Miracle Macron

Miracle Macron

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  • Voici le champion,
  • Emmanuel Macron,
  • virage branlette
  • et communication.

 

  • Droite financière,
  • gauche libertaire,
  • vote tamagotchi
  • du nouveau millénaire.

 

  • Acte ou vérité,
  • fais toi tripoter,
  • par le verbe creux,
  • de l’ange asexué.

 

  • Cadres LGBT,
  • quadras anémiés,
  • venez vite souffler,
  • dans la super poupée.

 

  • Attali,
  • Bayrou,
  • Fais des risettes aux deux vieux gourous.

 

  • Bayrou,
  • Attali,
  • Fais moi une place dans ta galaxie.

 

  • Parasites mondains,
  • Médiatiques et vains,
  • mettez vous en marche
  • pour tout foirer demain.

 

  • Idiots et bouffons,
  • débiles et bidons,
  • réveillez-vous tous
  • c’est Emmanuel Macron.

 

  • Plus c’est vide et faux,
  • plus les gens sont beaux,
  • portent des ballons
  • et votent comme des veaux.

 

  • Voici le champion,
  • Emmanuel Macron,
  • virage branlette
  • et communication.

 

 

Jean-Luc Mélenchon et les nantis Lumières

Jean-Luc Mélenchon et les nantis Lumières

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« Le choix de notre génération, c’est de poursuivre le rêve des Lumières parce qu’il est menacé. »

Macron, 19 avril 2017, Nantes

………

  • Sur le bureau, le hors-série de Philosophie magazine – 7,90 euros, le prix d’une pinte de bière en terrasse au soleil. Dans le jargon, du matériel pour la critique de la critique. Le titre est alléchant : « Les anti-lumières. Ils ne croient pas au progrès. Ils méprisent la démocratie. Ils sont de retour. » Les noms : « Barrès. Baudelaire. Chateaubriand. Heidegger. De Maistre. Maurras. Nietzsche. Sade. Carl Schmitt. » L’illustration : Le voyageur contemplant une mer de nuage de Friedrich Caspar David, un classique. Page 3, dans la préface du magazine en question intitulée « Avis de tempête », le rédacteur en chef, Sven Ortoli conclut : « C’est la peur du vide qui lie l’abîme au sommet. Et si les anti-Lumières ont encore tant d’échos aujourd’hui c’est parce qu’ils disent cette peur de la fragmentation et du déracinement ; cette peur d’êtres devenus, selon le mot de Lukacs, des sans-abri transcendantaux. Entendre cette peur, c’est défendre les Lumières. Et la démocratie. »  La messe est (déjà) dite : il s’agit donc d’entendre les anti-Lumières qui méprisent la démocratie pour défendre les Lumières et la démocratie. Je regrette déjà ma pinte au soleil.

 

  • Samedi 16 avril, Jean-Luc Mélenchon réunissait, autour de son nom et de son verbe, soixante-dix mille personnes à la prairie des filtres à Toulouse. Des gens. J’y étais avec un ami. D’abord par nostalgie, par goût de la critique ensuite. C’est en effet dans l’herbe de la prairie des filtres à Toulouse que j’ai découvert l’Ethique de Spinoza, lu L’essence du christianisme de Feuerbach, annoté, sur un banc, à quelques mètres de la Garonne, de nombreux dialogues de Platon. Magnifiques souvenirs d’une licence de philosophie à l’Université du Mirail, de ce temps libre entre deux cours, de ces plages vides que la lecture remplissait si bien. Je découvrais, volontairement seul, la puissance de l’esprit. Les professeurs de philosophie que j’ai pu rencontrer depuis m’ont tous fait part, avec une certaine nostalgie, du charme évanoui de leurs premières découvertes philosophiques. A la prairie des filtres, non loin du Pont neuf – le pont le plus ancien de la ville – j’ai compris que la nouveauté du jour était déjà en ruine à côté des textes de Platon ou de Nietzsche. C’est là aussi que j’ai su clairement que j’enseignerais la philosophie afin de transmettre à d’autres ces trésors de puissance imprimée.

 

  • Vingt ans après, dont dix-sept à enseigner la philosophie, le meeting de Jean-Luc Mélenchon avait pour moi des allures de pèlerinage. Un pèlerinage à rebours. Inutile de chercher ce jour-là un banc libre et isolé. « Un seul troupeau, tous sont égaux » – Nietzsche. Curieux troupeau tout de même. Qu’aurait pensé Platon de tous ces φ ? Affiches, autocollants, boudins gonflables, drapeaux, jusqu’au φ géant projeté sur la scène de l’orateur comme les objets artificiels le sont dans la caverne du Livre VII de la République ? Du discours ensuite, de cette référence à la philosophie grecque, aux origines de la démocratie sur un grand écran à simulacres. Tous ces yeux tournés vers la scène. Tous ces bras portant des φ multicolores. Toutes ces oreilles attentives qui apprennent que Giordano Bruno fut brulé il y a quatre siècles, à Toulouse, pour des histoires de scarabées et d’univers infini. Pas un bruit, aucun chahut pendant la leçon dans cette classe surchargée. Il m’a suffit pourtant d’un petit effort d’imagination pour repenser à ma lecture de Platon, il y a vingt ans, à deux pas de cette scène politique. Non pas pour me demander sottement si Mélenchon était un sophiste ou un philosophe mais pour me rappeler, en pratique, qu’il n’y avait jamais eu hier de politique sans éducation et qu’il n’y aura pas demain d’éducation sans une forme de transcendance. Un air de Platon et de Gorgias chez Jean-Luc Mélenchon. Un mélange peut-être. Le φ de sa campagne électorale n’est pas simplement un logo facile à dupliquer qui évoquerait, en clin d’œil,  les origines grecques de la démocratie mais une contestation par le signe de la prétention révolutionnaire de faire table rase. Quoi de plus conservateur que d’en appeler aux grecs anciens ?

 

  • Le discours de Jean-Luc Mélenchon n’est justement pas révolutionnaire mais romantique utopiste. Révolution ! – dois-je le rappeler ? – c’est Emmanuel Macron. Contrairement à ceux qui sont en marche vers leur propre néant, il met en avant les ruines du passé, un autre lieu, il s’accroche à la possibilité utopique d’élaborer encore, depuis notre fond gréco-occidental, une transmission qui ne soit pas simplement une soumission au présent. En ce sens, son discours touche nécessairement tous ceux qui ont encore suffisamment de jugeote pour comprendre que les progressistes du jour font désormais commerce de l’uniformatisation et de la désintégration du monde commun sous couvert d’un jugement éclairé pour rembourser la dette. Ce en quoi Emmanuel Macron, la fausse queue,  devrait être ciblé comme le véritable ennemi de la démocratie. Au lieu de cela, il en devient le héros, sous les coups répétés d’une mise en spectacle médiatique devenue l’ennemi mortel de la pensée.

 

  • Jean-Luc Mélenchon – bien trop rond sur le sujet – s’il a retenu la leçon des grecs, devrait être ici beaucoup plus critique. Il reste un politique dont le discours n’échappe pas complètement au clientélisme. Son φ serait plus signifiant s’il n’était pas simplement une évocation facile de la démocratie grecque mais un rappel des exigences de la philosophie dans la cité. C’est philosophiquement que Macron, et sa suite de fossoyeurs de la transcendance politique, doit être ridiculisé – comme le divin Socrate a pu le faire en son temps face aux ennemis démagogues de la justice dans la cité. C’est encore philosophiquement que les outres vides de la communication d’ambiance doivent être humiliées – car les anguilles sont de plus en plus difficiles à réfuter avec les armes conventionnelles de la raison critique. C’est toujours philosophiquement qu’il faut comprendre pourquoi celui qui introduit un écart entre l’être et le devoir être fait figure aujourd’hui, sous le nom d’extrême, de dangereux ennemi de la démocratie.

 

  • Peter Sloterdijk, dans le même magazine, donne un début de réponse à ce renversement complet : celui qui s’efforce de penser encore à partir d’une tradition passe pour un dangereux extrémiste quand les plus creux promoteurs de la soumission au service d’eux-mêmes font figures de démocrates tempérés. A la question (douteuse) de savoir si nous assistons à « un retour au sommeil de la raison », Sloterdijk répond : « Je crois que le grand problème aujourd’hui n’est pas cette fausse conscience dont parlait Adorno, mais plutôt la fatigue, la paresse et la résignation : tous les outils critiques sont à notre portée, mais on ne s’en sert plus. » S’en servir, c’est prendre le risque de l’isolement, le risque (dérisoire cela dit en passant) de ne pas avoir de « critique médiatique », comme me le rappelait Maxime Catroux responsable sciences humaines chez Flammarion. Ceux qui pourraient s’en servir – car il faut tout de même quelques compétences – préfèrent de loin occuper des postes subventionnés d’animateurs médiatiques critiques ou faire fructifier une spécialisation universitaire chèrement acquise. Ce sont les nantis Lumières. Pour eux, Sloterdijk ajoute : « On reste dans une pénombre intellectuelle. On se nourrit de rumeurs, d’opinions vagues. Cette démoralisation me paraît le véritable ennemi. C’est un fatalisme post-historique qui s’appuie sur la conviction qu’on a tout essayé, que rien n’a abouti, et qu’on doit désormais laisser faire. »  Le progressisme est aujourd’hui l’autre nom de ce laisser faire. Le progressisme est notre nouveau fatalisme.

 

  • Les nantis Lumières sont les impuissants malins du nouveau monde. Ils n’ont plus aucune force. S’ils bavardent encore dans le micro, aucun souffle ne sort de leur voix. Ils observent le tribun utopiste et jugent sa faconde comme une déviance suspecte. Une menace. Quant au φ, il représenterait pour eux un snobisme hermétique. Leur raison critique, usée jusqu’à la corde, décèle les germes d’un autoritarisme latent. Ils préfèrent de loin un angelot asexué qu’une parole incarnée. Beaucoup moins inquiétant. Fins connaisseurs des échecs du passé, ils vous rappellent 1983, 1968, 1917. Les nantis Lumières sont revenus de tout. Ils sont les grands comparants et vous proposent d’entendre la peur des anti-Lumières pour aller de l’avant, de mettre un peu de noir dans le blanc et « en même temps » (Emmanuel Macron) du blanc dans le noir. Les fantaisies platoniciennes de Jean-Luc Mélenchon, avec son φ et son scarabée, sont autrement plus réjouissantes politiquement que le barbouillage marketing et les mises en dette de ces âmes grises.

 

« L’enjeu est donc d’inventer un récit qui incorpore la raison critique et qui soit vraiment habitable. »

Peter Sloterdijk, avril 2017

 

 

 

 

Hitler, Staline ou Macron

Hitler, Staline ou MacronUn-ane-enseignant-les-Ecritures-aux-eveques[1]

  • Je m’inquiète. L’univers moral d’une large majorité de bacheliers se divise déjà en deux camps : d’un côté la DDHC (déclaration des droits de l’homme et du citoyen version logo et tee-shirt) ; de l’autre Hitler. Cette partition est claire, entérinée par l’institution et fait partie de portefeuille de compétences bachelier souhaité par le ministère. La soudaine percée de Jean-Luc Mélenchon risque pourtant de perturber ce bel ordre. En effet, l’élève devra désormais s’orienter entre Hitler, Staline et un troisième, le représentant officiel de la DDHC. Cette élévation brutale du niveau général nous fait courir le risque d’une désorientation des repères. Combien de directives, de B.O., de lettres de cadrage ont été nécessaires pour mettre de l’ordre dans l’univers moral de cette jeunesse à la dérive ? Je dois l’admettre,  les résultats sont à la hauteur : la DDHC, oui ; Hitler, non. Combien faudra-t-il demain de plans de formation, de lettres de mission, d’audits sur l’évaluation pour arriver à atteindre cet objectif humaniste de premier ordre : Hitler, non ; Staline, non ; la DDHC, oui ? Sans moyens supplémentaires, sans un effort colossal pour l’école de l’égalité citoyenne humaniste, je crains que ce nouvel objectif soit inaccessible.

Urne anarchiste

Urne anarchisteimage009[1]

  • Le mot anarchie ne désigne aucune doctrine précise, rien qui puisse être logé dans un système de propositions fixes. « C’est difficile à expliquer, l’anarchie… Les anarchistes eux-mêmes ont du mal à l’expliquer. Quand j’étais au mouvement anarchiste – j’y suis resté deux ou trois ans, je faisais Le Libertaire en 45-46-47, et je n’ai jamais complètement rompu avec, mais enfin je ne milite plus comme avant – , chacun avait de l’anarchie une idée tout à fait personnelle. C’est d’ailleurs ce qui est exaltant dans l’anarchie : c’est qu’il n’y a pas de véritable dogme. C’est une morale, une façon de concevoir la vie, je crois… » Du Brassens.

 

  • Pour Proudhon, Qu’est-ce que la propriété ? (1840), l’anarchie, c’est le refus de toute autorité. A moins qu’on aille chercher Max Stirner et son Unique (1844) qui expose les principes de l’individualisme anarchiste. Faut-il remonter jusqu’à la révolution française, au Christ, à Diogène de Sinope ? Comme le note Claude Harmel dans son Histoire de l’anarchie, « Si l’on rattachait à la lignée anarchiste tous ceux qui se sont révoltés contre le pouvoir, contre l’idée du pouvoir, l’histoire de l’anarchie se confondrait avec l’histoire des hommes : elle serait l’envers de l’histoire universelle, et elle appellerait le sociologue bien plus que l’historien. » (1) Difficile d’assigner en effet à l’anarchie un contour fixe dans la mesure où le principe anarchiste échappe, justement par principe, à toute détermination.

 

  • La contestation du pouvoir est une idée moderne. Pour qu’elle apparaisse, il aura fallu que les liens sociaux, les hiérarchies instituées et les différents étages de la domination perdent leur évidence. Si les idées anarchistes apparaissent au XVIIIème siècle, c’est que l’Etat perd progressivement son caractère sacré (2). Le pouvoir hérité ne va plus de soi, la soudure entre le divin et le politique se fragilise. La naissance de l’anarchie comme acratie repose alors sur une réappropriation l’homme. La désacralisation sociale est son terreau. Cette désacralisation religieuse et politique trouve un des ses aboutissements chez Stirner : ne resterait que l’Unique, le moi. Mais l’Unique n’est-il pas lui-même une « abstraction inhérente aux individus isolés » ? (3) Que reste-t-il une fois la désacralisation poussée à son terme ?

 

  • L’Unique pour Max Stirner, le moi irréductible ? L’ensemble des rapports sociaux pour Karl Marx ? Prises l’une sans l’autre, les deux positions sont intenables. L’hypothèse communiste est l’aboutissement logique de la thèse de Marx, sa réalisation politique. Mais son corollaire est implacable : il faudra nécessairement en passer par une prise de pouvoir, par une situation de domination. Quant à la thèse de Stirner, prise à la lettre, elle brise en mille morceaux les armes de la critique. Plus de rapports sociaux mais un signifiant fétiche : le moi. Que devient la thèse de Karl Marx instrumentalisée par un pouvoir qui m’écraserait ? Que devient la thèse de Max Stirner sous l’aplatissement consommé de la société des moi-je ?

 

  • Reprenons Engels à propos de Stirner : « C’est bien autre chose de s’occuper des choses réelles et vivantes, de processus historiques et de leurs résultats que de s’occuper de toutes ces chimères« . Quel fut le résultat réel et vivant de la désacralisation de l’homme ? Il est passablement naïf de voir dans l’échec historique du communisme la première esquisse ratée d’une hypothèse qui en sortirait indemne. Ce qui est en question, c’est toujours  le pouvoir et son institution. L’hypothèse communiste aux mains du pouvoir aboutit au pouvoir et certainement pas à la réalisation historique de l’hypothèse préalable. Mais la remarque vaut tout autant pour la thèse de Stirner. Un salaud capable d’imposer son ordre égotiste ne fera là que réaffirmer la tautologie du pouvoir : j’ai le pouvoir parce que j’ai le pouvoir. Par conséquent l’idée anar se situerait quelque part entre Stirner et Marx.

 

  • L’anarchiste, dans cette danse des millénaires, c’est le méchant, l’enragé, l’inconscient de la première heure. Le bouc émissaire. Questionne pour le jeu le libéral et il te répondra bien vite que tout cela n’est qu’utopie et chimère. Et pourquoi ? – tu as peut-être gardé quelque chose de l’enfant qui ne lâche pas aussi facilement une bonne question. Parce que c’est dans la nature de l’homme. A l’instant de mettre le pouvoir sur le tapis, notre bon libéral de salon te servira un peu de Hobbes, du loup pour l’homme, de l’apéritif à la sieste. Un vrai festin de philosophes tu verras.

 

  • Montre moi plutôt l’ordre qui n’a pas besoin de petits chefs. Montre moi des rapports sociaux où les loups de Hobbes rentrent à la bergerie. On s’empresse de pointer la menace du chaos mais on rechigne à nommer ceux qui l’exploitent. Le tropisme de perchoir est tenace. Et le catéchumène de s’inquiéter : – et si, oh grand Dieu, les ladres finissaient entre eux par trouver un accord fraternel, une façon de dire et de faire qui viendrait d’eux et non de moi ? Angoisse, plus de clients, plus de perchoir.

 

  • Alors le libéral menace. Il caquette citoyenneté, valeurs et humanisme. L’anarchie ? Ouvrez un peu les yeux : des individualistes à tous les étages, des abrutis, des incultes, du chaos en bas, en haut, au milieu, un désordre permanent. L’anarchie, mais quelle sombre farce ! Mais le désordre est-il une cause ou un effet. Si tu me souffles, balbutiant de terreur le sac serré dans tes petits doigts par peur de te le faire faucher, une cause, je te réponds avec Spinoza que seul Dieu seul a le privilège d’être cause de lui-même. Tu te rabats sur l’effet ? Effet de quoi ? De l’anarchie ou de la gestion cynique des rapports de force profitables ? Chose étrange, plus l’affaire va mal, plus l’anarchie a mauvaise presse.

 

  • Dessine moi un anarchiste. Non, celui-là est malade, trop bouffi. Non plus, celui-là a une grosse marque publicitaire sur le front. Mais non, cet autre encore prend sa paresse pour une révolution. Dessine plutôt une boîte, il se chargera des trous.

……………….

(1) Claude Harmel, Histoire de l’anarchie, Ivrea, Paris, 2005, p. 13.

(2) Voir Claude Harmel, op. cit., Chapitre premier, Les tendances anarchistes dans la philosophie du XVIII siècle.

(3) Karl Marx, Thèses sur Feuerbach.

Crime parfait

Crime parfaitJeanBaudrillard1[1]

  • « Politiciens et publicitaires ont compris que le ressort du gouvernement démocratique – peut-être même l’essence du politique ? – était de considérer la stupidité générale comme un fait accompli : Votre connerie, votre ressentiment nous intéressent ! Derrière quoi se profile un discours plus sournois encore : Vos droits, votre misère, votre liberté nous intéressent ! On a dressé les âmes démocratiques à avaler toutes les couleuvres, les scandales, les bluff, l’intox, la misère, et à les blanchir elles-mêmes. » (1)

(1) Jean Baudrillard, Le crime parfait, 1995.

Macron et les bulles d’air du MEDEF

Macron et les bulles d’air du MEDEF

01[1]Laurence Parisot (sublimée par le peintre) et les helpers d’Emmanuel Macron

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  • En s’approchant vaillamment des moulins à vent, alors qu’il transperçait de sa lance une aile de géant, Don Quichotte roula au sol. Les caprices de l’air rendaient inabordable le morceau de voilure. Mais Laurence Parisot fait mieux que le sage Feston : elle transforme les géants en bulles d’air. Plus redoutable encore. « Il paraît bien, répondit don Quichotte, que tu n’es pas fort versé en ce qui est des aventures : ce sont des géants, et, si tu as peur, ôte toi de là et te mets en oraison, tandis que je vais entrer avec eux en une furieuse bataille. » Géants, moulins à vent ou bulles d’air, les choses de la guerre sont changeantes.
  • Laurence Parisot nous proposait déjà en 2007 – bien avant la grande marche du séminariste Macron – quelques leçons de secourisme. Tout commence par l’impôt sur les portes et les fenêtres. Promulgué sous le Directoire, en 1798, cet impôt était supposé s’appliquer en proportion du nombre de portes et fenêtres donnant sur les rues, cours ou jardin. Les propriétaires devaient s’acquitter de cet impôt facilement quantifiable depuis la voirie. « L’intention du législateur était claire : il s’agissait de créer un impôt progressif en fonction de la richesse du lieu. » (1) Conséquences ? « Les citoyens ordinaires se mirent à condamner autant de portes et de fenêtres qu’ils le pouvaient, et les architectes, à construire des bâtiments aux ouvertures de plus en plus petites. La trace de cet impôt est encore visible aujourd’hui, et il n’est pas rare de deviner sur les plus belles façades l’emplacement de fenêtres qui furent autrefois purement et simplement bouchées. » (2) Cible des mouvements hygiénistes au XIX siècle, l’impôt fut aboli en 1926.
  • Cette histoire de portes et fenêtres fait partie du grand vivier des ritournelles édifiantes du MEDEF. Après le grandiloquent « la culture c’est la vie » des années 80, en marche pour le tout nouveau tout beau « l’entreprise c’est la vie ». La thématique de l’oxygénation devrait convaincre les derniers psychorigides. La « flexibilité », avec le « dynamisme« , faisait déjà partie du grand concert entrepreneurial des années 80. Dans la TepSeg (la langue Tapie Séguéla), la flexibilité était le grand sésame, l’argument imparable à opposer à tous les bâtisseurs de rigide. Cette période, cela dit en passant, accompagnait une désindustralisation massive de la France dont nous payons aujourd’hui le prix.
  • Avoir « l’esprit flexible« , c’est s’adapter au monde tel qu’il pousse. Mais rien ne pousse sans oxygène. Alors, quand la France « s’exalte à défendre un modèle social à bout de souffle », décrète Laurence Parisot (3), elle respire mal et met en danger les plus chétifs. « Cela semble anodin d’abord, on s’y habituerait presque, mais les hygiénistes du XIX siècle ne s’y étaient pas trompés : quand on ferme les portes et qu’on bouche les fenêtres, les catastrophes s’enchaînent. » (4) On a compris, fini les rapports de force, exit la misère du travail aliénant ou le début d’une réflexion sur la profonde nullité de certains emplois de service – les fameux deux emplois décents du programme d’Emmanuel Macron. Tout se mesure désormais en quantité d’oxygène à humer, ce bien commun.
  • « Nous le savons tous indistinctement dès notre plus jeune âge, la respiration est une fonction première. Elle nous tient en vie, et plus encore. Respirer, c’est réaliser l’échange entre l’intérieur et l’extérieur, c’est faciliter le brassage entre le vieux et le neuf, c’est s’oxygéner le corps et l’esprit, c’est se renouveler, c’est vivre et revivre. Qui n’a jamais éprouvé le besoin de quitter au plus vite un espace où l’air était vicié ? Qui n’a jamais souhaité trouver un lieu où régnera un autre climat, moins lourd, moins pesant, moins conventionnel, plus fluide, plus créatif, plus libre. » (5) De l’art éthéré de la synthèse de tous les lieux communs. « Vivre » et « revivre », vivre pour commencer ; le « brassage », soupe primitive de toutes les créations, fusion de soi dans le grand corps de l’entreprise, ventilateur ; l’aérien, le léger, le volatile, le « moins lourd » ou le « moins pesant », mythologie de la brise, air conditionné, ductilité des transports, vaporisation des charges, des poids, des boulets et des ligatures. Avant d’être une superstructure chapeautée par un grand Sujet zénithal (Etat, Progrès, Entreprise), l’idéologie ça se hume, ça se respire à pleins poumons. Et puis ça gonfle les baudruches de la communication de bazar. Aujourd’hui, Emmanuel Macron
  • Donc « l’entreprise c’est la vie ! Et au commencement de la vie… est la création. » (6) Le grand démiurge de cette auto-poïesis entrepreneuriale reste le chef d’entreprise, croisé d’un nouveau monde mis en scène dans une rubrique justement intitulée : « citoyens du monde ». « Entrepreneurs-aventuriers, entrepreneurs-pionniers, entrepreneurs-inventeurs ou entrepreneurs-témoins de ce monde inédit, nous aimerions transmettre aux nouvelles générations la même capacité d’émerveillement qu’ont donnée les maîtres et les maîtresses d’école, le même goût pour l’avenir, la même espérance dans le futur. » (7) A croire qu’il n’existe plus d’instituteurs et que l’émerveillement en blouse bleue est à ranger dans le musée des tableaux noirs demain échangés contre des tableaux interactifs. Quoi de plus juteux que le marché de l’éducation pour assurer la pérennité du réservoir client et votant. Dans ce messianisme, le premier franchisé venu pourra se rêver en instructeur du nouveau monde. Mais les nouveaux hussards du management n’émerveilleront pas en faisant découvrir les subtiles finesses de la géométrie du plan ou les espaces infinis qui effraient mais en assurant l’indiscutable promotion de quelques représentants de commerce soudain promus petits pères du peuple par la seule force de l’air.

………….

 

(1) L. Parisot, Besoin d’air, Paris, seuil, 2007, Préface.
(2) Loc.cit.
(3) Loc. cit.
(4) Loc. cit.
(5) Loc.cit.
(6) Loc. cit.
(7) Loc. cit.

Note matinale

Note matinale

  • La ministre de l’Education nationale nous parle ce jour des « failles de l’éducation à la citoyenneté » ? Il serait bon, avant de colmater les trous avec deux ou trois gadgets citoyens, de réaliser à quel point des pans entiers de l’intelligence et de la culture se sont tout simplement effondrés dans les lieux de savoir – entre les murs ? Ah bon, tu vois des murs ? A quel point les passeurs de textes et d’idées sont devenus les contrebandiers d’un système éducatif clientéliste et démagogique. Ces marginaux isolés, ces combattants de l’ombre, encaissent les coups quand on leur demande, sous directives ministérielles, d’élargir le « portefeuille de compétences » des élèves. Ils courbent le dos à l’occasion d’un audit sur l’aide personnalisée au lycée. Ils se terrent quand des directives les somment « d’enseigner aux élèves qu’ils sont tous égaux. » Après des années de lessivage pédagogique, de réunions d’ajustement, de recadrages, d’harmonisations, d’ententes, s’il tiennent encore debout, il trouveront peut-être la force irrespectueuse de ne surtout pas changer.

Le vote utile

Le vote utile

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  • Il ne suffit pas de voter encore faut-il voter utile. Tactical voting diront les plus malins. Pour les paumés en revanche, les dernières sondées indiqueront comment voter utile pour faire barrage aux extrêmes. A contrario, le vote inutile, dit aussi vote de plaisir ou d’agrément, ne fait barrage à rien et assure même la victoire du camp honni. Vote de collabo qui s’ignore, vote imbécile et coupable quand la menace gronde. Le chantage à l’utilité n’est pas propre à la démocratie médiatique spectaculaire marchande mais se retrouve dans de nombreux secteurs de la vie publique. Vous repérerez ainsi au premier coup d’œil les bureaux de postes inutiles dans les campagnes, les aides soignants inutiles dans les hôpitaux, les matières inutiles à l’école, les services inutiles un peu partout. « La philosophie, est-ce utile ? » Cette phrase rituelle, tenue pour profonde par l’élève qui la pose en début d’année,  fait de l’utilité le juge absolu de tout effort de pensée. Utile, on prend ; inutile, on zappe.

 

  • L’utilité se présente toujours comme une fonctionnalité neutre, désintéressée. Voter utile, c’est se placer ainsi au-dessus des conflits partisans, accepter de mettre ses convictions de côté pour servir une cause supérieure. Faire de nécessité vertu. Renversement dans lequel la fonctionnalité pratique prend le dessus sur toute considération de valeur. L’efficacité d’abord. Voter utile, c’est devenir enfin adulte en sachant classer les priorités. Ce qui fait du vote utile une étape transitoire vers la remise en question de l’utilité du vote. En effet, ne plus voter, autrement dit faire en sorte que des institutions modérées démocratiques citoyennes sociales et libérales se perpétuent sereinement, reste la meilleure façon de ne pas prendre le risque des conséquences néfastes d’un excès de votes inutiles. C’est bien fait, les sondées sont justement là pour cela. Contrairement à ce que répètent quotidiennement les cacatoès fraîchement sortis des écoles de journalisme de l’information utile, les sondées ont pour première fonction de rendre le vote inutile. Le matraquage opère. Jusqu’à abrutissement des masses indécises, les sondées dessinent les limites de l’utile et de l’inutile, cartographient le territoire politique de l’utile et du dérisoire.

 

  • Dieu est unique ; le diable est légion. Vote utile d’un côté ; vote utopique, romantique, de contestation, de rejet, de colère, de refus, de protestation, vote avertissement, vote sanction, vote en caoutchouc de l’autre. Le vote utile entérine l’existant. C’est un vote de validation qui paraphe la soumission à l’ordre des choses et des rapports de force en présence. Un oui franc et massif aux pourcentages et aux sondées du peuple. Vote de résignation malicieuse et d’acceptation rusée aux diverses  techniques de scénarisation du corps politique et de mise en spectacle du peuple. L’élection n’est un piège à con que pour celui qui croit que le vote changera quelque chose. Alors autant voter pour celui qui va gagner. Non?

 

  • Le vote utile sait à quoi s’attendre, il est déjà au-delà. Le dernier homme de Nietzsche et le vote utile ne font qu’un. Une définition s’impose : le dernier homme est celui qui votera utile le plus longtemps. Que le vote utile ne soit qu’une construction médiatique, qu’un consensus factice d’information-production de l’opinion publique, ne semble pas déranger outre mesure. Peu importe les généalogies et les pensées de derrière, les critiques maussades et les constats alarmants sur l’anéantissement du jugement. Le vote utile a pour lui la force de l’évidence et du bon sens. Les débats télévisés sont massivement suivis, les tweets tombent en cascade, la démocratie est bien vivante. Votons donc utile pour que tout cela dure encore longtemps.

Ne pénalisons pas les clients d’Emmanuel (Macron)

Ne pénalisons pas les clients d’Emmanuel (Macron)

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  • Les travailleurs du sexe suédois vous le diront, la pénalisation du client a considérablement augmenté le temps de négociation avant la passe : tarif, pratique et protection. Plus nous pénalisons les Valls, Bayrou, Delanoë, Le Drian, Estrosi, moins nous permettons à Macron de marcher pour la France, occupé qu’il sera à régler, entre deux portes, les détails techniques avant la passe. La pénalisation du client est une réponse trop idéologique à la prostitution politique qui risque de fragiliser en retour une offre de renouveau déjà soumise à la dure loi du marché. Dure, c’est le mot. Nous n’abolirons pas le plus vieux métier du monde en instaurant une police des mœurs à l’Assemblée nationale. Offrons plutôt au travailleur Macron une vraie protection, un statut solide d’auto entrepreneur de la tapine politique lui permettant d’exercer, pour le bien de tous, pendant cinq ans. Régularisons le secteur, ne faisons plus les vierges effarouchées. En deux mots, soyons modernes et en marche. Nous le savons, la prostitution politique est pour une large part une affaire de migrants, toujours sur les routes, à droite, à gauche. Pénaliser la demande, c’est courir le risque de le voir travailler dans l’ombre, à la merci des maquereaux et des macs ronds du CAC. N’oublions pas, enfin, qu’il y a, dans la condamnation du tapinage politique, une méfiance vis-à-vis de la politique dans son ensemble. Les jugements moraux sur cette forme de sexualité qu’est la politique ne sont pas sans évoquer les pages les plus raides de Kant ou de Saint Paul sur le sujet. Fortement médiatisé, le racolage politique ne veut pas dire pour autant que tout le monde s’y adonne. Loin de là. Mais l’homme est ainsi fait que quand une grande cocotte s’exhibe sur la place publique, elle attire l’oeil, de l’internet au trottoir. Elle aguiche. On la veut quoi.