La vie d’ange

La vie d’ange

cherubini[1]

 

  • Contacté par l’hebdomadaire chrétien  La Vie à propos d’Emmanuel Macron, je me suis prêté, la semaine dernière, au jeu des questions réponses. Ce n’est évidemment pas la première fois que ma critique suscite la curiosité des chrétiens de France. Il y a cinq ans déjà, Vieux réac !, truffé de références à la gauche critique et athée des années 60-70, avait fait l’objet d’une recension dans Témoignage chrétien. L’article signé Arthur Lamaze est d’ailleurs très habile et ce fut de loin le meilleur. Il s’intitule L’ère de la mayonnaise.

 

  • Dois-je encore expliquer aux étourdis que le journalisme Libé-Obs-Marianne est devenu totalement imperméable à une critique qui ne joue pas le jeu du marché, autrement dit de la mayonnaise. Que ce même journalisme ouvre depuis longtemps ses tribunes aux pires escrocs de la nullitogentsia parisienne connus de tous ne surprendra plus. Dans un paradoxe apparent, des auteurs critiques et athées des années 70 reviennent par la bande du côté tradi. Cette curiosité répond à une logique fort simple : qui conteste encore l’ordre moisi de la cité des hommes sinon ceux qui ont une règle de comparaison, une norme transcendante, en l’occurrence la cité bénie de Dieu ? C’est aussi pour cette raison que Valeurs actuelles peut titrer cette semaine : « Chassez le christianisme, vous aurez l’islam. » Voilà donc la critique athée (au sens de Michel Clouscard : « Si Dieu existe, tant mieux pour lui ») coincée entre les anges et les démons, entre le petit Jésus rehaussé en force de résistance et le fion de Christine Angot devenu grande littérature. Il se trouve que j’ai l’ambition de garder les pieds sur terre, entre ciel et enfer, ce qui rend, hélas, la décence critique de moins en moins audible.

 

  • Cela étant dit, Pascale Tournier me posa une série de questions à propos du nouveau président de la République afin de nourrir un article que je découvre ce jour et qui s’intitule : Emmanuel Macron est-il vraiment progressiste ?  Le couple progressiste/conservateur n’est pas simplement essentiel pour Pascale Tournier. Il aimante des pans entiers de la réflexion actuelle sur le politique. En cela, il est certainement légitime qu’elle le mobilise ici. Il n’a pourtant qu’une fonction de divertissement. A la hache (mais j’aime la manipuler), le progressisme, c’est le fion littéraire d’Angot ; le conservatisme, le petit Jésus qui résiste. La pensée critique n’a aujourd’hui de compte à rendre ni à l’un ni à l’autre. Minimum respect écrivait Philippe Muray. Pour une raison simple : des ennemis de la pensée critique, pour des raisons différentes, se tiennent des deux côtés. La radicalité intellectuelle, à laquelle je ne suis pas le seul à vouloir redonner ses lettres d’irrévérence, n’a que faire des étiquettes et des drapeaux. Elle renonce à avoir une vie d’ange en posant ses fesses sur le ring de catch du « débat d’idées ». Elle frappera donc des deux côtés. C’est d’ailleurs ce que fait Emmanuel Macron, capable de simuler l’un et l’autre mais avec des intentions bien différentes des miennes. Être à la hauteur de ce qui nous arrive exige une forme critique inédite qui (hormis chez quelques avant-gardistes inspirés) n’a aucun précédent dans l’histoire. Voici donc ses questions et mes réponses :

………………

– Comment définissez-vous le macronisme ? 

Le « macronisme » (bien que je n’utilise pas ce néologisme) n’est pas une idéologie politique mais une stratégie, à la fois symbolique, rhétorique et mimétique, pour faire accroire que les conflits idéologiques, et avec eux politiques, sont derrière nous. C’est en somme le simulacre de la supposée « fin des idéologies » au nom d’une adaptation pragmatique aux intérêts de l’heure. Comme je l’explique dans le livre, il ne s’agit pas d’un système de pensée mais d’une bouillie, autrement dit une production de messages susceptibles de prendre une forme et son contraire sans susciter la moindre contradiction. Un exemple parmi tant d’autres. En juillet 2015, au journal « Le Un », Emmanuel Macron affirme : « Je crois à l’idéologie politique, c’est une construction intellectuelle qui éclaire le réel. » Par contre, quand il s’agit de s’adresser à un très large public cela devient : « le prisme idéologique ne marche plus. » (TF1, 27 avril, 2017). Le discours tenu à une élite intellectuelle est aux antipodes de celui tenu à la masse des électeurs. Le macronisme, si l’on tient encore à ce mot valise, est un opportunisme vide qui prend la forme de celui qui le reçoit en fonction d’intérêts indifférents à toute interrogation sur les fins ou les valeurs.

– Pourquoi, selon vous, Macron, veut-il imposer le clivage progressisme/conservateur ?
Je ne pense pas que Macron veuille imposer ce clivage hérité. La stratégie consiste plutôt à substituer à ces anciennes oppositions, un vocabulaire insensé qui, dans un sabir d’anglais et de français, veut nous faire croire que tout est nouveau sous le soleil. Là encore, l’opportunisme est de rigueur. Les Emmanuel Macron (car Emmanuel Macron est tout autant une forme qu’un individu) ont compris que toute défense de valeurs (sous les termes du progressisme ou du conservatisme) est faible car toujours susceptible d’être critiquée. Ce qu’il veut imposer ce sont des schémas de pensée acritiques (sur lesquels la critique n’a plus de prise) car indifférents et flous. Cela suppose, comme je l’explique, qu’il soit capable d’une grande plasticité intellectuelle et d’une indifférence quasi totale à ce qu’il raconte en fonction du public concerné.
– Qu’est-ce qui se cache derrière le mot progressisme d’Emmanuel Macron ?
Dans le fond, Emmanuel Macron n’a plus besoin de poser la question du progrès qui peut être elle-même sujette à caution : progresse-t-on réellement ? pour aller où ? pour quelles finalités ? Il la remplace par celle de l’efficacité. C’est ce qu’il écrit dans son livre au titre ubuesque « Révolution » : « la politique doit être efficace ». Pour reprendre une formule de Max Weber dans Le Savant et le politique, Emmanuel Macron est « l’histrion » de l’efficacité qui entérine l’anéantissement du politique, à savoir, Pour Weber, « la passion au sens de l’attachement à une cause ». D’où le titre de mon livre en écho : Le Néant et le politique.
– En imposant un type de pouvoir concentré autour de sa personne, n’envoie-t-il pas des signaux aux conservateurs ? 
Emmanuel Macron est un sémaphore. Il envoie des signaux à tout le monde, c’est justement cela sa fonction. C’est aussi pour cette raison qu’il fait le vide. Je suis intimement convaincu qu’il n’a aucune conviction. C’est une sorte de caméléon qui correspond bien à la situation des élites économiques dirigeantes pour qui la politique n’est plus qu’une variable d’ajustement, un cadre neutralisé dénudé de toute réflexion sur les valeurs et les finalités de l’action politique pensée comme action sur un marché. C’est l’homme politique de la dépolitisation consommée. Ces nouvelles stratégies de pouvoir demandent aussi d’autres outils d’analyse. Les intellectuels de la génération précédente trouvent dans Emmanuel Macron ce qu’ils veulent bien y voir (un néo-protestantisme, un retour des Lumières etc.) sans mesurer à quel point ils sont eux-mêmes victimes de cette stratégie du vide. Cette stratégie repose bien sur la personne d’Emmanuel Macron dont la manière de gouverner n’est pas plus démocratique qu’il n’est un « philosophe en politique ».

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  • Si vous tenez à savoir ce que Pascale Tournier a fait de mes réponses, il vous faudra verser un euro. Je me charge d’allumer la petite bougie.