La digestion du néant
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(Fête du vin nouveau et brocante aux Chartrons, 21 octobre 2017)
« Emmanuel Macron a un projet, le nier serait absurde : nous ne lui répondrons que par une vision alternative cohérente, claire, imaginative et efficace. Si nous nous contentons de répéter que Macron porte une politique du vide, le risque est que nous ne soyons, en réalité que l’opposition au néant. »
François-Xavier Bellamy, Valeurs actuelles, 22 octobre 2017.
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- Je suis toujours stupéfait de constater à quel point des esprits vifs peuvent se montrer aussi inconséquents en face du vide. On ne répète pas le vide et la politique qui irait avec. On ne le montre pas comme un trophée de chasse avant de payer sa tournée « alternative », « claire » et « cohérente ». On ne le dépasse pas en appuyant sur l’accélérateur comme on double un poids lourd sur l’autoroute des vacances. Le vide, ça se digère. Une longue rumination, pénible, douloureuse. « N’être que l’opposition au néant » ? Il me semble, cher ami, que vous sous-estimez le travail du négatif. L’assimilation du vide précède toute réponse. Sa digestion est un préalable. Si seulement nous étions capables d’être cette opposition. Si seulement nous avions encore les capacités de nous opposer. Hélas, il nous manque une partie du courage qui nous ferait aller au bout du néant pour en mesurer l’actuelle profondeur. L’ampleur de la tâche si vous préférez. Bien sûr, un homme politique se doit d’être efficace quand on part du principe (discutable) que l’efficacité se mesure en terme de rendement matériel, d’économie budgétaire et de croissance. N’est-ce pas le crédo d’Emmanuel Macron, « rendre la politique efficace » ? A défaut d’une bonne digestion, le vide, en écho, répondra au vide.
- C’est de la publicité, de la com, du vide… etc. Ces formules sont devenues à ce point banales qu’elles se dupliquent elles-mêmes. C’est certainement cela que François-Xavier Bellamy a en tête. Publicité de la publicité qui se dénonce elle-même, com de la contre-com, vidange du vide. Le risque n’est certainement pas que nous soyons « l’opposition au néant » – ce qui est, en partie, le sens du travail de digestion, une finalité des plus lointaines, la pointe de l’œuvre critique – mais que nous pensions nous en sortir à si bon compte. Comme si le constat en vacuité était un simple état des lieux avant l’occupation, sous un nouveau vocable, du local politique fraîchement repeint. Les angelots, culture et tradition, débarquent sur la place avec moult breloques. Il constatent le vide, garde le chèque de caution et présentent leurs étals de valeurs tradi. Vous trouverez ces marchands, à Bordeaux, au quartier des Chartrons. Ils parlent bas, bien mis, gominés, barbes fraîches, vélos électriques, ont des valeurs mais ils créent peu. L’observation hier de ce vivier, avec un ami qui se destine à soigner les corps malades en concurrence avec Google Health, un médecin, nous oblige à faire un autre diagnostic. Les opposants au néant ne sont pas de sortie. L’effort est d’une autre nature, Macron ou pas Macron : limiter les tensions et s’efforcer de jouir dans les limites de la matérialité bien pensée. Les vieilles nippes sont en promo, profitez. S’efforcer seulement. Sans grandes tensions de l’âme, surchargés de bibelots, la jouissance est molasse. Disons qu’elle jouit à peine.
- L’opium culturel tient lieu d’analgésique. Il est un aménagement de la faiblesse à se situer contre. Ce qui manque essentiellement de vie, fut-il artificiellement vieilli en fûts de chêne et de hautes cultures, ne s’oppose plus à rien. Ruminant cette formule – « le risque est que nous ne soyons en réalité [je souligne] que l’opposition au néant » – nous évaluons sa force. Voilà ce que nous voulons être, le désaccord fondamental, le contraire d’un aménagement « efficace », « cohérent », « alternatif » à Emmanuel Macron ou à d’autres. Tout sauf la léthargie, le vin nouveau sucraillon qui dérange les selles sans aiguiser l’esprit. Des spiritueux plus goétiques. de quoi faire face au néant que les hommes nouveaux traitent par dessus la jambe comme un bilan comptable.
- De quel risque parles-tu Xavier-François Bellamy ? Ouvre les yeux, mon ami philosophe (puisque nous le sommes tous), estime à bonne pesée les états d’inconscience du collectif qui te fait face. Vois-tu, dans tout ceci, une « opposition au néant « ? Ce mépris « hypocondriaque de soi-même » dont parle Nietzsche, le devin décadent, inhibe toute forme de rejet. Nous sommes d’accord, il faut bien un programme pour régenter les masses mais sans une bonne digestion, le vin nouveau des Chartrons et sa demi-fermentation artisanale – ni trop critique, ni trop peu – te restera longtemps sur le bide. Les grands mots, pourquoi pas, le vide nous sommes d’accord, les constats sont connus mais la suite m’inquiète si tu ne prends pas au sérieux le néant que nous sommes devenus. Nous digérerons encore l’avènement Macron et certains se pressent déjà pour écumer les prochaines brocantes. Avant c’était le vide, déballez vite les nouvelles babioles. Non, Bellamy, nous digérons encore Macron. Le travail est lent, difficile, écœurant aussi. Il suppose le concours de toutes nos forces psychopathologiques. Le négliger nous condamne à un vide réactif univoque, quel que soit le parti.