Le chiffon rouge Zemmour
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Le diable en personne, l’ennemi absolu, le retour de la bête immonde. Voilà pour le plat de résistance. Ce matin, sur France Inter, Jean-Marie Le Pen apporte tout son soutien au courageux polémiste (c’est le terme officiel, il en faut toujours un). Il y a deux jours LCI offrait une tribune de 30 minutes à l’infâme quand BFMTV nous offrait le mauvais discours de Marion Maréchal Le Pen. Demain le procès de l’ordure sera sur toutes les chaînes. L’union sacrée. Contre la politique gouvernementale ? Contre la casse du service public ? Contre la liquidation de l’école républicaine ? Contre les innombrables ruptures du pacte d’égalité entre les citoyens français ? Contre le clientélisme communautaire ? Contre la démagogie des « citoyens du monde » qui, heureux d’en être, ne font plus de politique ? Non, contre Eric Zemmour, le « venin de la République ».
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Vous ne nous convaincrez pas. Le venin véritable n’est pas dans la République, il est devenu la République ou plutôt ce que les traîtres en ont fait et ce que d’autres traîtres taisent. Une pseudo République, soi-disant en marche, qui a aujourd’hui un besoin vital du chiffon rouge Zemmour. Les délires névrotiques d’un homme peuvent parfaitement servir les desseins de tous ceux qui n ‘ont aucun intérêt à ce que l’on regarde leur compromission avec l’ordo-libéralisme de trop près. Ce petit monde de la culture qui ne parle politique que pour se donner bonne conscience a aujourd’hui grand besoin de Zemmour comme il avait hier et encore aujourd’hui besoin de Jean-Marie Le Pen, de sa fille, de sa petite-fille et de ses chiens. Mais cette stratégie se brise désormais sur une contestation sociale qui ne croit ni au diables ni au bons dieux. Une contestation sur fond de collapse économique, de déclassement, de mépris vécu, de morgue gouvernementale et de trahisons au sommet de l’État.
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Zemmour est un être de papier, une marotte qu’il est bon de gonfler afin de masquer l’incurie du politique. Car c’est à une liquidation sans précédent sous la cinquième à laquelle nous assistons, stratégique et concertée, voulue et planifiée : celle de la République et de ses valeurs. Ici, Zemmour rivalise avec Attali. Les deux forment le rotor et le stator idéologiques de la démolition contrôlée. L’équilibre passera d’ailleurs entre les deux.
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A côté, dans les marges de cette grande logique qui aimante les cœurs sensibles et les marchands du temple, Raphaël Glucksmann et Yannick Jadot, faux nez du politique, finiront pas siphonner le peu qui reste en poussant des hauts cris contre la République et sa souveraineté, contre les réactionnaires, les esprits étroits et les frontières qui divisent les hommes. En face du prurit Zemmour, les niaiseries d’une gauche (elle se fantasme encore ainsi) qui ne parle que pour nous distraire de la conflictualité politique réelle. Elle a d’ailleurs substitué la culture au politique, la morale de l’info à sa critique radicale et lucide. La créature médiatique Zemmour donne l’occasion aux néo-sophistes de faire des effets de tribune sur le retour de la bête en passant sous silence le discours d’autres intellectuels, d’autres politiques. Michel Onfray joua aussi ce rôle, un causeur confus sans aucune ossature, un bavard qui participa pleinement à l’enfumage collectif et au fond de l’air anti-républicain depuis dix ans. Quid de Michéa, de Dufour ? Hier Lefebvre ou Clouscard.
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Le tautisme médiatique veut ses baudruches, il les gonfle jusqu’à explosion, soit pour défendre les « blancs », soit pour défendre les « noirs ». Le divertissement doit être maximal, binaire et accessible aux indignations de l’épiderme. Des pseudo critiques, de fausses consciences éclairées, reprennent tout cela pour achever la dépolitisation en parlant d’une société du scandale, du spectacle permanent et de la post-critique tout en prenant bien soin de ne pas nommer les copains qui les font vivre loin des salles de cours d’une République qui agonise. Le chiffon Zemmour n’est pas Zemmour, il est autrement plus vicieux, autrement plus effectif. Le premier finira sa vie dans un enfermement mental auquel ont participé, avec cynisme et intérêts calculés, ceux qui ont pour unique vocation d’exploiter la crédulité des hommes ; le second est l’assurance vie de l’exploitation économique et de l’ordo-libéralisme, faible avec les forts et fort avec les faibles. Zemmour ira visiter la 17eme chambre correctionnelle sous le crépitement des caméras dans une forêt de micros et de journalistes outrés par ses propos inacceptables afin de faire du clic pendant que des travailleurs, des hospitaliers, des professeurs, des pompiers et j’en passe seront gazés de lacrymo pour oser faire encore de la politique en France. Les responsables, si prompts à agiter des chiffons rouges pour mieux se gaver sur le dos de la bête, et celle-là n’est pas en papier, savent tout cela très bien.
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Nous le savons aussi.