Réponse à la lettre du président Emmanuel Macron

Réponse à la lettre du président Emmanuel Macron

« Pour moi, il n’y a pas de questions interdites. Nous ne serons pas d’accord sur tout, c’est normal, c’est la démocratie. Mais au moins montrerons-nous que nous sommes un peuple qui n’a pas peur de parler, d’échanger, de débattre. »

Emmanuel Macron, Président de la république, le 13 janvier 2019.

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  • Où en sommes-nous ? Depuis deux mois, tous les samedi, des dizaines de milliers de français enfilent un gilet jaune et défilent dans la rue. Ils continueront samedi prochain. Ce mouvement populaire n’a pas de précédent dans l’histoire récente, le soutien qu’il reçoit est massif, les problèmes qu’il pose fondamentaux.  Ce soir, après lecture de cette lettre aux français, nous savons pourtant que ce mouvement finira mal. La raison est simple :

la gravité de ce qui est en train de se passer en France échappe totalement aux dirigeants de ce pays.

 

  • Tous les samedi depuis deux mois, en pleine journée, des centres-villes, des places publiques, des ruelles bondées, des lieux de passage sont aspergés de gaz lacrymogène pendant des heures. Des grenades sont lancées, de violentes détonations retentissent, des groupes de policiers équipés d’armes « semi-létales » arpentent les rues en courant, des cars de CRS se massent ici ou là, bloquent des quartiers entiers. Tout cela au milieu d’une foule hagarde.

 

  • Tous les samedi depuis deux mois, des citoyens français se retrouvent mutilés, gravement blessés dans des ruelles commerçantes transformées en zone de guérillas urbaines. Certains perdent un œil, une main, d’autres auront des séquelles pendant des mois, d’autres encore à vie. Des balafres au visage, des plaies de guerre aux jambes, à la tête. Hier encore, un jeune homme de quinze ans, équipé d’un sac de courses, recevait au visage un tir de flashball. Six heures d’opération, la mâchoire en bouillie, des cicatrices à vie. Au mauvais endroit, au mauvais moment.

 

  • Tous les samedi depuis deux mois, des fonctionnaires de police sont pris à partie, caillassés, sommés de gérer l’ingérable, de canaliser des fins de manifestations compliquées, dans des conditions souvent périlleuses, au milieu de la population. Ils obéissent à des ordres et doivent y répondre tout en étant priés de ne pas trop compter les heures supplémentaires. Pour une écrasante majorité d’entre eux, ces hommes et ces femmes n’éprouvent aucun plaisir à être là tous les week-ends en face d’une situation inextricable. Les exactions manifestes d’une minorité d’entre eux les accusent tous. Ils doivent aussi faire face à l’indignité morale.

 

  • Tous les samedi depuis deux mois, des journalistes de terrain, souvent mal payés, aux emplois précaires, sont pris à partie par des individus excédés. Certains sont molestés publiquement obligés de fuir, de se cacher, de dissimuler les logos de leurs caméras. Les images qu’ils prennent sont pourtant prises cent fois, les téléphones portables sont partout. Certains prennent des risques, reçoivent des grenades dans les jambes ou subissent des violences verbales de la part des forces de l’ordre. Ils ne sont pas sur les plateaux de télévision des cuistres poudrés, ils n’écrivent pas non plus les éditos de la presse quotidienne ou hebdomadaire mais ils deviennent « le système ».

 

  • Tous les samedi depuis deux mois, des bénévoles prennent des risques pour soigner les blessés. Casqués, en blanc, ils n’échappent ni aux gaz ni aux grenades. Ils extraient, parfois difficilement, des individus choqués, le visage en sang, pratiquent les premiers soins, s’enquièrent de l’état de santé des personnes à défaut d’une autre forme d’assistance, celle des fonctionnaires de l’Etat, pourtant encadrée par la loi.

 

  • Tous les samedi depuis deux mois, des dégradations urbaines, des poubelles brûlées, des vitrines brisées. Qui ne se préoccupe pas de l’endroit où il a laissé son scooter ou son vélo ? Les transports en commun sont perturbés, arrêtés. Certains commerces baissent leur rideau à 17 heures, d’autres ferment toute l’après-midi.

En réponse à cette situation catastrophique, les français auront donc droit à une lettre les invitant à participer à un « débat ».

 

  • A quel point d’effondrement du politique en est-on arrivé pour croire qu’une telle situation pourra se régler de la sorte, avec un débat ? Les raisons qui ont conduit à cette situation inédite sont les mêmes qui conduiront à rejeter massivement cette lettre du président de la République. De quel degré de cynisme ou de naïveté faut-il être habité pour croire qu’une telle sauce peut éteindre un tel feu ?

 

  • On me dira que les hommes de bonne volonté veulent l’apaisement et qu’une telle réponse à la lettre du président de la République est le contraire d’un apaisement, plutôt une invitation à la poursuite irresponsable de cette situation dramatique. Disons que ce sera ma participation au débat national, ma contribution puisque, paraît-il, toutes sont bonnes à prendre.

 

  • Etant entendu « qu’il n’y a pas de question interdite », voici donc les miennes. Pourquoi, en face d’une responsabilité historique, un président de la République élu au suffrage universel dans une soi-disant grande démocratie européenne est incapable d’être à la hauteur ? Comment se fait-il que notre système politique, celui qui promeut les dirigeants de notre pays, accouche d’une telle faiblesse ? Combien de temps encore allons-nous supporter des institutions, celles de la cinquième République, capables de concentrer un tel pouvoir dans d’aussi petites mains ?

 

  • Il n’y a pas lieu de faire le malin ou quelques bons mots sur cette lettre quand la tristesse domine, celle de voir un grand pays sombrer dans une telle médiocrité. Nous payons aujourd’hui très chère une forme de démission collective. Emmanuel Macron signe cette lettre mais nous en sommes tous les co-auteurs. Cette médiocrité est aussi la nôtre individuellement. Que s’est-il passé en France pour que nous en soyons là, à lire cette prose irréelle, ce tract de campagne électorale, dans une telle situation historique ?

 

  • Il n’est que temps de se ressaisir  politiquement, de réfléchir à qui nous accordons nos suffrages et pourquoi, de retrouver une exigence intellectuelle, une forme de probité républicaine quand il s’agit de penser le bien commun. Aucun homme politique ne peut le faire à la place des citoyens. Aucun.