Aux pervers des démocraties de marché
Foule haineuse dispersée
- N’être plus que la grimace de ce monde. Un spectre dans la grande machine à lénifier. Une vilaine satire qui ne ménage ni la chèvre ni le chou. Rappelons que la critique n’a pas vocation à être un énième aggiornamento acceptable de la contestation, une de ces mises en spectacle de l’indignation qui ménage soigneusement le copinage dans un jeu de renvois de courtoisies, assez odieux avec l’âge je dois dire. Nous ne jouons pas le jeu, voilà le seul jeu qui puisse valoir encore. En cela, nous ressemblons bien à ces canailles de gilets jaunes, décidées, dans deux jours, dans deux mois, dans deux ans, en jaune ou en couleur de lune, à barbouiller salement le paradis proposé. Les bonnes âmes nous offrent un débat. Merci bien. Sans décourager personne, nous n’avons pas la gueule à ça.
- Est bon ce qui résiste, c’est notre seul critère. Difficile à tenir par les temps. Rien au-delà des démocraties libérales, dites-vous ? Nous voilà donc au paradis. Mais la théologie n’a jamais été très loquace sur les occupations du ciel. Il se trouve que votre paradis, mesdames, messieurs les tempérés, nous emmerde. Je n’ai, entre autres exemples, aucune envie de participer à la formation science du numérique et polyvalence pour former des grappes de neuneus encore plus neuneus que les précédentes. Je n’ai aucune appétence à donner mon avis autour d’une table en plexi pressé par un speaker hystérique et une speakerine perverse. Je ne goûte pas l’idée de miauler en meute avec les chatons du spectacle. Mais il se trouve, et je ne suis pas le seul, que je veux vivre encore. A y réfléchir cette saine exigence est de moins en moins évidente à tenir en conservant aussi sa santé mentale.
- On nous dit chagrins, méprisants, aigris et nostalgiques ? Je soutiens au contraire que nous sommes les derniers à pouvoir nous marrer encore. Certes, ce rire est parfois contrarié, oblique, en dedans, question d’intimité ; la diagonale du fou n’est pas exempte de rechute. Vous appelez information libre ce que nous nommons dressage. Sûrement jouissif, quand on ne peut plus jouir autrement, de voir à quel point les masses disciplinées peuvent rentrer dans le rang au premier coup de sifflet. Les pitreries en fiches d’un théâtreux de salons devant des parterres grisonnants vous tiennent lieu de débat et c’est à nous que vous osez proposer la camisole du fou ? Des pontifiants emperruqués vous sortent de vieux mythes dans des croisières philo et c’est à nous que vous posez l’entonnoir ? Mes bons amis, vous appelez pluralisme un marécage que je nomme étalement de bouses séchées. Les nuances dépendent de la nature des bouses, anecdotique quand on a les pieds dedans.
- Vous peinez, cela commence à se voir, à sauver la diversité des apparences. Votre pluralisme chéri pourrit sur pieds. Curieusement, à court d’expédients pour vendre une énième sauce, le ton se durcit. Votre fine sensibilité aux nuances trouve ses limites naturelles quand il s’agit de ramener à la raison, la vôtre, ceux qui ne veulent plus patauger dans votre bourbier progressiste en silence. On vous entend même promettre du sang et des larmes à ceux qui ont tendance à dévier du droit chemin par un mauvais vote, une occupation sauvage de l’espace, une mauvaise gestuelle. Un œil par ici, un trauma par là, des broutilles quand il s’agit de ramener quelques brebis égarées dans le concert de louanges de leur servilité consentie. Car la fine fleur de l’avilissement ne consiste pas pour vous à soumettre mais à faire se soumettre les soumis entre eux en participant eux-mêmes à leur propre spoliation. Il me semble, sans trop me tromper, que cela correspond à une structure perverse. C’est dans Freud, lisez.
- Quand la réalité dépasse la satire, autant dire quand la réalité s’évapore, avons-nous d’autres choix que de nous risquer tout entier. Ne pas jouer au philosophe, à l’intellectuel, au critique quand tout le monde joue à ce jeu-là. Court-circuiter ces insignifiants montages dans lesquels le goût pour le fake rencontre celui, plus français, des courbettes de salons. Quand le fake rencontre les précieuses ridicules, ce qui est à peu de choses près notre situation hexagonale, je doute qu’il reste d’autres choix que le grand refus. C’est ici que les choses deviennent réellement passionnantes et créatives, pour risquer un mot délavé par la com des nains de l’open space. C’est ici que l’on commence à mesurer la profondeur d’une grimace.