Déontologie du journalisme et critique du CAC 40 : les nouveaux veaux d’or médiatiques

Déontologie du journalisme et critique du CAC 40 : les nouveaux veaux d’or médiatiques

 

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(Grandville, Un autre monde, 1844)

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  • Une pétition circule, comme tout le reste d’ailleurs, pour la création d’un conseil de déontologie du journalisme. La belle affaire que voilà. Pendant de la désormais célèbre mais très comique « moralisation de la vie politique », « la déontologie du journalisme » devra garantir un « droit à l’information objective » selon la formule consacrée. Il va de soi que cette nouvelle instance – si elle voit le jour en France – ne s’appliquera essentiellement qu’aux médias de masse, ceux qui comptent réellement. Rassurez-vous, le droit inaliénable de penser  avec ses pieds, de piger dans un sabir de français et d’anglais les plus insignifiantes sornettes ou d’empoisser le champ d’improbables nuances consensuelles n’est pas l’objet du propos. A fortiori si vous faites tout cela dans des micro revues d’opinion. Mais entendez, chers citoyens, la grande plainte du mois, le dernier hululement critique des chevaliers blancs de la visibilité spectaculaire marchande : faiseurs de talk show, proxénètes médiatiques d’émissions peopolitiques, experts en décryptage de rien, tremblez, un conseil de déontologie veut vous surveiller pour promouvoir une information vraiment citoyenne et démocratique. Quel progrès, quelle vigilance, quel sursaut de lucidité !

 

  • D’anciens journalistes en mal de visibilité réclament aussi leur place au soleil du divertissement intellectuel. Ces laissés pour compte du CAC 40, ce grand Satan, cet anti-Dieu démocratique, cette nouvelle idole, ce dark veau d’or de la critique, ne saurait se contenter des pages confidentielles de revues minoritaires qui ont encore suffisamment de probité pour ne pas laisser la parole aux crétins utiles de l’information de masse. Au risque de surprendre les comateux, les professionnels de la non pensée massifiée et les déontologues du catch politique jouent au même jeu. L’intérêt que les seconds portent aux premiers confère une importance à la nullité du spectacle proposé quand les premiers assurent aux seconds une visibilité « critique ». Ironiquement, le « droit à l’information objective » réclamé aux promoteurs du spectacle par ceux qui se montrent sans rien produire de sérieux consolide des dispositifs à très haut coefficient d’aliénation mentale. Que seulement un tiers des sondés fassent confiance aux « médias d’information » selon un n plus unième carottage de masse publié par Reuters, la chose est plutôt rassurante. Car ce qu’oublient de nous dire les pipeauteurs professionnels du champ médiatique, c’est justement le degré de crétinerie avancée de ces fameux « médias d’information. » La défiance à l’égard de la débilisation de masse est la condition nécessaire de toute prise de conscience critique. Qu’un sondeur vienne me poser la questionnette  sur ma supposée confiance dans le nouveau Média non aligné sur la domination maléfique du grand Satan du CAC et je lui montrerais, en guise de réponse augmentée, comment la même médiocrité se retrouve ici ou là.

 

  • Restaurer la confiance, la formule fait florès, quand il s’agirait plutôt d’affiner la défiance sur cette chose qu’est « le média » en général et son imaginaire associé. Untel a des intérêts avec tel autre qui lui-même est en affaire avec un troisième : vous allez tout savoir sur les dessous des médias dans un nouveau média critique des médias etc. etc. Qu’avons-nous à faire de ces bruits de salons quand la santé mentale consiste à se situer ailleurs. Ceux qui vivent grassement de ces bruits  ont évidemment tout intérêt à augmenter la quantité de mousse médiatique en criant au scandale. Ainsi ce très bon client des médias de masse qui porte plainte contre les secrets de polichinelle d’un média de masse. La bouffonnerie est au moins rafraîchissante. C’est ainsi qu’apparaît une nouvelle classe parasitaire que je tiens pour encore plus nuisible que la première, un raffinement de la nuisance en somme.

 

  • N’attendez pas de cette classe parasitaire le moindre doute sur la valeur de son entreprise. La déontologie du journalisme, c’est bien ; le CAC 40, c’est mal. Discours des plus consensuels, nouvelle doxa des professionnels médiatiques. Avec l’intention toujours louable de sauver les masses des puissances de l’argent, ces nouveaux petits pères du peuple susurrent à l’oreille du flic qui est en nous : porte plainte, signe la pétition, fais un signalement  à la vigie du CSA. Bref, continue de regarder massivement des conneries mais reste vigilant et retweete la plainte. Nouveau dressage, un cran plus loin.

 

  • Cette  classe parasitaire aux mille casquettes (organismes bidons, veilles siglées, etc.) produit également du livre et des analyses en saturant le marché. Cette rébellion de confort vend autant qu’elle flatte. Services rendus. Sa fonction n’est pas de mettre en crise le pourrissement irréversible du champ médiatique mais de proposer « une nouvelle offre ». Cette fonction de régénération est assurée en politique par la fameuse « moralisation ». Son hypocrisie est de faire croire à une libération quand il s’agit le plus souvent de faire passer les plats aux anciens copains. Vous retrouverez ainsi dans ces nouveaux médias critiques des médias les anciens critiques médiatiques et autres divertisseurs professionnels. Comme chez Emmanuel Macron et son mouvement publicitaire « en marche », « la société civile », autrement dit la formule à la mode pour désigner les pékins qui retweetent  les figures de proue du parasitage plaintif, c’est le socle à gogos du grand renouveau. Socios ou marcheurs, à chacun de choisir son veau d’or.