Grève et solidarité. La petite bourgeoisie enseignante est-elle républicaine ?

Grève et solidarité. La petite bourgeoisie enseignante est-elle républicaine ?

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  • Les professeurs qui obtiendront ne serait-ce que 30 euros par mois (30 deniers ?) les devront à ceux qui ont perdu plusieurs jours de salaires, des mères professeurs des écoles, célibataires, avec des petits salaires qui se battent et qui auront, avec cette réforme, des pensions de retraite misérables.  Ils peuvent déjà envoyer leur RIB.

 

  • Il existe une petite bourgeoisie enseignante pour qui le mot caisse de grève est inaudible. C’est à elle que le ministère s’adresse avec ses primes et la transformation profonde du lien qui relie les professeurs à la République et à l’intérêt général. Une armée de mercenaires payés à la tâche, en concurrence les uns avec les autres, est-ce cela que nous voulons pour l’école ? La petite bourgeoisie enseignante a intériorisé les logiques d’individualisation et reste étrangère au conflit social mais commence à prendre conscience des conséquences, pour elle, de ce modèle.  Elle a beaucoup de mal avec la solidarité. Cela peut changer ou pas.

 

  • Cette petite bourgeoisie enseignante a aussi contribué à dépolitiser les luttes. Absorbée dans des couches moyennes, elle a aussi voté Emmanuel Macron. Elle peut certes le regretter, cela ne mange pas de pudding. Elle est trop souvent prête à enseigner n’importe quoi n’importe comment pourvu qu’elle s’en sorte individuellement. Mais pour la petite bourgeoisie enseignante, la logique dévastatrice du gouvernement Macron est un test politique ultime. De quel côté va-t-elle se situer ? Du côté de la grande bourgeoisie et des parvenus adaptés du libéralisme qui ne feront jamais grève et qui méprisent de plus en plus ouvertement les professeurs avec la complaisance de faiseurs d’opinion qui sont aux-mêmes des surgeons du spectacle ou du côté des ouvriers, des salariés pauvres, des gilets jaunes, tiens, pourquoi pas ?

 

  • Macronisée malgré elle, la petite bourgeoisie enseignante se trouve aujourd’hui tiraillée entre son déclassement social et économique et son incapacité structurelle à se penser politiquement dans une conflictualité réelle. Il n’y a pas de conflictualité réelle sans solidarité (caisse de grève par exemple). Seul, il n’y a pas de conflictualité réelle du tout. Des rodomontades mais pas de politique. Une consommation culturelle de produits adoubés par le spectacle mais pas de politique. Une participation active à l’encadrement des masses mais plus de politique.

 

  • C’est dans l’adversité politique que l’on mesure la solidarité des personnels pas en triant des bouchons pour « sauver la planète » avec  les élèves. Cette solidarité des personnels suppose une conscience politique qui ne peut être que celle de l’affrontement politique sur fond de conflit social, un conflit qui va très au-delà des intérêts particuliers, qui engage le bien public, l’intérêt général et en définitive l’intérêt supérieur de la nation. Non pas cette République usurpée, celle de Macron, mais une République sociale, politique, celle qui ne cède rien aux exigences de justice et d’égalité.

 

  • La solidarité de la petite bourgeoisie enseignante est faible mais elle est aujourd’hui durement testée, mise à l’épreuve. Cette petite bourgeoisie enseignante n’est pas et ne sera plus la bonne élève du néo-libéralisme car elle est liée aux intérêts supérieurs de la République. Il y a là contradiction. Les valeurs de la République, en pratique, sont aujourd’hui attaquées de toutes parts. Par valeurs, il faut bien sûr entendre la mise en pratique d’une exigence sociale qui ne se réduit pas à quelques slogans sur la laïcité. A moins que la laïcité, la laïque de Jaurès, soit sérieusement pensée comme une exigence sociale indissociable des luttes pour la justice et l’égalité politique.

 

  • La seule question à se poser pour elle est donc la suivante : est-elle petite bourgeoise avant d’être républicaine ou est-elle républicaine avant d’être petite bourgeoise ? Bourgeoise, elle ne le sera plus. C’est une forme de deuil fantasmatique. La révolution libertaire libérale lui avait pourtant fait miroiter cette promotion de classe. Forte de son capital culturel, son seul capital, elle pouvait accéder à un confort tout en secondant la bourgeoisie du capital, de la rente, de l’héritage en faisant ses bons achats à la FNAC. A elle les métiers de l’animation, de la culture et le professorat comme promotion sociale. Nous avons là une partie de l’histoire de la trahison de la gauche sociale et authentiquement républicaine sur laquelle nous n’avons plus à revenir tellement le sujet est tristement connu.

 

  • Fort de ce constat, soit la petite bourgeoisie enseignante continue de seconder la grande bourgeoisie et les parvenus du libéralisme – ce qu’on lui demande de faire aujourd’hui à coups de primes et de triques – soit elle s’en détourne pour des raisons de classes. Dans le premier cas, elle devra s’asseoir sur ses dernières illusions républicaines et admettre qu’elle n’est, au fond, que le bras armé cognitif et docile d’une mise au pas qui n’a plus rien de républicaine, les agents actifs d’un ordo-libéralisme de combat qui détruit aussi bien le droit du travail que la solidarité nationale.

 

  • Elle forme pourtant une classe républicaine. Nombreux sont les professeurs nés dans les années 80 et après à avoir compris cela. Ils appellent « boomers » (terme à préciser politiquement) cette petite bourgeoisie anti-républicaine socialement. Ils ont en partie raison. En partie seulement, car les jeunes professeurs de cette classe moyenne, à moins d’avoir fait un travail politique sur eux-mêmes, sont tout aussi dépolitisés que les parvenus adaptés du libéralisme. Heureusement, qu’il reste quelques « anciens » pour rappeler cette triste évidence.
  • Pour conclure, qu’est-ce qu’un professeur : un animateur au service d’une classe réellement possédante qui le méprise ou un éducateur de la République, proche des ouvriers, des travailleurs salariés qui ne seront jamais petits bourgeois. C’est ce qui est en jeu. Cette question suppose de se situer. Ce n’est évidemment pas une question d’école, une question scolastique, ces questions que les professeurs savent manipuler dans un sens et dans l’autre à défaut de toute pratique. Elle appelle à un engagement. Non pas théorique mais à un engagement concrètement déterminé par le salaire, autrement dit le travail et la production. C’est justement ici que les petits animateurs culturels, ceux qui ont aussi fait le macronisme, ne nous sont d’aucun secours. Pratiquement, leur salaire dépend de la docilité dont il font preuve vis-à-vis de la bourgeoisie adossée au capital qui les paie grassement. Ce n’est pas le cas des professeurs de la République pour une écrasante majorité d’entre eux. Ils le savent et c’est aussi pour cette raison que vous n’entendrez pas parler de caisse de grève et d’AG du personnel entre deux jingles culture.

 

  • Il semblerait, au regard du mouvement en cours, qu’une partie de la petite bourgeoisie enseignante soit aujourd’hui en mesure de  choisir le conflit politique plutôt que la servitude culturelle. Le retour de la lutte des classes à l’intérieur du champ de la culture est une très bonne nouvelle même si les conditions de ce retour restent théoriquement indécidables. La pratique tranchera. Elle tranche toujours. Comme le rappelait Engels, the proof of the pudding is in the eating (Préface à l’édition anglaise de Socialisme utopique et socialisme scientifique, 1892). La preuve de la conflictualité politique est dans la solidarité.