Dr Enthoven, légiste

Dr Enthoven, légiste

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  • « Je ne demande que le silence que les morts appellent. » Ainsi s’achève la chronique matinale de Raphaël Enthoven à propos de la couverture des Inrockuptibles mettant en scène Bertrand Cantat. Une citation de Robert Badinter. Mais avant sa chute, le quidam encore barbouillé de mauvais café tiède aura droit à une description par le menu des stigmates corporels de la dépouille mortelle de Marie Trintignan, entre 8h39 et 8h41 sur Europe 1. L’emphase est magnifique, les épithètes choisies au bloc : « dix-neuf coups dont quatre aux visages et pour n’avoir appelé les secours qu’au petit matin. Mais les coups c’est cool, c’est rock and roll. » Le gargarisme morbide, le bain de bouche au sang caillé perturbent la descente du café tiède. Pasolini, dans Salo,  aurait sûrement accompagné ça d’un début d’érection matinale, en slip, dans la cuisine.

 

  • Sous couvert de morale de l’info, la prêtrise post-mortem, pardon post-moderne, entérine le glauque, valide le dégueulasse, paraphe le morbide. Morale de l’infâme.  Jouissance du verbe, extase de l’indignation, prurit d’épithètes. Le sermon, faussement improvisé, cherche le combo parfait entre l’hémoglobine et le trait, tâtonne dans la chambre froide. L’indignation spectacle, qui dit se taire quand elle ne cesse de parler, a tout de la mise en scène. Elle s’aime parlant de « crâne défoncé », se plaît à décrire, avec force détails, les os qui craquent et le cadavre qui gît. La morgue est polysémique.

 

  • Raphaël Enthoven fait des effets avec la mort d’une femme. La couverture des Inrockuptibles n’est qu’un prétexte, une occasion. C’est cela qu’il faut retenir. Le reste n’est que bruits de bouche et de langue. Sa chronique matinale n’est pas sans rappeler ce titre génial de Philippe Muray : Moderne contre moderne. Moderne, l’impudeur, l’étalement indiscret, l’obscène ; moderne encore, l’impudeur d’une dénonciation qui se paye de mots et d’effets, l’étalement indiscret des descriptions sordides, l’obscène indignation. Robert Badinter a raison : « Je ne demande que le silence que les morts appellent. » Hélas pour eux, hélas pour nous les vivants, le spectacle ne l’entend pas de cette oreille. Il se montre, s’affiche, s’exhibe. La couverture des Inrockuptibles, la chronique de Raphaël Enthoven sur Europe 1 à 8h39 rivalisent sur un terrain que nous connaissons bien : les spectaculaires affiches et les indignations spectacles. Cette modernité-là compte peu de détracteurs.

19 octobre 2017 –   J’ajoute à ce texte la couverture de Elle, « réponse » des plus « légitimes » à « l’obscénité » de la une des Inrockuptibles. Le montage qui associe ici les deux unes est évidemment du meilleur « effet ». Du Muray dans le texte.

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