Harangue d’Ikéaosthène à propos de l’enseignement de spécialité
(Semestre 1 : les pouvoirs de la parole)
« A Bordeaux, on adore philosopher autour d’un cognac.
On aime s’entourer de bons bouquins porteurs d’histoire, de réflexion et d’évasion. je voulais créer un lieu très personnel pour un couple qui a besoin de se déconnecter du rythme effréné de la vie soumise aux médias envahissants. Offrir une espace dédié aux valeurs fortes et pérennes comme la culture et la qualité, un endroit intemporel porteur des témoins de leur histoire et de leur style de vie. »
….……
- Etonnant, non ? En deux décennies, la quantité de discours qui se revendiquent de cette discipline de pensée a littéralement explosé. La philosophie est partout, en colloques et en coliques, même et surtout chez IKEA. Pour quelle raison ne serait-elle pas aussi dans le nouveau programme de spécialité « Humanités, littérature, philosophie » ? Après tout, si tout est dans tout et si tout revient au même, autant dire au marché, de quel droit, je vous le dis, au nom de quels privilèges hérités exigerions-nous une forme d’exception ? Ikéaosthène, vous l’affirme dans sa salle à manger fülssi : grand est le pouvoir de la parole.
- Oui, nous déclinons, c’est vrai. Et alors ? Toutes les époques déclinent. La nôtre décline philosophiquement. C’est déjà pas mal. Une dégringolade universelle et philosophique, c’est tout de même quelque chose non ? Bien sûr, je vous entends, caché derrière un fauteuil ülmo et un coussin trinkdal : il reste la culture G. Ah la culture G, quelle belle chose que voilà, quel beau point ! La dernière bouée, le kit de survie élémentaire pour pouvoir vendre avec un peu de style des tringles à rideau ülvi et des couvercles de toilettes zükmu. On ne peut tout de même pas prétendre être « interior designer » chez Ikea sans connaître les mots « philosophie », « réflexion » et « valeurs pérennes ». Faut pas déconner non plus.
- Evidemment, à côté de ce déclin là, de cet état de fait, les subtiles nuances entre un programme de thèmes ou de problèmes, de concepts ou de culture G en première au lycée, tout le monde s’en tamponne le coquillard. Bien sûr, à l’exception de quelques moines ayant choisi de regarder leur déclin en face, d’affronter la liquéfaction les yeux dans les yeux assis, stoïques, sur leur fauteuil bülmö. J’en suis.
- Comprenons, chers amis résistants de la dernière heure, le tragi-comique de ce qui se joue là. Tragique car nous savons, au plus profond de nous, que les marchands ont gagné et que cette victoire, médiocre au demeurant, reléguera très bientôt nos scrupules dans des culs-de-basse-fosse. Comique, car ne négligeons pas, tout de même, le potentiel humoristique de la période, la nôtre hélas, qui soumet, à des élèves de quinze ans gavés d’images You tube, le Metalogicon (Eloge de l’éloquence, de Jean de Salisbury (1148)) en guise de recommandations ministérielles avant même de leur apprendre à construire un raisonnement de trois lignes dans une langue acceptable. Acclamons, s’il vous plaît, le potentiel zygomatique inégalable d’une époque qui étend la philosophie de la couche culotte au pot de chambre, de la maternelle à la gériatrie. Oui, tous les philosophes des manuels scolaires n’ont pas eu la chance de vivre dans un temps où la bouillie était aussi philosophe.
- Alors que faire ? Accueillir le pouvoir de la parole, mes amis, la recevoir dans la grande bassine des mérites de tous à causer gaiement dans le brouet du siècle. Rejouons l’aède, les disputes médiévales et les querelles du Sénat à poil sous nos toges de 14 à 16 en salle 212. Ne refusons rien, embrassons tout, validons. Rendons ainsi à la France sa culture générale de spécialité. Plaire, plaire et émouvoir, séduire, ses nouvelles mamelles pleines de bon lait tiède vous tendent leur pies, de la salle 212 à France Culture. Ou à Bordeaux, avec un bon cognac. A défaut de raison, que la parole, dans un sens ou dans l’autre, soit avec vous ! Santé !