La liberté républicaine contre la pseudo liberté du choix de La République en marche
- Nous sommes en face d’objectifs et de comportements qui sont en tous points étrangers aux valeurs de la République, en face de stratégies d’intimidation qui sont en train de mettre à mal la confiance des citoyens envers ceux qui sont supposés être les garants de l’ordre public. Nous sommes désormais nombreux à faire ce constat d’une dérive inquiétante de l’exercice du pouvoir, en France, d’un contournement systématique des prérogatives de l’Assemblée nationale au profit d’un gouvernement par décrets et ordonnances dans une précipitation qui ne doit rien au hasard. Ce que les éditorialistes perroquets appellent le « calendrier politique », à savoir les différentes stratégies pour se maintenir au pouvoir, prend le pas désormais sur l’intérêt général quand celui-ci n’est plus que l’alibi d’une action publique qui ne lui doit aucun compte. Quels sont aujourd’hui les contrepoids réels de cette dérive inquiétante ? Nous les cherchons.
- Qui ira se plaindre d’une perte de liberté dont il n’a pas conscience, une liberté que l’on croit naturelle quand elle n’est au contraire qu’un fait d’institution. Dressés à la conception libérale de la liberté, celle de John Lind (1737-1781) pour qui la liberté « n’est rien d’autre que l’absence de coercition », les consommateurs dépolitisés ont fini par accepter massivement l’idée selon laquelle il peuvent être « libres » indépendamment de la nature exacte du régime politique qui les gouverne. Une formule – la République en marche – et les voilà rassurés.
- La réforme de l’Education nationale est ici exemplaire. Un maître mot : le libre choix. Une ligne directrice : la supposée absence de contrainte. Cette idéologie du libre choix (car il s’agit bien d’une idéologie) est aux antipodes d’une conception sérieuse de la République qui donne plus d’importance à la liberté des personnes qu’aux choix des individus. Cette distinction est essentielle mais elle n’est plus pensée car la doxa néo-libérale nous impose de rabattre l’une sur l’autre. Nous serions libres car nous pouvons faire individuellement des choix libres. Le cadre institutionnel dans lequel ces choix s’expriment devient alors transparent pour des consommateurs dépolitisés qui se vivent comme des atomes de liberté hors sol en face d’un menu qui flatte leur pseudo autonomie de jugement.
- Au fond, il importe peu que la société dans laquelle opèrent ces choix soit profondément inégalitaire, que l’on puisse constater et accumuler les preuves d’une rupture d’égalité vis-à-vis du pacte républicain, que l’institution ne puisse plus garantir une égalité territoriale dans l’application d’un droit égal pour tous. Tout cela passe au second plan voire au troisième. Nous en avons encore fait l’expérience avec la rupture d’égalité de traitement des élèves dans une situation de grève exceptionnelle du baccalauréat qui a révélé de façon criante et dramatique l’opposition entre ces deux modèles de liberté : la liberté du choix (individualiste, consumériste qui justifie en retour des expressions comme « prise d’otage » ou « intérêt de l’élève ») et une conception républicaine de la liberté qui refuse toute forme de domination, qu’elle soit publique ou privée, dans la mesure où elle vient rompre le pacte d’égalité qui lie les citoyens entre eux. Longtemps ce modèle a prévalu en France. Il est aujourd’hui menacé, frontalement attaqué par une conception anglo-saxonne de la liberté cohérente avec l’hégémonie des intérêts du commerce sur ceux des valeurs républicaines. La République en marche est, en France, le faux nez de cette attaque contre le pacte républicain.
- Les critiques du néo-libéralisme qui ne parviennent pas à se placer, pour des raisons idéologiques, sur le terrain d’un néo-républicanisme à refonder n’ont strictement aucune valeur politique. Bien au contraire, fascinées par le culte de l’individu émancipé, elles reconduisent de façon somnambulique les principes directeurs du modèle qu’elles feignent de critiquer. Elles trouvent d’ailleurs de bons échos dans les succursales du marché (libertarisme de pacotille, individualisme critique d’apparat, hédonisme libertaire de rien du tout). Ce sont de pâles indignations morales, incapables d’opposer au pouvoir autre chose que de juvéniles rodomontades. Le petit monde de la culture dépolitisée en est d’ailleurs friand. Le succès mondain de ces insignifiantes sucreries est inversement proportionnel à leur efficience politique.
- Dans Néo-républicanisme et néo-libéralisme (in Demain, la République, 2018, Le bord de l’eau), Philip Petit résume cela parfaitement : « En se concentrant sur le choix libre plutôt que sur la personne libre, la nouvelle théorie de la liberté diminua le souci pour la domination, privée comme publique. Selon cette nouvelle théorie, il n’importait pas que l’on vécût sous la domination privée d’un maître pourvu que celui-ci proposât un contrat et n’imposât effectivement aucune coercition. » Quelle est l’origine de notre liberté ? Est-elle politique ou économique ? C’est justement cette question fondamentale que nous devons aujourd’hui trancher. C’est aussi cette question qu’il nous est difficile de poser publiquement tant le modèle néo-libéral autoritaire ne souffre aucune contestation possible, la seule façon de l’ébranler étant de lui opposer, dans un renversement des termes sidérants, des « événements voyous » (rogue events). Pour un républicain authentique, c’est la loi qui nous fait libre, le parlement étant la condition sine qua non de son élaboration. Pour les faux nez de la République en marche, c’est la liberté contractuelle du marché adossée à la logique du choix individualisé. La réforme du lycée est parfaitement indexée sur cette logique.
- Il va de soi que ces problèmes sont essentiels mais constamment obscurcis par un traitement de l’information publique volontairement confusionniste. Au lieu de poser le problème en termes politiques, les gouvernants flattent une opinion dressée aux logiques consuméristes du libre choix. Le vocabulaire de la « prise d’otage » est exemplaire de ce dressage anthropologique : il conforte le modèle économique dominant en infantilisant les citoyens, il réaffirme l’ordre de la domination du marché en flattant une conception dépolitisée de la liberté. C’est cela qu’il nous faut affronter désormais. Les stratèges de l’autoritarisme néo-libéral le savent parfaitement, d’où l’intérêt qu’ils ont à évider au maximum les contenus d’enseignement d’une dimension critique et politique au nom de la confiance, l’hypnotisme généralisé et d’un patrimoine républicain purement formel. Ce n’est pas simplement d’une opposition à un parti de gouvernement dont il est question mais d’une interrogation fondamentale sur la nature de nos libertés et du type d’homme que nous devenons.