L’hubris de Macron et de ses mainates
- L’argent n’est le nerf de la guerre que pour ceux qui déclarent la guerre à ceux qui en manquent. Le discours économique triomphe à partir du moment où l’on croit faussement que tous les problèmes posés par le gouvernement des hommes peuvent s’y résoudre. Ce qui est faux. Une vie d’homme ne sera jamais la somme de ses comptes, de ses dettes ou de ses crédits. Autant il est possible, et peut-être souhaitable, de ne pas être multi millionnaire pour avoir une vie digne, autant il est impossible de s’adresser aux hommes que l’on gouverne dans les seuls termes de l’économie, sans s’adresser aussi à leur dignité.
- Dire d’un homme qu’il ne parle pas comme un gitan, utiliser le sobriquet « jojo » pour qualifier ce que l’on croit être le bas peuple, laisser entendre que des centaines de milliers de citoyens français sont manipulés par quelques puissances occultes, voilà pour l’indigne. L’économie vient après, bien après. Emmanuel Macron représente à lui seul, en partie à son corps défendant, une forme évidente de mépris, une morgue certainement inédite à ce niveau de responsabilité politique. Mais il serait injuste de ne pas voir dans ce mépris la signature d’une époque. A partir du moment où toute alternative est exclue, où le mot « révolution » accompagne la campagne publicitaire d’un nouveau shampoing, du dernier téléphone portable ou le livre de campagne d’un candidat, la réussite sonnante et trébuchante, celle des places et de la visibilité sociale ne peut plus être contestée par d’autres critères que ceux de la réussite. Circularité.
- « C’est trop ». Si je devais trouver une formule pour résumer ce qui vient de la rue les samedi après-midi, ce serait celle-ci. Trop de privilèges, trop d’arrogance, trop de répression, trop de passe-droits, trop d’impunité, trop d’exploitation, trop de mépris. Ceux que le commérage caniche présente comme des extrémistes sont aussi ceux qui en appellent à une limitation des excès de l’homme. En face ? « Sky is the limit ». Une phrase démente prononcée par un dément aujourd’hui président de la république française. Un dément soutenu par une kyrielle de déments qui ne trouvent pas à redire à ces slogans de la démesure humaine, cette hubris dont les grecs savaient qu’elle était la cause de tous les maux. Otos et Ephialtès, ces géants qui entreprirent d’escalader le ciel, en subirent les conséquences, attachés à jamais à une colonne entourée de serpents. Ajoutons la chouette qui hulule au-dessus de la tête de ces démesurés.
- Cette morgue, cette hubris contemporaine, n’entreprendra aucune escalade héroïque, n’ayez crainte. La mythologie agrémente la culture et il serait discourtois d’y faire référence pour autre chose que l’assaisonnement insignifiant d’une causerie lettrée. L’hubris moderniste est stérile, rabougrie, minable. Ces petites phrases lancées à la volée, reprises en écho par les nouveaux mainates du vide, éditorialistes pour l’espèce, n’expriment au fond que la démesure du moi. Emmanuel Macron est le fils de son temps, du fric et de la frime et il est vain d’aller chercher quelque chose de consistant derrière une vacuité qu’il ne peut pas, hélas pour lui, toujours étouffer.
- Un peu de tenu lui hurle le peuple les samedi après-midi, un peu de décence. Mais au nom de quoi les vainqueurs de la lutte des places devraient-ils entendre cette adresse ? Qu’est-ce qui les oblige ? Regardez l’anti-barbare philosophe de Marrakech, pour quelles raisons se limiterait-il ? De serviles animateurs lui tendent encore le micro quarante ans après ses premières pitreries anti-totalitaires. Regardez cette animatrice d’un talk-show politique qui agrémente d’un « bam » buccal et d’un rictus débile les propos méprisants d’une chargée de communication, secrétaire d’Etat n’ayons peur de rien, à l’adresse d’un homme politique qui a recueilli plus de deux millions de suffrages dans une élection présidentielle. Qu’est-ce qui autorise cette petite femme à se comporter de la sorte ? Si des speakerines peuvent se permettre de telles sorties, pour quelle raison se plaindre d’un président de la République que affirme que les « gitans ne parlent pas comme ça » ?
- Nous sombrons de moins en moins lentement mais sûrement. Nous sombrons pour être incapables de faire valoir un autre ordre de mesure que celui de l’argent. Nous mesurons tout ou presque en termes quantitatifs, incapables de faire encore valoir un ordre limitatif de la qualité. C’est aussi pour cette raison, comme un acte politique de première urgence, qu’il faut rappeler les cuistres à la réalité de leur cuistrerie. Emmanuel Macron occupe une fonction respectable mais l’homme est tout petit. Dans un paradoxe qui révulse les encore plus petits que lui, la défense de la dignité de la fonction vient moins de l’Elysée que de la rue. Les citoyens français attendent autre chose qu’une clique de baudruches qui se prennent pour Otos et Ephialtès mais qui n’auront droit, à la fin de cette sinistre farce, ni aux serpents ni à la chouette. L’Hadès des sans-noms leur ira très bien.