hui la fameuse pensée anti-républicaine bobo de gauche  : une pensée sans exigence politique, une séduction de l’autre, un tapinage qui se fantasme humaniste. Au fond, cette pensée anti-républicaine trouve dans le religieux une exigence et une tenue qu’elle a perdues depuis longtemps. Incapable d’affirmer quoi ce soit, d’exiger quoi que ce soit de l’homme, elle déboulonne ce qui reste encore debout car elle affectionne l’homme couché. Elle le tient ainsi pour son égal. Si elle peut, cerise sur le gâteau de sa bonne conscience, lui venir en aide ostensiblement, elle ne se privera pas de le faire savoir haut et fort. Ce qu’on appelle improprement l’islamo-gauchisme (les synthèses politico-religieuses sont toujours religieuses) nous en dit plus sur ce que devient une partie de la gauche (sans -isme) que sur l’Islam. Comme si la gauche allait chercher une ossature chez l’autre, faisait de la religion le corset de son dégoulinement idéologique et de sa liquéfaction intellectuelle.

 

  • L’idiot utile imagine faire barrage aux extrêmes, aux identitaires car il n’a plus aucune identité politique. Il est à côté de ses pompes. Que défend-il d’ailleurs ce petit homme ? Il sera bien en peine de vous le dire ? Flatter oui, délimiter non. Les droits de l’homme ? Vous baillez déjà. Surtout n’alourdissez pas trop la question par cette autre, vous risquez de le perdre  : qui est l’homme des droits de l’homme ? Montre moi, je suis curieux de voir ce que tu désignes exactement, qui tu pointes de ton doigt tremblant. Cette marche c’est le grand symptôme de la gauche liquide, celle des bobos de service qui construisent le méchant et le bon dans des ateliers pâte à sel en se faisant rouler dans la farine en fin de cuisson.

 

  • Qu’elle marche, somnambule, une nouvelle exigence politique se lève sans elle, un nouveau rapport de force qu’elle finira par suivre le jour où elle se préoccupera à nouveau du peuple plus que de l’image flatteuse qu’elle s’en fait pour elle-même. Car il s’agit bien de cela, de son image, ah l’image de la gauche. Si elle pouvait ici s’inspirer de l’Islam et brûler ses idoles révolutionnaires de papier pour bibliothèques engagées, elle comprendrait peut-être qu’on doit toujours opposer à la puissance une puissance pas une posture dérisoire pétrie de mauvaise conscience et de résignation.

Jean-Jacques Rousseau, le pacte social ou plus rien

Jean-Jacques Rousseau, le pacte social ou plus rien

(ce qui peut tenir lieu aussi de réflexion sur le RIC)

« Je suppose les hommes parvenus à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservation dans l’état de nature, l’emportent par leur résistance sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors cet état primitif ne peut plus subsister, et le genre humain périrait s’il ne changeait sa manière d’être. » 

  • Les premières lignes du chapitre VI, du livre I, Du Contrat social (1762) pourraient être mal lues. Rousseau fait référence ici au second état de nature, celui auquel les hommes parviennent du fait de leur perfectibilité. Un état coincé entre nature et culture, un entre-deux invivable. Cet état n’est pas situé dans un temps reculé. En effet, le problème de Rousseau n’est pas de sortir de l’état de nature mais de savoir, comme l’écrira Kant dans son dernier ouvrage, Anthropologie au point de vue pragmatique  (1798), à quelles conditions notre espèce pourrait s’engager « dans la direction où elle se rapprocherait continûment de sa destination. » Dans cette recherche, la civilisation est toujours susceptible de corrompre, par l’inégalité et l’oppression, la destination humaine. L’homme de l’homme, éduqué contre nature, autrement dit contre lui-même, est toujours susceptible de se retrouver dans une situation où il ne peut plus subsister.

 

  • Réécrivons le texte : « je suppose les hommes parvenus à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservation dans le projet ordo-libéral tardif, l’emportent par leur résistance sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors cet état improprement nommé « progressiste » ne peut plus subsister, et le genre humain périrait s’il ne changeait sa manière d’être. »  Pour comprendre Rousseau, il faut partir de là, de ce second état de nature qui correspond à la condition dévoyée de l’homme. Dans cet état, l’homme ne satisfait ni des besoins naturels ni son aspiration à la culture, à la liberté. Il se bat dans une oppression mutuelle, il ne répond pas à sa destination d’homme libre. C’est l’état de malheur qui est aussi notre lot, état dont on ne peut sortir que politiquement.

 

  • Ce dévoiement devra être pensé dans sa logique propre, dialectiquement : dans quelle situation les hommes se sont-ils mis et pourquoi ? Sur quelles prémisses ont-ils accepté cette déformation de leur pensée et la misère de leur condition ? Pour quelles raisons n’arrivent-ils pas à en sortir ? Emmanuel Kant a parfaitement compris le projet de Rousseau. Il écrit, contre la méchante lecture de Voltaire, toujours dans l’Anthropologie au point de vue pragmatique  : « Rousseau n’entendait pas que l’homme dût retourner à l’état de nature, mais que, du stade où il se trouvait désormais, il portât sur lui un regard rétrospectif. » Comment en sommes-nous arrivés là et que pourrions-nous faire pour « sortir du labyrinthe dans lequel notre espèce s’est enfermée par sa faute  » ?

 

  • Il est toujours possible de nier que nous soyons enfermés dans un labyrinthe. Cette attitude, qui convient plus au fou ou à l’ami de la servitude volontaire qu’à l’homme qui veut éprouver sa liberté, est aujourd’hui, hélas, fort répandue. Celui qui interroge la corruption de l’homme sera vite taxé de faire « le jeu de la réaction », comme si la marche de l’homme était linéaire, comme si la destination de l’homme s’imposait d’elle-même à celui qui marche sans se retourner. C’est justement la conception politique que rejette Rousseau et que nous rejetons à sa suite. Il nous faut dès lors expliquer pourquoi en revenant aux principes de cette idéologie du progrès pensé comme une marche en avant inéluctable.

 

  • Rappelons qu’il est impossible de définir le libéralisme sans en passer par une réflexion sur l’anthropologie libérale. Les pesantes querelles (la scolastique permettant d’éviter soigneusement la critique sociale) sur le bon ou le mauvais usage du mot évitent soigneusement de faire ce que propose Rousseau, « ce regard rétrospectif » dont parle Kant et cela pour une raison très simple : le libéralisme refoule fondamentalement l’anthropologie politique au profit d’une conception naturaliste de l’homme. « Le libéralisme ignore la société et est indifférent aux valeurs » (Barbara Stiegler, Il faut s’adapter, Sur un nouvel impératif politique) à condition de préciser de quelle société nous parlons et de quelles valeurs.

 

  • Rousseau est ici décisif. Au début de la seconde partie Du discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes il critique Locke sans le nommer. Le libéralisme philosophique, au fondement du libéralisme économique, commence par l’appropriation de la terre. Il est naturel pour Rousseau de jouir des biens de la terre car ses biens appartiennent à tous. L’appropriation foncière de la terre, par contre, ne peut se justifier par une nécessité naturelle. Au fondement du projet libéral, de notre société, nous trouvons un acte de prédation qui voudrait se faire passer pour une liberté. Cet acte, faussement naturel (un droit lui est même associé chez Locke, le droit naturel, une monstruosité juridique) sera « le vrai fondateur de la société civile » écrit Rousseau. Ce passage est décisif car Rousseau distingue la société civile de la société politique, qu’il renommera association. « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire, ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. » 

 

  • Insistons sur l’avertissement : « des gens assez simples pour le croire ». Le projet libéral, celui de la société civile justement, fait d’appropriations et de dominations consenties, repose sur une croyance. Il serait naturel d’enclore un terrain et de le faire sien. Cet acte premier, parangon de la liberté libérale, ne serait pas encore légitimé par un cadre juridique et politique. Autrement dit, la prédation de la terre est le résultat consenti d’un pur rapport de force qui s’impose aux croyants comme l’expression d’une liberté inaliénable. Partant de telles prémisses, il y a aucune raison de s’offusquer de voir l’eau privatisée en Inde par Véolia. C’est bien naturel, non ?

 

  • Dans son fondement même, le libéralisme est incapable de répondre à la question essentielle de la prédation de la terre. Structurellement incapable. Toutes les arguties sur les différentes variétés de libéralisme n’y changeront rien. La liberté libérale est avant toute chose un droit de prédation consenti dans une croyance benoîte, au profit d’un homme, au détriment d’un autre.« Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. » Mais qui refuserait d’écouter son propre penchant, sa propre volonté de prédation, confortablement installé dans sa sacro-sainte « société civile » (Macron, pour exemple, en a d’ailleurs plein la bouche en énonçant la chose) dans laquelle il brille comme il peut quitte à s’électrocuter sur les fils de son enclos à la moindre velléité de fuite ?

 

  • Nos pensées, nos habitudes, nos perceptions sont pétries de cette croyance benoîte selon laquelle on est bien chez soi, volets clos, au chaud, à manger les fruits mûrs de la terre arrachés aux autres de droit. Peut-être qu’il y a là un tropisme irrépressible de l’homme. C’est fort possible. Le dressage à cette liberté-là est trop bon, ça marche trop bien. C’est tellement naturel ajoutent les bons libéraux si tatillons quand il s’agit de définir leur concept de liberté, si peu exigeants quand il s’agit de peser l’étendue de la misère humaine qui en découle.

 

  • Rousseau n’est pas de ceux-là, il a pour l’homme une autre exigence, l’idée d’une autre société. Le projet de la philosophie libérale, bourgeoise par nature, est anti-politique parce que naturaliste. C’est aussi pour cette raison que Rousseau a placé une aussi forte volonté dans la critique de ces mauvaises associations, nature et politique, force et droit.  La régression de l’homme par le progrès (c’est ici que je m’accorde avec Barbara Stiegler lorsqu’elle affirme que le projet libéral est sans valeurs) suppose un refoulement de l’anthropologie politique. Celle-ci doit être liquidée très vite, nous n’y reviendrons plus. Cette anthropologie naturaliste (l’homme est ici par nature) se fait sans l’autre. C’est celle de la monade isolée, de l’atome agissant qui s’oriente en fonction de la liberté de ses choix. Quelques avachissements plus loin, c‘est à moi pour la prémisse, à ma guise pour le credo, fais pas chier pour la conclusion.

 

  • Rousseau fait apparaître le lieu de l’autre, il rend l’autre présent au moment où l’enclos se délimite sans l’autre. Cet autre, mon semblable en devoirs, ce sera le citoyen. Il pose cette question simple quand le marteau de l’appropriation frappe sur la table : et lui ? Cette présence est politique car elle suppose le partage et une exigence que nous qualifierons de démocratique. Non pas la démocratie libérale, celle qui exploite au mieux la croyance des « gens simples » dans la prédation supposée naturelle de la terre mais une démocratie qui a à voir avec une anthropologie politique radicalement libre. Car il ne faudrait pas se tromper, la liberté pour Rousseau n’est pas le problème mais bien la solution, le terminus ad quem du politique. Cette liberté dévoyée par le projet libéral qui, dès son origine, théorise l’appropriation de la terre certainement pas l’émancipation des hommes. Celle-ci fut toujours arrachée, dans une lutte implacable qui fit plier le droit naturel pour lui rappeler le droit des hommes. Le projet libéral ne donne rien et sans une lutte politique, il reprend tout.

 

  • Rousseau est un homme des Lumières pas de ses ombres. Mais les Lumières ne sont pas sans contradictions. Ce sont ces mêmes contradictions dialectiques que le progressisme qui se singe aujourd’hui lui-même jusqu’au plus grand ridicule rejette avec toute la violence de la force publique contre le peuple. Les arguties conceptuelles, néo-, ultra- qui peinent d’ailleurs à se comprendre elles-mêmes, sont bien souvent des justifications a posteriori des états de fait. Il arrive un point où le projet d’émancipation se trouve tout simplement broyé par le retour de ce second état de nature, conséquence d’une dépolitisation de masse savamment entretenue par le projet libéral. Les chiffres servent à cela, dépolitiser les consciences et faire croire à un ordre mécanique du monde, une marche inexorable vers le Bien. Cette idéologie cache mal son conservatisme et ses forces de régression. L’accaparement des richesses et l’appropriation de la terre sous couvert de liberté, n’est-ce pas sublime, n’est-ce pas bien joué ?

 

  • Nous fabriquons massivement des savoirs pour ne pas savoir, des discours sophistiqués pour ne surtout rien dire  et des actes forts pour justifier l’inaction. Toute la logique est d’occultation. Faire en sorte qu’il ne se passe plus rien et il ne se passera en effet plus rien, si ce n’est l’extension du domaine du malheur, sans un retour au pacte social. Ce pacte n’est pas une abstraction comme laissent accroire ceux qui préfèrent la politique des loups à condition de se placer toujours du bon côté de la meute mais une praxis,  une activité auto-instituante aujourd’hui fondamentalement déniée par le projet libéral foncièrement anti-politique qui nous renvoie aussitôt aux heures les plus sombres du stalinisme. Ces mainates autistiques, satisfaits de leur sort, ont pour fonction de radoter le progressisme contre le politique. Ils ne servent d’ailleurs qu’à cela, sont payés pour cela et trouvent leur place dans un parasitisme mondain qui n’a rien à envier aux courbettes des courtisans de l’ancien régime. La misère de cette pensée  – et le mot est encore généreux – se mesure à la nature de la violence répressive qu’elle justifie ouvertement.

 

  • Le pacte social est sortie du second état de nature car capable, en ménageant une place politique à l’autre, le citoyen, de réconcilier les consciences isolées. Contre le projet libéral, le projet républicain cherche à réconcilier les hommes avec eux-mêmes en désarmant les consciences, à l’opposé des logiques d’enracinement identitaires parfaitement compatibles avec le projet libéral d’éviction du politique. C’est d’ailleurs ici que doit être compris le lien effectif (et non fantasmatique dans la tête de ceux qui font de la réalité une dépendance de leurs lubies) entre le projet libéral et la consommation marginale des modes de vie, le libertaire, dans lequel s’embourbe définitivement une partie de la gauche française depuis des décennies.

 

  • La liberté des hommes, « parvenus à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservation dans l’état de nature, l’emportent par leur résistance sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état » doit être instituée. De la nature du mode d’institution dépendra la consistance de la subjectivité des citoyens tout autant que la stabilité de la société politique condition de la société civile (et non l’inverse). C’est justement cela qui est dénié, travesti par le projet libéral, c’est cela qui ne doit pas être, pire, qui n’a pas lieu d’être. (1) Incapable de se résoudre dans une synthèse de plus haut niveau, la conflictualité sociale se fragmente, ce qui laisse tout loisir aux faitalistes de constater l’échec sans comprendre ses raisons. Ayant eux-mêmes parfaitement assimilé le déni du politique, étant eux-mêmes les surgeons improductifs de ce déni, ils se contentent de valider l’existant en échos.

 

  • Comment l’intersubjectivité peut-elle se politiser si ce n’est en faisant fond sur une communauté de destin ? Là encore, ce destin collectif doit être déprimé par le projet libéral, ce que permettra l’excroissance exorbitante des questions sociétales de diversion, minoritaires mais omniprésentes dans l’espace public. Toute une armée de chercheurs micro-capsulaires trouve dans ce mouvement de fragmentation l’occasion rêvée de s’adapter au marché tout en cultivant une posture de rebelle, rentable. La promotion de la subjectivité critique se coupe du politique en dépolitisant l’intersubjectivité. Mon rapport à l’autre n’est plus celui d’un citoyen à un autre citoyen mais celui d’une conscience revendicative à une autre. De là l’importance stratégique, afin de retrouver une unité politique et de destin, de critiquer sans relâche la valorisation des spontanéités irréfléchies qui conspirent contre leur propre liberté politique en s’aliénant à des identités de fragmentation. Là encore, une partie de la gauche française n’a rien compris à cette dialectique de l’unité politique et du fragment sociétal. Elle est, en cela, condamnée à perdre contre un projet ordo-libéral qui fera l’unité par un retour brutal à la naturalité (identités archaïques, rapports de force tribaux, clanisme).

 

  • Le pacte social n’est pas une option politique sur le grand nuancier des moyens mis à la disposition des pouvoirs pour gérer les masses humaines mais une condition fondamentale de l’exercice pratique de notre liberté.  La disparition de la réflexion philosophique ayant prise sur le réel a laissé la place à des discours secondaires, vaguement sociologiques, qui font de l’œil aux sciences de la nature. La fameuse anthropologie naturaliste qui encadre le projet libéral : l’homme, c’est ça.  Le reste est encadré par des pourcentages censés tenir lieu de destin. La dimension critique, réflexive, déserte les lieux de savoir au profit de techniques marginales d’administration du parc humain. Cette éviction est aussi celle du vécu : nous devenons incapables de penser ce qui nous arrive tout en pouvant aligner de savantes réflexions sur les cinquante nuances de grisaille du projet libéral.

 

  • Bref, nous sommes prêts, dans le sillon creusée par Rousseau, au-delà de Rousseau, a construire une stratégie qui aura pour tâche d’élaguer les niaiseries et les innombrables renoncements qui nous condamnent à une liberté politique sans réalité et une vie subjective sans saveur.

…….

Lorsque Mona Ozouf affirme que le mouvement des gilets jaunes n’est pas un mouvement révolutionnaire, ce n’est pas la révolution qu’elle empêche (qui se fera toujours sans elle), mais le politique qu’elle oblitère.

Le destin contre la liberté libérale

Le destin contre la liberté libérale

Résultat de recherche d'images pour "le destin"

(la vérité est sans patronyme)

  • L’action révolutionnaire n’est pas seulement la révolte mais un travail de déplacement à l’intérieur des dispositifs d’un certain ordre. Le mot d’ordre de cet ordre : la liberté.  C’est bien la liberté, libérale nous insistons, qui assure le lien entre le parasitisme mondain et l’exploitation des économies de subsistance uberisées – le mot désigne aujourd’hui une idéologie fonctionnelle à haut coefficient de rentabilité. La liberté libérale, ce nouveau Dieu profane, cette idole du vide, prête à accueillir tous les corps, tous les esprits, toutes les têtes pensantes et tous les culs du progressisme régressif. A condition d’en être, il va de soi.

 

  • Combien de fois ne nous sommes-nous pas demandés, à propos d’institutions que nous connaissons bien et qu’il s’agirait de rendre « plus libres »  : mais de quoi parlent ces déments ? Comme si la parole censée désigner l’institué ne servait plus désormais qu’à cela : ne surtout rien dire. Le déplacement idéologique fondamental, celui que permettent les innombrables diversions de la liberté, consiste à évider la liberté de toute dimension politique. La liberté, un fait de nature pour les ordo-libéraux de la trique et de la com, une donnée première, un fait irrécusable que risquent d’entraver les défenseurs de la cause du peuple. « On ne revient pas sur une liberté », clamait Raphaël Enthoven au congrès des conventions de la droite et sur les plateaux télévisés de l’écho en meutes d’insignifiance sans adversité réelle. Quel beau programme autistique.

 

  • Fonction syncrétique, cette notion est particulièrement prisée par les intellectuels de diversion, toujours très en vue lorsqu’il s’agit de dénier à la réalité toute réalité. Ce triomphe du modèle libertaire, aujourd’hui soutenu par des milices « pro choix », prêtent à faire le coup de poing dans des universités pour empêcher la conflictualité politique, est une véritable machine de guerre contre le politique justement, contre tout ce qui permet aux citoyens de se penser dans un destin commun et de l’affronter. Notion essentielle – le destin – car inscrite dans le principe de réalité et le sérieux du procès de travail. Si le destin n’est pas la fatalité, il s’éprouve dans la confrontation avec un ensemble de nécessités sociales, historiques, culturelles. Il est lutte. Professeur de philosophie en 2019, ce n’est pas être libre de penser (formule totalement creuse et publicitaire, bonne pour les troubadours de la fraude fiscale) mais affronter le destin collectif d’une éviction de la pensée, d’une marginalisation de sa discipline. C’est cela le destin : le non-choix de notre situation sociale, historique, culturelle.

On affronte son destin ; on consomme sa liberté libérale.

 

  • Le modèle libertaire, celui qui fut la matrice idéologique de la liberté libérale, est une puissance de séduction, il tapine contre la nécessité : tu es libre, susurre-t-il à l’oreille des flottants, viens flotter avec nous et boire des cocktails avec les philosophes de la liberté. Cette nouvelle relève dépressionnaire vieillit à vue d’œil. Las, le grand tapinage sociétal de cette liberté libérale s’essouffle. C’est que tout le monde ne peut pas participer à ces agapes et la frustration monte chez ceux qui ne peuvent pas s’extraire de leur condition destinale : les bouseux, les gueux, les déclassés, les chômeurs, les vrais marginaux, ceux du procès de production, les exclus pas les loufoques, pas ceux du show-biz.

 

  • Alors le tapinage redouble et devient menaçant. En marche forcée vers la liberté libérale, indiscutable, irrépressible. « On ne revient pas sur une liberté », la menace est à peine voilée. Les opposants, ceux qui ont compris que cette liberté n’était pas leur destin, ceux qui reviennent aux nécessités économiques, à leur exploitation, ceux-là deviennent des opposants à la liberté. La mécanique est rodée pour celui qui se soumet aux lois de la mécanique. Hier encore, la fille d’une famille populaire parlant des manifestations de gilets jaunes à Bordeaux, dans la rue : « il faut prendre une putain de voiture et leur rouler dessus, il font trop chier ». Parfaite involution contre-révolutionnaire, parfaite soumission à la liberté libérale, incontestable politiquement. La domination sans faille des esprits et des corps tout en bas de l’échelle.

 

  • La liberté libérale est le mot d’ordre de la soumission à des modèles de consommation pré-contraints, déjà façonnés. On rentre dans des canevas, des modèles, les intellectuels n’y échappent pas. Eux encore moins que les autres. Ils se savent menacés, déclassés, ils s’adaptent, acceptent le deal du tapinage pour une maigre visibilité (Le Monde, Libé, Obs). D’ailleurs, ils n’ont plus d’idées, ça tombe plutôt bien. C’est offert avec la promotion mondaine. D’où l’angoisse de ces causeurs, structurelle. Une angoisse qui pourrait se transformer en littérature. Non, ce sera clito prostate et nombrilisme pour tout le monde.

 

  • On ne choisit pas son destin mais on peut y faire face, lucide. On choisit sa liberté libérale, celle des bêlants « pro-choix » mais dans l’obscurité, en mode zombie selon le vocabulaire de saison. Le destin est tragique ? Sûrement. Mais il a une réalité. Le reste, c’est la liberté des spectres flottant dans l’Hadès à simulacres, les pseudo en tout. Incapables d’énoncer quoi que ce soit, de prendre parti, d’assumer une position, de trancher dans le mou, les VRP du modèle libertaire finissent par ne plus croire à eux-mêmes. Ils se singent eux-mêmes. Cette liberté misérable, la liberté mon cul de Philippe Katerine, est le pire des étouffoirs, le chantage terminal des résignés. De là cette nouvelle alliance, le rejet d’un type d’homme avec la lutte politique contre l’exploitation que cette pseudo liberté permet. L’alliance de l’anthropologie valorielle et de la critique sociale. Le modèle libertaire est oppressif, violent, injuste. Une machine à déréaliser et à frustrer.

 

  • Le mondain est en train de passer de mode. Les libertaires libéraux sont les nouveaux ringards du siècle et Rousseau reprend du poil de la bête, n’en déplaise aux voltairiens-cocktails dépassés par la marche du monde – pas celle des petits arrivismes. D’où la position initiale : l’action révolutionnaire n’est pas seulement la révolte mais un travail de déplacement à l’intérieur des dispositifs d’un certain ordre. Mais pour faire quoi ? Se libérer ? Mais non, tu rechutes, se redonner un destin collectif, exigeant spirituellement et juste socialement mon ami. De ce destin ne seront exclus, et sans ménagement excessif, que les parasites de la liberté, les profiteurs de la crise. Ils seront isolés – ce qui ne leur déplaira pas forcément à condition qu’il y ait toujours des cocktails. La liberté libérale qui pourrit la vie du plus grand nombre réduite à ce qu’elle est, un onanisme pour glace pillée. Cela suppose une prise de conscience étrangère aux mondains dépolitisés qui jugent le monde avec leur moraline. C’est cela la nouvelle lutte des classes : l’alliance transversale du travail et de l’esprit.

L’esprit laïque

L’esprit laïque

Résultat de recherche d'images pour "laique"

  • Par quel tour de passe-passe la laïcité a fini par devenir une valeur quasi exclusivement de droite en France ? Pour comprendre cette curieuse distorsion, il faut revenir à ce qu’est, pour la vulgate libérale, la conscience politique. Ce détour est indispensable. Car contrairement à ce que l’on pourrait croire, la laïcité, avant d’être une question de principe et de loi, est une question d’esprit.

 

  • L’idée de République chez Rousseau n’a pas à se soumettre à un impératif moral, elle n’est pas une dépendance de l’impératif catégorique. Elle est politique, laïque, car essentiellement démocratique. Elle suppose une éducation à la liberté, critique, pratique et donc révolutionnaire. Jean-Jacques Rousseau, aimé ou haï, est en France le philosophe qui a donné son sens à l’esprit laïque. Il avait compris que la liberté de l’homme ne pouvait se réaliser politiquement sans l’éducation d’une conscience réfractaire aux pouvoirs mondains qui se nourrissent de la séparation des consciences. Cette séparation est avant tout guidée par des intérêts partisans qui n’ont aucune raison de vouloir l’unité des consciences sans laquelle il ne saurait y avoir de République.

 

  • Rien à voir cependant avec la fusion des consciences. Contrairement à ce que pensent les libéraux, incapables structurellement de raisonner en termes politiques à cause de leur mauvaise anthropologie, l’unité n’est pas matérielle mais politique. Les divisions, les conflits peuvent et doivent se faire entendre à condition qu’ils ne soient pas l’expression de « brigues » (Du contrat social, Livre II, ch. III) ou « d’associations partielles aux dépens de la grande ». Les revendications claniques, naturalistes, ne sont pas incompatibles avec la République libérale qui est un vrai libéralisme idéologique et une fausse République. Elles le sont par contre avec la République laïque, une et indivisible.

 

  • Une femme musulmane voilée affirmait récemment sur un plateau de télévision qu’elle était « pro-choix », une intervention appréciée sur les réseaux sociaux. Sa thèse, très claire au demeurant, était celle de la conscience libérale que je résume par cette formule œcuménique : « Mon voile, ma kippa, ma croix, ma vie, mon cul ». Cette conception de la liberté, aujourd’hui dominante à gauche, n’est pas laïque. En effet, l’esprit de la laïcité ce n’est pas la liberté du choix individuel, ce n’est pas non plus l’imposition d’un dogme qui brimerait les croyances religieuses. C’est avant tout une distinction fondamentale entre ce qui relève de la « grande association » et ce qui n’en relève pas.

 

  • Pour des raisons identitaires et nationalistes, une partie de la droite française a récupéré l’esprit laïque en le rabattant sur l’identité nationale. L’entrisme islamique, dont le voile reste l’expression la plus manifeste, a donné l’occasion à cette même droite de se faire la garante de la laïcité. Incapable de réfléchir dialectiquement, donc politiquement, une partie de la gauche française, en particulier depuis 2004 et la loi sur les signes distinctifs à l’école, a été incapable de distinguer ce qui devait être soutenu, du côté du législateur, et critiqué comme logique de dépolitisation et aggravation de la ligne identitaire. 

 

  • En pratique, la laïcité n’est pas simplement un dispositif législatif mais une façon d’être politiquement avec l’autre. Hélas, ce qui devrait être la vertu des citoyens est en passe de devenir la morale des bourgeois car la gauche mondaine – « bobo » manque de fermeté conceptuelle – s’est détournée de l’esprit laïque en acceptant les présupposés anthropologiques de la conscience libérale « pro-choix ». Cette gauche, fragmentée à la hauteur de son individualisme forcené, perdante politiquement, est structurellement dépolitisée. Ses combats, à l’échelle de la représentation nationale, et cela depuis des décennies, sont essentiellement mondains. Ayant abandonné le terrain de la lutte sociale, du travail, du sérieux, de l’exigence (l’école est un exemple paradigmatique de cette démission) au profit de diversions sociétales toujours plus marginales, interroge moins le bien public que le bien pour soi. Elle s’accommode par conséquent de la fragmentation des consciences contraire à l’esprit laïque et n’a plus rien à dire à une femme musulmane qui, tout en affirmant qu’elle ne comprend pas ce qu’est l’Islam politique, met en avant la liberté « pro choix » comme une valeur transcendante et irrécusable.

 

  • L’esprit laïque par conséquent n’est pas une valeur identitaire et ne peut pas l’être. Sa réalité est politique. Sanctifier un discours au seul titre qu’il est pour le choix dans un déni de ce qu’est le politique est justement contraire à l’idée que Rousseau se faisait de la laïcité, à l’idée que nous nous en faisons. La République n’est pas un espace neutre qui devrait garantir la coexistence plus ou moins pacifique des consciences mais une exigence de liberté. Curieusement, les « pro-choix » sont moins diserts quand il s’agit de considérer la réalité des « pseudo-choix », voire des « non-choix », favorisés par une République indifférente à la nature politique de la liberté de ses citoyens.

 

  • Nous sommes ainsi passés de la liberté politique, celle de Rousseau, à la liberté de l’individu, annexe de la liberté d’acheter et de vendre, à la liberté du « pro choix », la plus pauvre possible. Une partie de la gauche est aujourd’hui empêtrée ad nauseam dans les implacables conséquentes de son indifférence à la nature de la chose publique. Si elle se rabat exclusivement sur l’économie, son dernier bastion matérialiste, elle se trouve aussitôt prise au piège du réalisme par des marchands qui ne se sentiront jamais menacés par une critique politique qui accepte leurs prémisses anthropologiques : celles d’un individu libre de choisir, à sa guise, en toute indifférence des consciences qui lui font face.

 

  • L’esprit laïque suppose par conséquent une anthropologie, un discours sur l’homme, sur sa nature comprise aussi bien politiquement qu’historiquement. Il va de soi que cette anthropologie n’est pas dénuée de valeurs et de jugements normatifs. Pour autant, ces valeurs ne sont pas des absolus éternels mais des exigences effectives de justice situées. Il s’agit bien du projet d‘une société républicaine auquel une majorité de citoyens français est viscéralement attachée. La société des semblables en devoirs non simplement des égaux en choix. C’est justement ce projet que ne veulent pas les identitaires nationalistes et les libéraux dépolitisés. Il font d’ailleurs bon commerce ensemble sur Cnews. Cet attachement n’a rien à voir avec les régressions infra-politiques d’un ordre naturaliste du monde, fonds de commerce de discours qui utilisent la laïcité comme un cheval de Troie en s’accommodant des injustices sociales qu’ils attribuent à l’autre, l’étranger forcément. Il est également radicalement distinct de cette société-marché-monde qui dissimule sa brutalité sous une liberté de pacotille, vide politiquement.

 

  • L’esprit laïque est un rempart contre la désagrégation sociale à condition qu’il soit compris politiquement c’est-à-dire comme refus de la séparation des consciences, possibilité de constituer une unité de culture capable de résister aux forces de dislocations naturelles : le fort mange le faible. Le délitement de la gauche française est aussi la conséquence d’un renoncement par confort mondain, petit conformisme social, renoncement d’avoir pour le citoyen des exigences, quitte à froisser quelques narcissismes « pro choix ». L’esprit laïque n’est pas le défilé de l’ostension satisfaite mais l’association des consciences inquiètes pour le bien public et la liberté politique de tous. La conscience politique, contrairement à la conscience libérale « pro-choix », est justement le refus de telles séparations ostentatoires et la volonté autonome de retrouver une synthèse humaine. Il faut pour cela une vertu qui est aussi force de résistance. C’est cela l’esprit laïque.

Le chiffon brun de Jacques Attali

Le chiffon brun de Jacques Attali

Résultat de recherche d'images pour "souveraineté rousseau"

« Le souverainisme n’est que le nouveau nom de l’antisémitisme. Les juifs et les musulmans, menacés tous les deux par lui, doivent s’unir face aux fantasmes du grand remplacement. » J. Attali, 4 octobre 2019.

  • Cette dernière sortie du mondialiste Jacques Attali, conseiller et faiseur de princes depuis quarante ans en France, est symptomatique. Il faut en effet, pour les prophètes du gouvernement mondial, que la souveraineté politique, celle de Rousseau dans Du contrat social, à l’échelle d’un État, la France, soit ethnicisée, rabattue sur un nationalisme étroit et identitaire. Soit pour la disqualifier chez Attali, elle serait donc antisémite ; soit pour la valoriser chez Zemmour, elle sera blanche et chrétienne. Zemmour et Attali sont l’envers et l’endroit d’un même processus de dépolitisation global. Ils en sont à la fois les symptômes pathétiques et les agents actifs. Vous n’entendrez pas parler chez eux de gilets jaunes, de travailleurs déclassés, de souffrance des personnels dans les services publics, d’exploitation économique, de mépris social, de manifestations politiques matées et de népotisme assumé.

 

  • Dans ce contexte, tous ceux qui flattent les communautarismes à des fins électorales et clientélistes servent d’idiots utiles. Leur stratégie à courte vue condamne les plus fragiles économiquement, et de toutes obédiences, à subir la loi d’airain d’un libéralisme autoritaire qui oscillera désormais entre la trique et la com sur fond d’un no alternative généralisé. Dans une société qui ne parvient plus à se penser, faute de formation, les logiques pulsionnelles dominent. La couleur de peau fait office de muleta quand les identités religieuses seraient censées redonner un semblant d’ossature à un individu mollusque auquel on aurait retiré la colonne vertébrale pour le rendre toujours plus flexible et adaptable. Dans ce contexte, le retour des grands délires ethnicistes, favorisés par des problèmes migratoires réels et complexes, sert d’alibi et de faux nez. Alibi quand les plus cyniques gestionnaires des états de fait menacent du retour de la bête. De faux nez car le problème n’est pas là. Incapables de redonner à l’action publique une efficience contre les fossoyeurs du bien commun, nous démultiplions à l’infini, comme autant de signes de notre impuissance politique, des catégories qui ne renvoient à rien de réel dans nos expériences vécues et nos aliénations subies. Embarqués dans un naufrage à grande échelle, nous assistons comme impuissants à une auto-dévoration du capitalisme tardif qui prend la forme inquiétante d’un abandon de notre souveraineté dans tous les domaines.

 

  • Il est certainement illusoire de croire que nous pourrons retrouver le contrôle de nos vies et de nos actions en ne faisant que réduire l’échelle, en nous recroquevillant à des échelles de plus en plus petites : la ville, le quartier, la rue, la maison, le lit. Au mondialisme d’Attali nous devons certes répondre par un rétrécissement d’échelle qui peut seul nous redonner une forme de souveraineté perdue. Pire, une souveraineté aujourd’hui taxée, dans un délire qu’il faut prendre au sérieux, d’antisémitisme ou de nationalisme identitaire. Il est certain que l’action publique se mesure à l’échelle locale mais la démolition des États souverains ne sera pas le prélude à un retour à des échelles de souveraineté plus petites. Bien au contraire. L’effritement des structures collectives, la démolition programmée de ce qui garantit la cohésion politique d’un peuple, ce mot honni par les mondialistes, se paiera au prix très lourd d’un effondrement de toutes les échelles. Le sauve-qui-peut sera général, il commence à l’être, malheur aux innombrables perdants.

 

  • Nombreux sont ceux qui ne croient plus à l’avènement d’une République sociale, partant du constat que la politique n’a plus aucune efficience, qu’elle assiste impuissante au déploiement d’un ordre tératologique qui emportera tout. Le paradis des cochons des 1 % contre l’exploitation sans limite du reste sur fond de désastre écologique pour tous. C’est aussi ce que pense Attali. Cet acharnement contre la République, aussi brutal que systématique, ne doit pas nous faire oublier le retour en force de l’État dans les logiques de prédation du capitalisme avancé. Il est faux de dire que les nouvelles formes de prédations économiques peuvent fonctionner sans l’État. L’État y est au contraire omniprésent. Mais cet État s’éloigne chaque jour passant de la chose publique et du bien commun. Penser qu’il suffirait de se situer à côté de l’État pour retrouver une souveraineté politique est un leurre dans la mesure où la lutte se situe aujourd’hui à l’intérieur de l’État. Ceux qui défendent les services publics en France défendent la République égalitaire pas l’État policier. Ceux qui luttent pour vivre dignement de leur travail défendent la République sociale pas L’État au service des fonds de pension. Ceux qui luttent pour ne pas finir broyés et marginalisés défendent la République pas la République en marche vers un État garant de l’écrasement des peuples. Si l’on ne parvient pas à extirper la question de la République de celle de l’État, si l’on refuse de se battre, à l’échelle d’un pays, politiquement, nous finirons par perdre le peu qui nous reste. L’éclatement mental convient parfaitement aux mondialistes, amis des communautés les plus étriquées et des sectes élitistes les plus puantes qui les dominent cyniquement. Ce qu’ils ne supportent pas, c’est la souveraineté, le refus collectif, car enraciné dans la liberté de chacun, de marcher au pas, de suivre les jingles de la trique et de la com, de marcher tout court. Ceux qui refusent collectivement seront taxés de tous les maux, antisémitisme pourquoi pas, nationalisme sûrement. Les esprits libres et souverains n’ont pas à se laisser impressionner par de telles baudruches.

Le chiffon rouge Zemmour

Le chiffon rouge Zemmour

Résultat de recherche d'images pour "chiffon rouge"

Le chiffon rouge Zemmour (PDF)

  • Le diable en personne, l’ennemi absolu, le retour de la bête immonde. Voilà pour le plat de résistance. Ce matin, sur France Inter, Jean-Marie Le Pen apporte tout son soutien au courageux polémiste (c’est le terme officiel, il en faut toujours un). Il y a deux jours LCI offrait une tribune de 30 minutes à l’infâme quand BFMTV nous offrait le mauvais discours de Marion Maréchal Le Pen. Demain le procès de l’ordure sera sur toutes les chaînes. L’union sacrée. Contre la politique gouvernementale ? Contre la casse du service public ? Contre la liquidation de l’école républicaine ? Contre les innombrables ruptures du pacte d’égalité entre les citoyens français ? Contre le clientélisme communautaire ? Contre la démagogie des « citoyens du monde » qui, heureux d’en être, ne font plus de politique ? Non, contre Eric Zemmour, le « venin de la République ».
  • Vous ne nous convaincrez pas. Le venin véritable n’est pas dans la République, il est devenu la République ou plutôt ce que les traîtres en ont fait et ce que d’autres traîtres taisent. Une pseudo République, soi-disant en marche, qui a aujourd’hui un besoin vital du chiffon rouge Zemmour. Les délires névrotiques d’un homme peuvent parfaitement servir les desseins de tous ceux qui n ‘ont aucun intérêt à ce que l’on regarde leur compromission avec l’ordo-libéralisme de trop près. Ce petit monde de la culture qui ne parle politique que pour se donner bonne conscience a aujourd’hui grand besoin de Zemmour comme il avait hier et encore aujourd’hui besoin de Jean-Marie Le Pen, de sa fille, de sa petite-fille et de ses chiens. Mais cette stratégie se brise désormais sur une contestation sociale qui ne croit ni au diables ni au bons dieux. Une contestation sur fond de collapse économique, de déclassement, de mépris vécu, de morgue gouvernementale et de trahisons au sommet de l’État.
  • Zemmour est un être de papier, une marotte qu’il est bon de gonfler afin de masquer l’incurie du politique. Car c’est à une liquidation sans précédent sous la cinquième à laquelle nous assistons, stratégique et concertée, voulue et planifiée : celle de la République et de ses valeurs. Ici, Zemmour rivalise avec Attali. Les deux forment le rotor et le stator idéologiques de la démolition contrôlée. L’équilibre passera d’ailleurs entre les deux.
  • A côté, dans les marges de cette grande logique qui aimante les cœurs sensibles et les marchands du temple, Raphaël Glucksmann et Yannick Jadot, faux nez du politique, finiront pas siphonner le peu qui reste en poussant des hauts cris contre la République et sa souveraineté, contre les réactionnaires, les esprits étroits et les frontières qui divisent les hommes. En face du prurit Zemmour, les niaiseries d’une gauche (elle se fantasme encore ainsi) qui ne parle que pour nous distraire de la conflictualité politique réelle. Elle a d’ailleurs substitué la culture au politique, la morale de l’info à sa critique radicale et lucide. La créature médiatique Zemmour donne l’occasion aux néo-sophistes de faire des effets de tribune sur le retour de la bête en passant sous silence le discours d’autres intellectuels, d’autres politiques. Michel Onfray joua aussi ce rôle, un causeur confus sans aucune ossature, un bavard qui participa pleinement à l’enfumage collectif et au fond de l’air anti-républicain depuis dix ans. Quid de Michéa, de Dufour ? Hier Lefebvre ou Clouscard.
  • Le tautisme médiatique veut ses baudruches, il les gonfle jusqu’à explosion, soit pour défendre les « blancs », soit pour défendre les « noirs ». Le divertissement doit être maximal, binaire et accessible aux indignations de l’épiderme. Des pseudo critiques, de fausses consciences éclairées, reprennent tout cela pour achever la dépolitisation en parlant d’une société du scandale, du spectacle permanent et de la post-critique tout en prenant bien soin de ne pas nommer les copains qui les font vivre loin des salles de cours d’une République qui agonise. Le chiffon Zemmour n’est pas Zemmour, il est autrement plus vicieux, autrement plus effectif. Le premier finira sa vie dans un enfermement mental auquel ont participé, avec cynisme et intérêts calculés, ceux qui ont pour unique vocation d’exploiter la crédulité des hommes ; le second est l’assurance vie de l’exploitation économique et de l’ordo-libéralisme, faible avec les forts et fort avec les faibles. Zemmour ira visiter la 17eme chambre correctionnelle sous le crépitement des caméras dans une forêt de micros et de journalistes outrés par ses propos inacceptables afin de faire du clic pendant que des travailleurs, des hospitaliers, des professeurs, des pompiers et j’en passe seront gazés de lacrymo pour oser faire encore de la politique en France. Les responsables, si prompts à agiter des chiffons rouges pour mieux se gaver sur le dos de la bête, et celle-là n’est pas en papier, savent tout cela très bien.

 

  • Nous le savons aussi.

La post-critique : un dispositif post-lucide à dépolitiser (autour d’un livre de De Sutter)

La post-critique : un dispositif post-lucide à dépolitiser (autour d’un livre de De Sutter)

 

A Adèle Van Reeth, philosophe et animatrice chez Ruquier, fidèle lectrice.

 

« Penser, c’est juger » (Emmanuel Kant)

…..

  • Dans un ouvrage intitulé « Post-critique », Laurent de Sutter en guise d’Ouverture écrit : « 1. Nous vivons l’âge du triomphe de la critique. » J’affirme au contraire que la critique ne s’est jamais si mal portée, qu’elle est même en passe de disparaître. Non pas en tant que posture, signe de la critique, simulacre, mais comme attitude réflexive de l’esprit susceptible de discerner (krinein) publiquement des options adverses qui se prêtent à la distinction, un discernement essentiellement politique. Nous vivons le contraire du triomphe de la critique, à savoir le règne de l’indistinction, autrement nommée bouillie.

 

  • Cette confusion inaugurale posée en vient une seconde. Ce triomphe supposé, sous la forme d’une « théorie critique », « d’esprit critique » ou de « critique littéraire, cinématographique » etc, serait celui de la force, d’une pensée prédatrice qui chercherait constamment à avoir raison contre ses ennemis réels ou fantasmatiques. « Une telle inscription de la pensée, ajoute De Sutter,  dans le domaine de la force a une histoire, scandée de noms considérés comme importants : Emmanuel Kant, Karl Marx, Theodor Adorno, Michel Foucault, etc. » De Sutter ne nie pas les différences entre ces différents penseurs « critiques » mais il les relie ensemble sur un critère : la volonté de vaincre l’obscurité. Avant d’ajouter : « partout, cette pensée nous rend bête ». Ce pseudo renversement, typique des arabesques post-modernes, nous laisse accroire qu’il existe une bêtise au second degré, celle justement qui critique la bêtise pour vaincre l’obscurité. Mais cette pseudo-victoire pour la post-critique est à la fois une illusion et une bêtise. Une illusion car les instruments de la critique sont eux-mêmes viciés (la raison serait aussi déraison, la justice injustice et la beauté laideur) ; une bêtise car elle nous placerait dans un horizon agonistique indépassable, une conflictualité stérile, un consensus d’exclusion où seul le vainqueur aurait droit de cité. Par conséquent, il serait temps de nous libérer de la critique, de cette « soumission à l’exigence de lucidité ».  Avènement de la post-critique.

 

  • Nous pourrions évidemment nous arrêter là et rejeter avec mépris cette attitude anti-critique qui se prend pour un dépassement – tout comme l’anti-philosophie d’Onfray est une régression infra-philosophique plutôt qu’une opposition, à quoi d’ailleurs. Pour paraphraser Karl Kraus, le bon sens paysan vaut mieux ici que les vaines ratiocinations  du journalisme lettré. Un programme qui m’enjoint de dépasser la critique, car l’exigence de lucidité me rendrait bête, devrait être aussitôt renvoyé à cette indépassable obscurité, à cette nuit de l’esprit dans laquelle toutes les vaches de la postmodernité sont noires, y compris les post-vaches qui sont aussi des chèvres. Mais il est certainement plus fécond de comprendre à quoi sert ce discours post-critique, comment il fonctionne dans l’espace public, quels sont ses relais et en fin de compte pourquoi il s’agit certainement d’une des idéologies les plus pernicieuses de notre temps. Une idéologie d’autant plus perverse et sourde qu’elle touche de fins esprits, post-lucides dirions-nous, des éducateurs, des formateurs, des professeurs à l’université. Bref, toute une post-Aufklärung que nous observons.

  • Le dernier livre de Laurent De Sutter, Indignation totale, Ce que notre addiction au scandale dit de nous, est exemplaire de cette démobilisation de la critique au profit d’une interprétation qui cherche à éviter toute évaluation valorielle. Non plus quelle est la valeur d’une critique, est-elle fondée en raison mais que nous révèle-t-elle de celui qui la porte ? La double ambition, généalogique et objectiviste, est censée substituer aux jugements de valeur (trop coûteux) une analyse fonctionnelle : quelle est la fonction des jugements de valeur ? Qu’un journaliste publie une caricature religieuse ou qu’une femme témoigne de la violence d’un harcèlement subi, à partir du moment où ils viennent gonfler le scandale, ils nous en diraient plus sur eux-mêmes que sur la vérité qu’ils cherchent à faire valoir. Quelle vérité ? Quelle valeur ? Quelle justice ? Le dernier chapitre du livre de De Sutter est explicite sur ce point : la philosophie qui a longtemps pris en charge ces questions épineuses a pour objets la « régence du réel » (p. 134). « La raison et son cahier des charges théorique constituent l’instrument le plus efficace de la philosophie. » Autrement dit, la théorie du scandale sert à faire basculer l’analyse du plan de la normativité (qu’est-ce qui est juste ? qu’est-ce qui le l’est pas ?) sur un plan psycho-affectif, voire clinique : « l’indignation est le sursaut vital du dépressif dont les médicaments ont arasé toutes les autres émotions. » Ce déplacement justifierait à lui seul l’usage du préfixe post-.

 

  • Nous ne sommes pas pourtant en face d’un dépassement mais d’un recul. Incapable d’imaginer une rationalité digne, De Sutter annonce une « rationalité indigne » : « une rationalité qui ne tenterait pas en permanence de se draper dans la noblesse qu’elle aimerait se voir reconnue, mais errerait plus ou moins dépenaillée dans les ruines du monde. » Penser dans les ruines, habiter les ruines, tout cela est le signe d’une pensée épuisée et pour tout dire en ruine. Une ruine de pensée. Pourquoi devrions-nous renoncer à habiter autre chose que des ruines ? Quelle est la généalogie de ce renoncement, de cette capitulation en rase campagne d’incertitude ? En outre, il est absurde de dire que l’errance n’est pas aussi la vertu d’une rationalité digne. Socrate qui n’aurait jamais fait la promotion d’un logos indigne ne cesse d’errer. Diderot lui-même achève sa magnifique Lettre sur les aveugles (1749) par une apologie de l’errance.

 

  • Non, la raison profonde de cet abandon de la critique doit être cherchée ailleurs, dans une pensée de l’adaptation et de la faiblesse, une pseudo post-lucidité qui n’est le dépassement de rien mais l’acceptation de tout.  Est-ce le scandale le problème ou l’objet du scandale ? Qu’il y ait une exploitation du buzz est une chose, superficielle en l’état. Que le scandale soit un prurit psychologique pour créature exténuée en est une autre ? Nous sommes plutôt en face d’une prise de distance bon ton avec les bruits du monde. De Sutter, comme une majorité de représentants d’une génération biberonnée au relativisme mou, la mienne, celle qui accouche de l’extrême centre, ne veut surtout pas être dérangé par des problèmes normatifs et des questions de jugements de valeur trop tranchants. Commerçons plutôt en paix, vendons de la soupe, quitte à tordre le coup à une raison, justement « critique », qui aimerait trop le scandale pour être tout à fait honnête. Ainsi, on apprend, au détour de quelques considérations sur l’essence du scandale, que Charlie Hebdo, en publiant les caricatures en 2006, n’avait fait que « jeter de l’huile sur le feu », que cette affaire était une violence faite aux musulmans (lesquels d’ailleurs ?), tout cela pour faire scandale. Trump, Charlie Hebdo même logique.

 

  • Le texte, toujours : « Les caricatures qui causaient tant de houle furent donc publiées à leur tour, jetant, comme il fallait s’y attendre, encore davantage d’huile sur le feu – ce qui n’était pas étonnant au vu du pedigree de certains médias impliqués, lesquels, comme Charlie Hebdo, n’avaient pas toujours été heureux dans leur relation au monde musulman. » Que signifie « être heureux avec le monde musulman » (lequel ?) pour un journal satirique qui sodomise des papes ? De quelle exception sommes-nous en train de parler ? La publication d’une caricature est-elle forcément guidée par la recherche du scandale ? La post-critique ne pose pas de telles questions, trop normatives. Elle constate des faits : cette publication a augmenté les troubles. Les petits faitalistes de la post-critique, conformes avec l’esprit du temps (« ne jugez point, louvoyez »), ne s’embarrassent pas de jugements de valeur explicites. Ils préfèrent de loin le démontage des intentions scandaleuses sur fond de bouillie psychologique. On comprend mieux dans ces conditions pour quelle raison la philosophie, quand elle sort de l’animation mondaine, n’est pas leur tasse de thé. Trop dirigiste pour ces âmes sensibles qui préfèrent tenir des caricaturistes coresponsables de leur fatwa, eux qui ne cesseraient de jeter de « l’huile sur le feu ».

  • Ce qui est visé est moins le scandale que la prétention de juger, comme si nous pouvions en finir avec le jugement. Derrière la « logique du scandale », c’est le procès de la critique qui est instruit : trier, discerner (krinein), trancher. Qu’il y ait de vrais scandales et des buzz cyniques, voilà qui demande un effort de discernement pour les distinguer. Cet effort est exigeant alors que faire des gros paquets (« l’indignation est le sursaut vital du dépressif ») l’est beaucoup moins. Il est surtout politique et la génération du relativisme mou post-rien-du-tout préfère de loin la petite morale qui ne dérange pas la paix des commerces, si possible mâtinée de psy (« Ce que notre addiction au scandale dit de nous »). Ce qui lui permet, chère Adèle Van Reeth, de grenouiller sans trop faire de bruit.

 

Les Grenelle de la com et les parasites de la République

Les Grenelle de la com et les parasites de la République

  • Le soi-disant grenelle des violences conjugales est exemplaire d’une nouvelle façon de faire de la politique ou plutôt de ne pas en faire. Il existe, en France, des lois, une police, des services juridiques inscrits dans un cadre républicain dont le fonctionnement est lié à un usage raisonné de l’argent public. Soudain, avec l’urgence des causes qui en servent de moins avouables, tout cela semble ne pas exister. Une « disruption » s’impose, un « changement de cap », une « prise de conscience collective ». La question des moyens, autrement dit la réalité des choix budgétaires relatifs à une politique, est aussitôt recouverte par l’indignation absolue.

 

  • Une dénommée Schiappa, un bourrin ultime de la communication, démultiplie les sorties médiatiques. Elle utilisa cette même stratégie au Mans pour faire gonfler sa médiocrité et attirer l’attention des huiles locales. Une stratégie payante. L’idée consiste, pour ces bourrins du nouveau monde, à expliquer à grands coups de formules publicitaires qu’il faut changer et agir. Peu importe les corps intermédiaires, les difficultés réelles de l’administration, le manque de moyens, le volontarisme des rhinocéros du vide doit tout balayer. C’est le sens premier de la « Révolution Macron » : un volontarisme sans objet qui s’écrase devant le réel une fois la campagne promotionnelle passée. Schiappa ne changera rien, tout comme Macron le petit finira par s’aplatir devant Trump ou Bolsonaro une fois le lustrage national médiatique accompli.

 

  • La logique est celle de la campagne publicitaire. Le grenelle des violences conjugales est un produit dont la cible client est la mauvaise conscience collective. Que puis-je faire dans mon coin contre les violences conjugales ? Une question judiciaire complexe devient une question morale urgente, une séance de culpabilisation collective et d’exorcisme national. Les services de police connaissent la complexité de cette question, les tribunaux engorgés ne peuvent pas régler à la minute tous les faits de violence, les situations familiales peuvent être inextricables et les centres d’accueil en sous effectifs ou inexistants faute de moyens. Peu importe, les bourrins de la com n’ont que faire du réel. La souffrance des femmes battues est un trop beau produit pour être laissé dans l’ombre de la promotion politique et les nouveaux bourrins ramassent tout, quitte à instrumentaliser la mort. Ces charognes sont prêtent à taper sur l’administration (que font la police, les tribunaux, les services sociaux ?) à condition que leur volontarisme soit partout salué. Au fond, il s’agit de jouer la rupture, le choc, le avant-après au mépris des travailleurs de l’ombre qui n’attendaient rien moins qu’un grenelle des violences conjugales pour réaliser à quel point leur travail était insuffisant.

 

  • Toutes sortes de clichés sur la police, la justice, les centres d’accueil viennent nourrir la machine à buzz. Une fois encore, le monde du travail est méprisé par des bourrins improductifs, des professionnels de l’animation médiatique, des nullards. La logique, invariable, consiste à frapper moralement d’indignité le monde du travail afin d’augmenter les tâches tout en réduisant les coups de fonctionnement. Ces attaques répétées sont systématiquement orientées contre les fonctionnaires, la vaseline morale servant à lustrer le piston à pressuriser des agents de la fonction publique. Une fois la vague de com passée, le chèque symbolique signé avec de l’argent toujours public devant des médias neuneus, tout retombe mais le mal est fait. Le même phénomène se retrouve à l’école, à l’hôpital, un mélange d’urgence et de culpabilisation sur fond de restriction budgétaire.

 

  • Pour cette raison, les mouvements sociaux auxquels nous assistons, masqués par le bruit de bottes des bourrins de la com, sont un juste retour du monde du travail, et par conséquent du politique, ce monde depuis trop longtemps frappé d’indignité, insulté par des professionnels de l’agitation médiatique, improductifs, donneurs de leçons. Au fond, tout peut faire Grenelle de la com et des causes, autrement plus minoritaires que les violences conjugales, s’imposer du jour au lendemain dans le barnum médiatique puis retomber comme un soufflet. Les personnels en ressortent tout aussi impuissants mais toujours plus culpabilisés. Cette nouvelle façon de faire de la politique s’inscrit dans les logiques de dépolitisation que nous connaissons parfaitement désormais. Tout cela correspond à un déni de réalité que les bourrins de la com s’étonnent de voir ressurgir dans la rue avec des gilets jaunes et autres réjouissances pour faire causer les éditorialistes gras. Difficile de ne pas ressentir du dégoût pour ces fossoyeurs, en particulier quand ils accusent ceux qui se défendent contre leurs malversations de desservir les intérêts de la République. Difficile de ne pas se demander comment éliminer politiquement ces parasites.