La République en marche contre les idéaux de la République
14 juillet 2019
- La République en marche bafoue les idéaux de la République dans une malversation des signes inédite. Autrement plus réactionnaire que les partis d’opposition sur lesquels il fait planer l’accusation d’anti-démocratisme, autrement plus autoritaire que ceux qui cherchent à faire entendre une autre voix, cet amalgame d’intérêts particuliers menace aujourd’hui les libertés publiques. Ce parti fantoche a pour seul projet politique l’éviction du politique, cette capacité collective à faire droit à une conflictualité représentative. Il n’est qu’une succursale des chambres de commerce. Ces agents, formés pour une large majorité dans des écoles de commerce justement, sont aux antipodes de la culture républicaine qu’ils confondent avec la soumission à l’ordre établi, la caporalisation des agents de la fonction publique et la mise au pas brutale des corps institués. Ce parti trouve, il va de soi, des alliés objectifs dans une classe médiatique qui n’a de rapport au peuple qu’à travers l’écran du prompteur. Une nuance s’impose : la classe médiatique n’est pas homogène. Les différences sont criantes entre un éditorialiste grand bourgeois et un pigiste au SMIC. Pour autant, le rapport de force est indiscutable : le second est au service du premier dans une relation de vassalité qui nous rappelle les us et coutumes des courtisans. Nous le savons, les micro résistances latérales sont de peu de poids face à une machine qui façonne une représentation du monde unilatérale. La République en marche tort la République française.
- L’anti-parlementarisme qui a pu se faire entendre dans la rue cette année ne saurait être pourtant la solution. Il n’est que la conséquence d’un dévoiement institutionnel, le symptôme d’une défiance inédite sous la cinquième République entre les citoyens et les élus. Mais il peut être exploité cyniquement par ceux qui ont intérêt à confondre la critique d’un parti politique et celle des institutions dans son ensemble. Affirmer que le pacte républicain est rompu parce que des professeurs du secondaire sont en grève, c’est confondre le pacte constitutif de la République et la façon de gouverner d’un parti politique. Nous assistons pourtant à une inquiétante collusion, le parti La République en marche s’octroyant le droit de parler et de statuer au nom de la République. Aucun parti politique ne saurait incarner la République française, aucun élu du peuple ne peut dénier aux citoyen, dans les limites du droit, le pouvoir de contester la politique qu’il mène sous prétexte que cette contestation est contraire au pacte républicain. Penser le contraire revient à intenter gravement aux principes républicains auxquels nous sommes attachés.
- Voilà ce qui différencie une République et une entreprise, un Etat de droit et une start-up. Avec pour seuls arguments l’efficacité et le pragmatisme, nous assistons à une éviction du politique. Le politique n’existe pas sans combat et nous ne voulons plus combattre. Mais qui est ce nous ? Ceux et celles qui se contentent de voir le monde administré du point de vue de l’ordre, c’est-à-dire de la police. Mais quelle police ? « Le dernier mot à la crise doit être politique, issu du dialogue et de la concertation. Ce n’est pas un match Police – GiletsJaunes. » Cette phrase du CSPN (Commissaires Police Nationale) n’est pas prononcée par un des fameux politiques-experts mais par des citoyens qui ont, dans la cité, une fonction de police. Ils se retournent vers les politiques seuls capables de donner corps à une conflictualité qui ne peut se résoudre dans un « match Police – Gilets Jaunes » commenté, tel un journaliste sportif, par le premier ministre français quand il ne parle exclusivement que des gilets jaunes « hooligans ». Les professeurs en grève ont eu droit quant à eux et devant une assemblée représentative au doux sobriquet de « zadistes délirants ».
- Le constat est implacable. Ce qui reste de politique en France est en train, de reculs en reculs et de lois en lois, d’être criminalisé. Tout ce qui pourra créer demain de la conflictualité sans jouer le jeu de l’insignifiant spectacle dépolitisé aux mains des animateurs culturels (leur différence étant bien souvent qu’une question de goût et d’habitus de classe) sera traqué ou marginalisé. Nié. Cela n’existe pas. Cette analyse même existe à peine, pour quelques lecteurs eux-mêmes marginaux. Ne pas hurler avec la meute, critiquer sans reste la stratégie d’exclusion des « extrêmes », l’instrumentalisation de la mauvaise rhétorique « brun-rouge », tout cela ne peut pas exister, ne doit pas exister. Dénoncer la dépolitisation des écoles de formation, le triomphe du management le plus abrutissant, la vacuité de discours supposés républicains, autant de mauvaises manies qui ne peuvent que « jeter de l’huile sur le feu » contre la « volonté d’apaisement » et le « retour à l’ordre ».
- Faute de trouver des interlocuteurs sérieux, l’affrontement ne peut que se durcir. C’est ce que vise toujours un gouvernement qui cherche à imposer à tous un ordre dépolitisé du monde. La succession de crises dramatiques que nous vivons en France est pourtant essentielle à comprendre. On ne peut pas décemment gloser sur le politique, le philosophique ou la culture sans interroger la nature des sociétés dans lesquelles nous vivons et pensons. Il en va de la responsabilité de ceux qui ont le temps et les moyens de rendre intelligible une lutte fondamentale pour la République. Pour des raisons de justice sociale, évidemment, mais aussi, et fondamentalement, pour savoir dans quelle société nous voulons vivre demain. Nous, nos enfants et ceux qui croient encore aux valeurs de la République française.
- La République n’est pas un état de fait, elle suppose une vie des idées à travers les institutions qui la soutiennent. Cette vie des idées est aujourd’hui menacée, écrasée par un bruit de fond médiatique qui substitue à l’intelligibilité une forme de néo obscurantisme. Vouer à la vindicte de l’opinion des professeurs qui exercent un droit de grève face à un gouvernement qui passe systématiquement en force en feignant des consultations sans effets est une très mauvaise chose pour la République. Mépriser ou feindre de reconnaître des mouvements de protestation populaires, faire usage de la force publique à la place de la négociation politique, accuser des journalistes d’être « la panzer division » (Alexis Lacroix à propos de Médiapart sur BFMTV) du populisme pour mieux masquer la réalité qu’ils donnent à voir, sont de très mauvaises choses pour la République.
- L’inquiétude est grande de voir notre pays basculer dans autre chose. Peu importe au fond le nom que nous lui donnons et les références historiques auxquelles nous pourrions le rattacher. L’histoire ne repasse pas les plats mais elle nous intime le devoir de veiller à la nature exacte des transformations en cours. Les républicains de tous bords, viscéralement attachés aux libertés publiques et à la cohésion du corps politique, doivent désormais comprendre qu’ils ont une responsabilité historique en face d’un mouvement qui est en train de remettre frontalement en question les idéaux auxquels nous croyons. Cela suppose que nous cessions de penser, sidérés par le houellebecquisme ambiant pour qui « la République n’est pas un absolu » (Houellebecq, France Inter, deux heures avant le massacre dans les locaux de Charlie Hebdo) que nous sommes impuissants. Ce discours là est aussi celui de la dépolitisation et de la capitulation. Ce en quoi une véritable résistance de la République s’impose aujourd’hui à tous les citoyens de bonne volonté.