Attention à la sinistrose !

Attention à la sinistrose !

Alain Duhamel et son épée

…..

  • Oui, je sais, les temps sont durs. Grande est la tentation de sombrer dans une mélancolie d’impuissance, un renoncement à la lutte et aux joyeux combats. Prenez garde aux forces thanatiques promptes à s’immiscer dans l’esprit qui fatigue. Nous ne sommes pas simplement voltairiens, les amis, disputeurs de salons mais en quête d’esprit. Nos adversaires d’un jour, fussent-ils vaincus ou repeints en jaune, ne nous offriront pas la paix car nous ne sommes pas irénistes. Belliqueux ? A peine, à peine, juste ce qu’il faut pour mettre en branle le pneuma. En face, c’est la mort cotonneuse, l’ordre de la mouillette et du ratatinement. Regarde, oh lecteur d’un jour, la gueule de Dudu, tout est dit. Contre Macron, contre Macron, d’accord, mais pourquoi ?

 

  • N’égrainons pas les raisons objectives. Nous le faisons ailleurs mais mesurons plutôt ce que fait la critique. Pensez-vous une seconde, lecteurs endormis, que nous sommes ici pour renverser un homme ou deux ou dix ou mille ? Notre combat est autrement plus titanesque, dix fois plus ambitieux que ces petits comptages. Il s’agit de l’homme, toujours, et oui, la bête pensante qui pense de moins de moins et se rapproche ainsi du premier membre de cette combinaison loufoque. Nous cherchons, avec un peu de force, à nous sauver de ces temps médiocres, à faire quelque chose d’un peu puissant avant la dernière débandade. C’est aussi pour cela qu’un Houellebecq nous afflige. Il pue la mort le bonhomme, ça chlingue à dix lieux. Macron pareil, mêmes effluves, identiques, égales. Des symptômes à fuir. Fuis, citoyen, dans l’autre sens, les gaz arrivent.

 

  • Je vous l’accorde, l’entreprise a des ratés. Fréquenter quotidiennement la nullité des temps à la recherche de quelques éclats ne se fait pas sans peine. A quels efforts démoniaques faut-il consentir pour faire exister autre chose ? Tout est là. Le plus sinistre dans cette histoire de révolte et de président c’est de voir autant d’hommes et de femmes satisfaits de l’offre, empressés de dire « pas si mal » en regardant leurs pieds. Cette soumission a mille figures et ne date pas du « moderne ». Vous la trouverez attaquée dans l’histoire, par les maîtres antiques, les romantiques actifs et les ironistes offensifs qui traversent le temps en jetant leurs œufs frais sur les devantures du siècle.

 

  • Taper, taper encore pour faire rendre un son à ce silence qui oppresse. Ne cherchez pas la réponse, n’attendez pas le dialogue, l’échange, la communication, pire, le débat. Taper de toutes vos forces, le son viendra sans eux. Soyez simplement justes et magnanimes, impitoyablement sensibles à ce qui vous affecte. C’est là que commence le renoncement et la sinistrose, quand vous ne pouvez plus répondre, incapable de faire quelque chose d’actif, de traduire l’affection en action. Tout est fait pour étendre le domaine du sinistre. Le politique n’est pas le seul territoire dévasté. Attention à la sinistrose. Gaspillez plutôt vos gestes et vos paroles, n’économisez aucune force, ne stockez rien. Soyez l’Héraclès bouffon, celui qui ramène de la mort vers la vie, qui « recueille dans sa personne le double héritage mythique d’un très ancien transgresseur diabolique et d’un non moins ancien passeur bénéfique. » (1)

……

(1) Jean Starobinski, L’encre de la mélancolie, Paris, Seuil, 2012.