Le Gorafi ou comment rentabiliser l’insignifiance

Le Gorafi ou comment rentabiliser l’insignifiance

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  • Avec ses 700000 abonnés en ligne, le Gorafi est un poids lourd du vide. Alors que la moralisation de la vie politique avance à grands renforts de slogans, il est de première nécessité d’imposer dans les esprits la promotion massive de toutes les falsifications spectaculaires. Le Gorafi contribue à l’épandage subventionné de messages post-logiques insignifiants et par principe immunisés contre la critique. Perché. A perchépolis justement, le langage ne permet plus de nommer ce qui est mais d’inhiber toute forme de discours signifiant. Invités sur France Inter, les rédacteurs du Gorafi font partie de ce que Guy Debord appelait la critique intégrée. Double intérêt : divertir les masses et inhiber leurs résidus par un surcroît de bouillie. Parmi les hauts faits d’insubordination, à propos de Christophe Barbier, perruche libérale  et tuteur du bon peuple, le Gorafi fait ainsi état de la démission de son écharpe. L’intéressé aurait répondu « avec humour ». Nous voilà rassurés, Barbier n’est pas rasant. Tout est en place, tout sauf Cuba, roulez Mickey.
  • La post-logique n’a que faire de toutes ses raisons, n’a que faire des analyses critiques. Pour elle, politique et morale ne sont que des prétextes utiles pour recouvrir ses nouvelles formes de falsification idéologique. Idéologique au sens d’un renversement complet du vrai et du faux afin d’imposer un indiscutable état de fait. La post-logique, si elle détruit les capacités de raisonnement en imposant un ordre soustrait à toute réflexion, n’est pourtant pas dénuée de visées économiques : la promotion du dérisoire est rentable. la preuve, les éditions Flammarion sont de sortie. Le Gorafi fait partie de ces organes de médiatisations perchés, acritiques, inodores, incolores et sympas, aux mains du nouvel homo comicus (1). Repris, cité, retweeté, recopié massivement, il normalise l’insignifiance. Aucun complot là-dedans. Une simple convergence entre l’imaginaire des sujets et la volonté des dirigeants. Harmonie préétablie entre la post-logique et le post-politique, le Gorafi est un symptôme de notre temps. Sous couvert d’humour décalé, une acceptation bon ton s’affiche. Inutile de renvoyer cette entreprise de démolition au néant qui l’a vu naître, il suffit simplement de former des esprits immunisés contre l’insignifiance.

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François L’Yvonnet, Homo comicus ou l’intégrisme de la rigolade, Paris, Mille et une nuits, 2012.

Reality Macron

Reality Macron

La démocratie gagne et rassemble les siens

Macron est le champion de l’Empire du bien

Ne sifflez pas, regardez les

Des turbogédéons, des cyber franciliens

Les recettes sont vieilles, usées jusqu’à la corde

Les conflits sont finis, jamais plus de discorde

Ne sifflez pas, regardez les

Des milliers de nimbus sautillent à la concorde.

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Political bridge

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Cuba c’est du passé, admirez les marchants

L’esclavage est en vous, plus besoin de tyran.

Face à l’horrible bête, il a fait triompher

Les valeurs de la France et l’honneur des banquiers.

 

De quelle liberté, êtes-vous les héros ?

Pour quelle société levez-vous vos drapeaux ?

Insensibles au néant qui tapisse vos vœux.

Vous choisissez l’image, l’irréel et le creux.

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Pont musical / political bridge x2

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Dégagez les extrêmes, détournez-vous des cieux 

En marche vers la bouillie, elle est juste au milieu

Ne sifflez pas, regardez les

Des milliers d’adaptés, autant de bienheureux

La démocratie gagne et rassemble les siens

Macron est le champion de l’Empire du bien

Cuba c’est du passé, admirez les marchants

L’esclavage est en vous, plus besoin de tyran.

Quelle liberté ?

Quelle liberté ?

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  • Toute doctrine totalitaire part du principe que l’individu est l’ennemi, que la liberté est l’ennemi, que toute singularité doit être combattue. Dispositif coercitif couteux qui suppose, ultimement, l’usage de la force. L’énorme dépense d’énergie pour arriver à cette forme de domination libère en retour des forces de résistance. Le totalitarisme porte toujours les germes individuels de sa propre destruction. Il réveille l’autonomie des sujets et se condamne à disparaître.

 

  • Il est beaucoup plus efficace pour dominer durablement de tenir le discours de l’épanouissement individuel, de la liberté de choix, de favoriser la singularité en se donnant ensuite les moyens de les exploiter au mieux. L’autotalitarisme dans lequel nous sommes entrés exploite les ressources de la domination cognitive pour accomplir un ordre parfaitement contraire au réveil de l’autonomie des sujets. L’autotalitarisme valorise à outrance l’autonomie marchande en brandissant systématiquement la menace du totalitarisme historique afin d’enterrer l’autonomie politique des sujets. La menace joue à plein.

 

  • Les idéologues de la liberté, certains de bonne foi, formés à la culture classique idéaliste d’une philosophie de l’homme et de l’émancipation, font ainsi le jeu des pires aliénations mentales. En neutralisant toute critique qui ne tient pas le discours de l’émancipation et du progrès, ils soudent la liberté et le marché. Les philosophes en vue tiennent aujourd’hui le discours que le capitalisme cognitif veut entendre, celui d’un individu autonome qui agit toujours dans le sens de son intérêt rationnel. A charge pour les nouveaux maîtres de répondre rationnellement à cette demande.

 

  • Si l’on substitue aux théories de la liberté les pratiques de la liberté, on constate aussitôt l’irréalisme d’une anthropologie abstraite de la liberté inadaptée aux nouveaux pouvoirs coercitifs qui pèsent sur l’individu soi-disant libre et singulier. L’anthropologie des Lumières se fracasse aujourd’hui sur une anthropogenèse cognitive, une production de l’homme, qui utilise le discours de l’autonomie théorique pour mieux l’exploiter pratiquement. Dans ce contexte inédit, une critique historiquement conséquente ne peut que saboter les dispositifs de production de la liberté.

 

  • Dans une logique défensive, l’autotalitarisme fera resurgir le spectre du totalitarisme (dictature, fascisme etc.), mettra en avant les vieux concepts de l’émancipation (liberticide, autocratique etc.). L’histoire intellectuelle et politique de cette lutte inédite ne fait que s’ouvrir.

Qui veut encore de la paix ?

Qui veut encore de la paix ?

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Le Havre après la guerre

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  • Hors du pacifisme, point de salut. Pacifisme de combat. Les mots ne tuent pas. Les bombes oui. La critique ne rase pas des villes contrairement aux Etats militarisés. Le pacifisme de combat a des ennemis. Innombrables. Celui-ci, par exemple, justifie les bombardements sur Alep au nom du réalisme politique et d’une fine causerie géopolitique, bien au chaud, tapotant sur son MacBook payé en quatre fois sans frais. Mort à crédit. Il écrit son nom sur l’ogive qui tombe sur la tête du frère de l’enfant mort. Ceux qui subissent la guerre sont les moins bavards. Ils se terrent, rampent, pissent le sang ou meurent. L’indignation est un luxe de spectateur. Un voisin paysan, il y a une vingtaine d’années, m’évoquait, les larmes aux yeux, l’instant précis, enfoncé à vie dans son crâne, où il tua un homme en algérie, un ennemi, pour sauver sa vie. Tout a été écrit sur la guerre, ses horreurs, ses humiliations. La destruction sans limite de l’homme, son anéantissement. La littérature est moins bavarde sur les connivences de chacun et de tous envers les causes de la guerre.

 

  • Le pacifisme, celui de Jaurès en 1914, de Gionot en 1938, est aux antipodes de la virilité guerrière qu’il est opportun d’afficher aujourd’hui dans les diners mondains. Avant de choisir un camp, il faut prendre le parti de la guerre. C’est justement ce parti que ne prend pas le pacifiste. Faire entendre sa voix dans le concert belliqueux, celui-là même que dénonçait Jean Jaurès dans les dernières lignes de son ultime article publié dans le journal La Dépêche le 30 juillet 1914 sous le titre « L’oscillation au bord de l’abîme. » « Partout le socialisme international élève la voix pour condamner les méthodes de brutalité, pour affirmer la commune volonté de paix du prolétariat européen. Même s’il ne réussit pas d’emblée à briser le concert belliqueux, il l’affaiblira et il préparera les éléments d’une Europe nouvelle, un peu moins sauvage. »

 

  • Mais sommes-nous prêts à payer le prix de la paix afin de préparer une Europe un peu moins sauvage ? Sommes-nous prêts à payer le prix de la vérité quand nous restons silencieux face à une nation alliée qui entre en guerre sous des prétextes fallacieux afin de punir par le feu les innocents de sa propre démence hégémonique ? Sommes-nous prêts à payer le prix de la liberté quand nous soutenons économiquement des régimes tortionnaires quitte à intenter, pour ne froisser personne, un procès à un journal satirique qui a eu le malheur de dessiner un Mahomet en pleurs sur sa couverture ? Sommes-nous prêt à payer le prix de la justice quand les contrats d’armements orientent en sous mains les choix diplomatiques d’une nation toute entière ? Sommes-nous prêt à payer le prix de la paix quand la paix se résume à la paix des commerces ?

 

  • Rares sont ceux qui soutiennent les conséquences de la guerre. Pour combien de pacifistes qui en refusent les causes ? L’homme préfère de loin la logique de la guerre en meute que la conscience esseulée de sa propre faiblesse. Les pluies de bombes ailleurs rassurent plus que les exigences de la paix ici. De la paix c’est-à-dire de la vérité, de la liberté et de la justice. Nos indignations sélectives sont les cache-misères de nos renoncements. Le renoncement de l’esprit arrive en tête. Il est la première digue rompue contre l’abrutissement collectif. Les tyrans n’ont pas besoin de Goethe ou de Shakespeare pour réveiller les belliqueux.  « Même dans les régimes de terreur, l’homme est plus sûr de lui que dans les fantaisies de la démocratie. » Si Emile Cioran a fini par renier ses écrits de jeunesse, ses constats restent : « La paresse de la pensée et la peur de s’isoler comme une monade solitaire le déterminent à accepter allègrement et avec une agréable résignation les impératifs et les commandes des dictateurs. » (1) Parmi ces impératifs, la guerre.  En guise de fantaisies démocratiques, le spectacle abruti d’une liberté pour rien. Que pèsent les animateurs de la démocratie spectacle face à la promesse de la guerre. Pas seulement pour la masse analphabète des zombies mondialisés djihadistes mais pour toutes les belles âmes raffinées qui se rachètent une énergie en se rangeant du côté du tyran viril qui fait l’histoire. Moindre mal nous dit-on. Si l’histoire est l’histoire de la guerre continuée, au pacifiste les miettes littéraires de la fiction. Emil Cioran, dans son délire contrôlé, tape juste une fois encore : « La démocratie est la plus grande tragédie des couches sociales qui ne participent pas directement à l’histoire. (…) La démocratie n’a pas pu faire d’elle un facteur actif de l’histoire, de sorte que la plèbe éternelle a été engagée dans une responsabilité pour laquelle elle n’avait aucune appétence. » Aucune appétence non plus pour le pacifisme quand le surarmement des consciences tient lieu de nouvelle identité collective. Surarmement par procuration, faible, débile, là où le premier autocrate venu fait figure de sauveur et de défenseurs des droits de l’homme contre le terrorisme mondialisé. Ceux qui combattent le pacifisme plus sûrement que les causes de la guerre sont les grands lessivés d’une liberté inutile, une liberté en trop. Ils ont désormais des intellectuels pour les seconder et des politiques pour les flatter. Les belliqueux ne veulent rien d’eux-mêmes. Ils avancent en tas, beuglent en groupes, vocifèrent en meutes, bandent en masse, crèvent en tas. C’est là le principal avantage des régimes autoritaires. Les ascensions et les déroutes sont collectives. Rien de personnel, surtout.

 

  • Pacifiste, dites-vous en souriant. De toute évidence, la peur du ridicule est moins à craindre que celle des despotes armés.

 

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(1) Emil Cioran, Apologie de la barbarie, Paris, L’Herne, 2015.

 

 

 

Misère du culturalisme de gauche

Misère du culturalisme de gauche

ulrich-beck-a-re-vitalised-sociological-imagination1(12 octobre 2007, reprise)

  • Une certaine posture consiste à nier le caractère inédit de notre présente situation. Le nouveau progressisme pioche dans l’histoire pour faire de notre aujourd’hui un ancien hier. Ainsi Ulrich Beck (1944-2015) comparait le « pessimisme des intellectuels » contemporains au « pessimisme des intellectuels européens » au XVII. « Regardez, nous travaillons ici à Munich avec l’Institut d’histoire de la Renaissance, et c’est très intéressant de comparer notre époque à celle du XVIe-XVIIe siècle, au lendemain des Guerres de religion. Alors que les pensées métaphysique et religieuse ne faisaient qu’un et que la guerre avait détruit tout espoir, il régnait chez les intellectuels européens un profond pessimisme, comme de nos jours. Les penseurs, et particulièrement les Allemands, affirmaient que plus rien ne pourrait naître. Et pourtant, c’est aux XVIIIe et XIXe siècles qu’un nouvel ordre moderne est apparu et qu’on a inventé la démocratie moderne, si naturelle pour nous aujourd’hui. De tout temps, il y a eu des intellectuels pour annoncer la fin du monde, mais celle-ci n’a jamais eu lieu ! » (Ulrich Beck).
  • Que faut-il conclure de cette vague analogie ? Que nous allons réinventer la démocratie ? Que l’idée de progrès va se remettre à fleurir? Ulrich Beck considère la mondialisation comme un fait définitivement acquis. La mondialisation ? La mondialisation des échanges peut tout aussi bien être considérée comme un moment de l’histoire où le coût de l’énergie engagée dans le transport et le déplacement quotidien de milliards de molécules à la surface de la terre est inférieur à la plus value de ces déplacements. Considérer la mondialisation comme un horizon indépassable, c’est implicitement reconnaître que cette situation entre coût énergétique du déplacement moléculaire et gain de ce déplacement restera inchangée. Cette thèse n’est autre que le dogme progressiste par excellence. « Regardez, nous travaillons ici à Munich avec l’institut d’histoire de la Renaissance, et c’est très intéressant…« . Que cela stimulait l’activité intellectuelle d’Ulrich Beck est une chose, que cela éclaire notre présent en est une autre.
  • Cette rhétorique du déni cherche sa filiation historique, son référentiel stable. Il existe pourtant des conditions matérielles déterminées, recouvertes par une simulation intégrale, qui ont rendu possible un état de fait de la planète. La froide considération de cet état de fait est de loin beaucoup mois stimulante que le jeu des parallélismes historiques. A la différence de ces derniers, qui peuvent être conduits bien au chaud, dans le confort boisé de l’écoute, en laissant inchangées nos options lourdes, la prise en compte des déterminations matérielles ne flattent pas l’esprit. Pour la gauche culturelle, le jeu avec le concept est toujours suffisant. « Utopie » par ci, « Europe » par là, les « Lumières » sont à rallumer, saisons après saisons. Les Lumières mais sans le déplacement des molécules. La simulation des Lumières contentera l’intellectuel progressiste ; pour le reste, il suffit d’appuyer sur l’interrupteur. La « seconde modernité réflexive« , à laquelle Ulrich Beck oppose le pessimisme de Jean-François Lyotard, serait donc une réflexion sur de la réflexion. La Science, gonflée d’une belle majuscule, trouvera les solutions. Elle les trouve toujours. Après tout, c’est cela la Science pour la gauche culturaliste : la réponse évidente à des questions qu’elle ne se pose que pour titiller du concept (Lumières, pas Lumières, réflexion, réflexion de réflexion…) La Science, pour la gauche culturaliste, c’est le point, de jonction entre un état de fait et un recouvrement idéologique du présent par des catégories héritées qui fonctionnent en culture hors sol. Proposons un séminaire, un de plus pour bailler : « chers collègues de Munich, sommes-nous plutôt dans la situation de la fin du XVI ou de la fin du XVII ? »
  • La question n’est pas de savoir si il y a toujours eu des intellectuels pour annoncer la fin du monde mais de savoir si le monde d’hier vaut pour le monde d’aujourd’hui. Il y a bien quelque chose d’insupportable chez les intellectuels qui confondent leurs trois bouts de concept avec le réel de la planète. Les concepts s’empilent les uns sur les autres, une première mouture appelle une surmouture, une première conscience une surconscience. Il faut affiner le « moderne », polir « le progrès », relustrer le grand luminaire « humaniste ». De toute cette glose, nous n’en sortirons peut-être jamais. Par contre, l’énergie mobilisée pour déplacer une vertigineuse quantité de matière à la surface de la terre doit être produite. Cette production n’est pas, comme nous le souffle la plume culturaliste, une deuxième inflexion de la modernité ou un approfondissement de l’esprit des Lumières. Ces enluminures nous masquent une quantification bien pesante, certainement trop peu aérienne pour les esprits déliés de la « critique critique » culturaliste, celle du bon Bauer au temps de Marx. « Ah, mais vous êtes pessimiste ! Mais très cher, souvenez vous du XVIIe siècle…Et puis vous savez, les chiffres, ça se manipule, ça se transforme, il ne faut jamais trop croire les chiffres. » Parfaite collusion du culturalisme de salon et de la simulation intégrale, celle-là même qui volatilise le réel de la planète dès que la discussion devient terreuse ou mazoutée. Le culturalisme, dit de gauche, est ainsi parfaitement en osmose avec la virtualisation de son temps.

 

  • « Mais très cher, la fin du monde n’a jamais eu lieu ! ». Ah bon ? Tu déconnes.

 

Donald Trump is a winner

Donald Trump is a winner

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  • Bad publicity is good publicity ! C’est du Donald Trump. Quel talent, quel génie, quel homme. Donald Trump, paraît-il, ne connaissait rien à la politique il y a deux ans. Donald Trump is a winner. Voilà la réponse de Donald Trump. Aucun doute à ce sujet. Donald Trump n’est pas acceptable ? Indigne de représenter la démocratie spectacle ? N’oubliez pas, juges du bon goût et de la morale, de faire vos ablutions dans le bénitier de la gauche divine. De faire moelleux dans l’entre soie. Le peuple a voté, mon distingué ami, la démocratie est passée par-là. Sans ambiguïté. Donald Trump sera le futur président de notre « allier historique ». « Séisme », « tremblement de terre », « tsunami », « choc » ? Réfléchis deux minutes Haroun Tazieff, la terre est indifférente aux changements de goût.
  • Pour comprendre la cascade de réactions négatives qui succèdent médiatiquement aujourd’hui à l’élection de Donald Trump, il serait bon de se souvenir de la cascade de réactions positives dans les heures qui suivirent l’élection en 2008 de Barack Obama. Le 5 novembre 2008, sur un blog du Monde qui n’a jamais eu l’insignifiant honneur d’être mis en avant, j’écrivais ceci sous le titre « Rien ne va plus, les jeux sont faits ». Ce court texte était une réponse à un article publié le jour de l’élection sur le site du Monde, un des phares du bon goût raffiné à la française.

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Rien ne va plus, les jeux sont faits.

« Pour Frédéric Martel, l’avènement de Barack Obama restera comme « une date positive » de l’histoire contemporaine, une sorte de « 11-Septembre à l’envers ». » (1) Non. Distinguons deux choses : d’un côté, l’élection de Barack Obama, les larmes de Jesse Jackson, l’espoir de la minorité noire américaine ; de l’autre, une campagne de publicité planétaire, une promotion du « rêve américain » hissé, en une nuit satellitaire, au statut de modèle absolu pour tous les peuples de la terre. Un modèle économique moribond, une façon d’administrer le monde aberrante, une politique de guerre économique sans limites, tout cela relustré par l’image renaissante de Martin Luther King. Il fallait y penser.

Non pas qu’il y ait là quelques stratégies hautement cyniques (quoique…), non pas que tout ce grand circus de la rédemption états-uniennes soit une énième saison du grand nanar planétaire (déjà écrit de longue date). Non, l’affaire est beaucoup plus triviale : show must go on ! Et pour vendre le show, tout est bon y compris (et j’ose dire surtout) une des causes les moins contestables des revendications politiques du siècle : la reconnaissance des minorités ethniques dans ce pays continent. Dans le fond, on aimerait tous verser une larme authentique et suivre le bon principe de Robert Zemeckis : ne pas douter mais croire. Mais la décision est sans effet : nous n’y croyons plus. Il n’y aura pas de rédemption, pas de nouvelle ère mondiale d’un pacifisme enfin œcuménique. Ces niaiseries ne changeront pas la donne et la donne est viciée.

Plus la donne est viciée et plus il faut enrober le spectacle de ce jeu en trompe-l’œil de causes totales, absolues, indiscutables. Les ressorts de l’écologie sécuritaire, de la mise sous tutelle du politique par avalanche de mesures correctives ne diffèrent pas de ce qui fera advenir, dans le miracle d’une orgie planétaire de symboles à haut pouvoir de fascination (tous plus puissants les uns que les autres), la nécessité d’une nouvelle pax America. Pour quelle raison supérieure faudrait-il se mettre à croire au « rêve américain« , cette idée nuisible de somnambule ? En définitive, le choix est simple : soit le rêve avec Robert Zemeckis, soit le réveil un lendemain de cuite patriotique. « Un 11-septembre à l’envers » et un valium.

(1) Le Monde, 5/11/08, « Un 11 septembre à l’envers ».

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  • Huit ans après, le show politique a muté et ressemble moins à un valium métissé qu’à un grossier suppositoire monochrome. Le sens-tu? Cette fois, la majorité n’a pas exprimé le bon goût d’une minorité – celle qui, cela dit en pensant, n’a pas trouvé opportun de juger, aux plus hauts sommets de l’Etat, les responsables de la crise financière de 2008 qui plongea des pans entiers de la société américaine dans la misère sociale et économique. L’administration Obama est passée très vite à autre chose, en toute sérénité. Sans quitter le bon goût et le métissage, il va de soi.

 

  • Donald Trump, l’avant-gardiste (il est préférable de se mouiller avant, afin d’éviter l’hydrocution électorale) est un milliardaire ? Et alors. Quel prolo medium ne rêve pas de l’être en validant son ticket à la française des jeux le samedi soir ? Donald Trump a une femme sympathique qui a posé le cul à l’air? Et alors. Quel prolo moyen ne rêve pas d’avoir lui aussi sa part de fantasme ? Donald Trump est un être de spectacle. Et alors. Quel prolo médian ne trime pas pour avoir aussi la liberté et le droit fondamental et inaliénable de surfer sur Androïd. Donald Trump est vulgaire ? Et alors. Vulgus et foule sont des synonymes. Donald Trump ça sent la merde ? Et alors. As-tu le talent nécessaire pour apprendre aux prolos communs, dans des écoles publiques, à chier lyophilisé ?

 

  • Si l’on pratiquait un peu la dialectique dans les écoles de journalisme – oui, là-même où la maitrise de twitter fait de vous l’équivalent de Jaurès – les causeurs ulcérés parleraient volontiers du retour du négatif sur la scène de l’histoire. L’Amérique c’est l’Amérique, nous rappelle pourtant avec tact France culture ? Rassurons-nous, Alain Juppé, le nouveau champion proclamé, du haut de son bel âge, sera là en 2017 pour nous sauver de ce qui vient, porté par les alizées de l’obscène. France culture, il est vrai,  a toujours eu du mal avec les questions dialectiques. La culture évite poliment le négatif.

 

  • L’orgie de glose prémâchée sur la victoire d’une femme à la présidence des Etats-Unis après celle d’un homme de couleur n’a pas eu lieu. Une autre se prépare. La France doit montrer au monde entier en 2017 – y compris à l’Afrique subsaharienne, aux rednecks surarmés bas du front et aux ours polaires – son raffinement politique. L’oligarchie financière, les ouvriers appauvris de la rust belt, le retour de la lutte des classes au détriment des amuses bouches LGBT métissage et petit doigt, l’obscène inégalité dans la répartition des services et des biens, les châtelains de Washington sensés représenter les gueux, en un mot le politique, c’est un peu trop sale pour l’esprit français. Nous sommes au-delà de ces basses considérations, répètent en boucle les hommes bien éduqués, nous défendons les valeurs, la démocratie et les droits de l’homme, la diversité et la tolérance universelle. Un certain « esprit » en somme. La mine de loser du président français à l’heure de reconnaître la victoire d’un authentique winner résume à elle seule l’état des lieux. N’oublions pas que nous sommes avant tout le pays du bon goût et de la Fashion Week parisienne.

 

 

 

L’identité n’est qu’un « branle plus languissant »

L’identité n’est qu’un « branle plus languissant »

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  • Comment critiquer la décadence sans devenir aussitôt, par une simple réversion des signes, un défenseur de l’ordre, un vulgaire réactionnaire ? Non pas que je tienne le mot réactionnaire pour offensant. Bien au contraire. Mais les affects qu’il mobilise  n’ont rien à voir avec les problèmes posés par le travail de la critique aujourd’hui. Il y a des positions critiques tenables, d’autres qui le sont moins, et cela n’a rien à voir avec l’attribution d’un certain coefficient de vérité ou d’identité, les deux notions ayant tendance aujourd’hui à se souder. Derrière la question canoniquement nietzschéenne (« quelle dose de vérité un esprit peut-il supporter ? ») se cache cette autre : quelle dose d’identité un esprit peut-il supporter ?
  • Il n’y a pas d’identité stable mais des modes d’investissement affectif des discours plus ou moins supportables. Ce n’est pas parce que « nous et notre jugement, et toutes choses mortelles, vont coulant et roulant sans cesse » (1) que les échanges obscènes de signes, leur monstrueuse promiscuité, sont supportables. Ayant pris de vitesse les théories qui critiquaient les rapports de domination symboliquement accrochés à une référence intangible (Dieu, Etat, Loi, Père…), le capitalisme analphabète (et demain analfabète) est autrement plus efficace que toutes les déconstructions académiques. Si le monde pour Montaigne était « une branloire pérenne », le nôtre est une branlette éphémère. L’instabilité permanente fait partie du développement logique d’un système d’échange par permutation et indifférenciation de tous les signes. La succession des crises sape progressivement ce qui tenait lieu hier de références indiscutables. De là le sentiment d’un effondrement irréversible. Loin de la joie vacillante de Montaigne, le sable de l’impermanence, cher à l’auteur des Essais, ne réjouit plus grand monde.
  • Dans ce flux de prurits mondialisés, d’aucuns font état d’un déclin de la pensée dite critique face aux attraits des valeurs immuables. Comment expliquer le sentiment de ce déclin dans une situation de crise objective ? Parmi les mobiles de l’action humaine : l’espoir. Aucune pensée critique ne peut s’épanouir sans espoir.  Ce n’est pas un mince paradoxe. C’est dans une période de forte croissance économique que Jean-François Lyotard écrivait ceci : « Voici une ligne politique : durcir, aggraver, accélérer la décadence. Assumer la perspective du nihilisme actif, ne pas en rester au simple constat, dépressif ou admiratif, de la destruction des valeurs : mettre la main à la destruction, aller toujours plus avant dans l’incrédulité, se battre contre la restauration des valeurs. (2) »  Qui veut encore lire de telles sentences ? Et d’ailleurs, si le capitalisme analphabète et acéphale parle, et rien n’est plus bavard que sa publicité, il semble bien (en apparence)  tenir ce programme : « se battre contre la restauration des valeurs. » La décadence n’est-elle pas suffisamment avancée ? Ne voyez-vous pas que le processus est en lui-même irréversible ? Qu’avons-nous à faire d’une doublure théorique de la grande liquidation ?
  • Faute d’avoir su –  ou pu – convaincre sur ce point crucial, les entrepreneurs critiques  de la décadence se sont périmés en un clin d’œil. « Marchons vite et loin dans cette direction, soyons entreprenants dans la décadence, acceptons par exemple, de détruire la croyance dans la vérité sous toutes ces formes. (3) » Détruire l’identité, détruire les valeurs, dites-vous ? Profitons-en pour liquider la Sorbonne restaurée pour les touristes étudiants ou chinois, ne manqueront pas d’ironiser les nostalgiques du marché droit.  Si le discours de la pensée critique est bien le discours du capitalisme rendu manifeste, l’espoir ira investir des valeurs restaurées, des identités stables.

 

  • A terme, il va de soi, les nostalgiques de la patrie et de ses bruits de bottes ne reconnaîtrons pas la rage de leurs enfants, de leurs petits-enfants. Saisis par des ignorants qui traînent leurs grandes idées dans la rue, ils ressembleront aux pères bafoués dans Les Possédés de Dostoïevsky. La sainteté de la nation, de l’identité, de la patrie ? « Vous la retrouverez sur le marché, méconnaissable, roulée dans la fange, toute cabossée et biscornue, sans plus de proportions ni d’harmonie, tel un jouet dans les mains des enfants. (4) » Succès des bricolages identitaires pour les ras du bol.  Quelque chose à quoi se raccrocher, une branche, un idéal régulateur, un bolet de cidre. Plutôt n’importe quelle valeur que pas de valeur du tout puisque c’est cela que nous promet le capitalisme schizo à la fin de la funeste histoire. Si la « vérité » de la pensée dite critique et la « réalité » du capitalisme se confondent, les restaurateurs de l’ordre, contre les déconstructeurs vieillissants et largués,  chercheront le retour de bâton dans des identités qui ne branlent plus.
  • Par quelle subtile séduction pourrions-nous, à cette heure de l’insignifiance, rattacher encore ensemble espoir et critique ? Par quel bricolage affectif l’espoir peut-il circuler dans la critique, passer à travers le soupçon, se propager dans les lignes de fracture d’une mise en crise de l’institué quand tout fout le camp ? Les hommes sont-ils à ce point déniaisés qu’ils auraient perdu le désir de l’être davantage ? Que cherche-t-on dans la critique ? Redoutables questions. Peut-être un certain type d’investissement affectif des discours. La question de savoir si oui ou non la critique est fondée (sur quelle référence ?) est toujours secondaire. Ce que nous recherchons ? Une relation non indifférente à nous-mêmes, le contraire d’une permutation indifférente des signes à l’horizon indépassable d’un irréversible essorage sémantique.
  • La « ligne politique » décrite par Lyotard et la ligne aplatissante du capitalisme analphabète sont pourtant bien antinomiques. La première « durcit », la seconde liquéfie.  La première « aggrave », la seconde occulte. La première « accélère », la seconde radote. Les confondre c’est accepter, dans la défense nécrosée de valeurs strictement défensives, la pétrification définitive de l’esprit.

 

  • Bourrins identitaires, détracteurs forcenés des branlettes éphémères, ras du bol, partisans, vous n’aurez pas la peau des branleurs languissants.

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(1) Montaigne, Les Essais (ed.1580)

(2) Jean-François Lyotard, Petite mise en perspective de la décadence et de quelques combats à y mener (1976)

(3) Loc. cit.

(4)Fédor Dostoïevsky, Les possédés, t. I.

La gerbe globale

La gerbe globale

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« Quand tous les calculs compliqués s’avèrent faux, quand les philosophes eux-mêmes n’ont plus rien à nous dire, il est excusable de se tourner vers le babillage des oiseaux ou vers le lointain contrepoids des astres ».

M. Yourcenar, Mémoires d’Hadrien.

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  • Menace terroriste mondiale, marche planétaire pour le climat, flux migratoires massifs, dérèglements structuraux, crises endémiques, enjeux géo-stratégiques globaux, autant de formules qui placent l’esprit en face de représentations sans objets. Ces images flottantes, agrégats de photographies, de documentaires « minute », d’analyses à la louche, de fils « actu » et « live »sont particulièrement propices aux délires en tous genres.
  • La mondialisation des esprits fait autant de ravages que la mondialisation des échanges de biens consommables, de devises, de capitaux, de gadgets débiles. Comment vivre au quotidien – quotidien qui apparaît d’ailleurs comme toujours plus indigne d’attention  – lorsque l’esprit flotte au milieu de ce maelström globaliste supposé renvoyer à ce qu’il y a de plus essentiel à considérer ? Frappée d’insignifiance, la vie incarnée, singulière, située, se déréalise. Une projection vide, qui mesure l’importance d’une représentation à son gigantisme, place l’homme dans une situation intenable. Saturé d’enjeux planétaires disponibles à tous moments, il se « planétarise », le cul derrière son écran plat. Les informations qu’il reçoit, par nature sidérantes, ne peuvent plus faire sens tant elles s’accumulent, se contredisent, s’aplatissent les unes sur les autres.
  • Les racines angoissantes de la Nausée de Sartre sont un bouquet garni à côté de ce flux planétaire de débris sémantiques. La gerbe est hélas spontanément associée aux reflux du corps. Qu’en est-il pour l’esprit ? Comment décrire cette insupportable saturation d’actualités terrestres globoïdes ? Dans L’homme sans qualité, Robert Musil fait dire à son héros d’antan qu’il est bon de résoudre des intégrales, pour maigrir après une soirée mondaine.
  • Pour moi, ce sera le ciel, ma première passion, les étoiles, les galaxies, ces  halos lumineux vis-à-vis desquels l’homme se situe dans ce qui reste son véritable destin métaphysique, un mystère peu propice au buzz ou à la terreur orchestrée des masses hystériques par les perfusions chroniques d’actualités planétaires. Il y a tout de même quelque chose de profondément écœurant et nauséeux dans cette façon dont le mondial rend hommage à la mondialité dans un circuit tautologique où le même – hier « je suis Charlie », aujourd’hui le drapeau français, demain les nuanciers de vert de la COP 21, dans trois jours les anneaux olympiques – recouvre l’identique à perte de vue.
  • L’onanisme planétaire n’a certainement pas contaminé toutes les parties du globe. Des paumés résistent avec le ciel, et non le net, en toile de fond. En voiture, pour contrarier la nausée, toujours viser un point fixe, l’horizon. Un petit quart d’heure sur LeMonde.fr (un parmi d’autres) et la gerbe globaliste pointe le bout de son nez. L’esprit se téléporte en deux clics aux quatre coins du globe dans une spirale dénuée de sens, incohérente, ubuesque au mieux, vomitive au pire. Pascal n’aurait jamais écrit que le silence des deux infinis l’effrayait s’il avait connu ça. Jamais.

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Publié le 01 décembre 2015