L’humanisme Libé de David Vann
- Le libé des écrivains du 23 mars 2017 offre une tribune à une sélection d’écrivains. « A l’occasion du Salon du livre, 31 auteurs s’emparent de l’actualité », voilà l’accroche. Un de ces 31 auteurs se distingue en signant l’éditorial à la page 3, un dénommé David Vann. Cet écrivain américain se serait illustré aux Etats-Unis par son engagement contre les lobbies des armes et une nouvelle approche de la masculinité. C’est dire à quel point l’écrivain en question incarne bien les hautes valeurs de la gauche Libé. Le fait qu’il ait quitté les Etats-Unis et reçu en 2010 le prix Médicis étranger achève la construction de l’idéal type. Résumons : David Vann, un auteur vraiment trop Libé.
- Les présentations mondaines étant faites, nous pouvons passer à la lecture de l’éditorial en question. Il s’intitule : « Il est temps de tuer Dieu et la patrie. » Serait-ce possible ! Ce jeune quinqua trop Libé n’a donc pas entendu dire que Dieu est mort ! Tout commence par une confession. « Je suis heureux et honoré d’écrire l’éditorial de Libé aujourd’hui, particulièrement parce que mes romans sont existentialistes et que j’ai été très marqué par Sartre. Il n’y a peut-être jamais eu d’époque plus importante pour l’existentialisme que maintenant. » Je rappelle, avant de citer quelques sottises trop Libé signées David Vann, que Sartre, dans l’Existentialisme est un humanisme, distingue deux humanismes. Le premier, qu’il associe dans le texte au fascisme, prend l’homme comme fin en soi et valeur suprême. Il juge l’homme à partir des plus hautes valeurs, d’une mission. C’est le cas, pour Sartre, de Cocteau qui, dans son récit Le Tour du monde en 80 heures, fait dire à un personnage qui survole des montagnes en avion : « l’homme est épatant ». L’homme serait épatant car des hommes élèveraient, à tous les sens du terme, l’essence de l’homme au plus haut. « Mais on ne peut admettre qu’un homme puisse porter un jugement sur l’homme », ajoute Sartre. Entendons un jugement sur l’homme en soi.
- C’est pourtant ce que fait David Vann en distinguant les « masses populistes influencées par la religion » des hommes qui ont la « mission première de créer un monde sécularisé. » Des hommes, forcément athées, progressistes et libéraux, ont compris que « l’athéisme offre une porte de sortie » devant « l’absurdité récurrente des Trump et autres phénomènes nationalistes de droite tels que le Brexit, les Le Pen, Wilders, Grillo et compagnie. » Conclusion de l’éditorial : « Les supporteurs des apprentis dictateurs sont des gens normaux. Sur le plan démographique, ils sont plutôt plus vieux, blancs ruraux, pas riches, pas très bien éduqués et tout à fait religieux. Nous devons aller les chercher. Nous devons trouver des moyens de tuer leur Dieu et de tuer leur amour pour la patrie. C’est sans doute impossible, mais ça ne vous dit pas d’essayer? » C’est vrai ça, si nous allions, en compagnie de David Vann, un auteur trop Libé, tuer le Dieu et l’amour de la patrie des petits vieux blancs sous éduqués et pas très riches ? Peut-être que nous nous sentirions mieux après, plus détendus, moins « effrayés et désorientés. » Nous pourrions même convaincre les voisins de participer à la grande fête. Une petite virée façon Orange mécanique version existentialiste histoire d’éradiquer à jamais les « masses populistes » ?
- La religion, insiste David Vann, « sape tous nos efforts pour créer un monde ouvert, démocratique et pluraliste. » Ah bon ? Mais le vote Grillo ou Trump n’est-il pas l’expression d’un choix démocratique dans un univers pluraliste ? N’est-ce pas les efforts conjoints des démocraties occidentales qui permettent une telle variété de choix ? Tuer la patrie des sous-éduqués et le Dieu des petits vieux déclassés est-ce un meilleur modèle pour penser un monde ouvert, démocratique et pluraliste ? Il serait donc temps de tuer Dieu et la patrie ? Difficile, David Vann trop Libé, de tuer une idée qui fait office de dernière bouée en période de grande liquidation civilisationnelle. Je te propose plutôt de faire tourner en boucle les clips planétaires d’Avicii ou de David Guetta sur You Tube dans lesquels de jeunes métisses urbains friqués (éduqués, nous verrons plus tard) chantent les louanges de ce monde ouvert, démocratique et pluraliste en lisant David Vann dans Men’s Journal ou Esquire. Plus efficace.
- « C’est en poursuivant des buts transcendants que l’homme peut exister », écrit Sartre. Tuer Dieu et la patrie ne me paraissent pas des buts à la hauteur de la situation. Ils flattent sûrement une gauche intellectuellement paresseuse qui, à défaut de penser encore quelque chose, se venge de sa propre vacuité en cherchant à exterminer ceux qui ont encore le toupet de s’accrocher aux vieilles idoles. Une gauche qui confond existentialisme et sécularisation de sa propre bouillie, une gauche incapable d’interroger l’effondrement de la subjectivité humaine sans convoquer les ombres de Dieu. Une gauche crépusculaire, mondaine, ridicule, un humanisme de pacotille en bandoulière, une gauche tournée vers la célébration de son propre culte. Bref, l’humanisme Libé, « un humanisme dont ne voulons pas. » (Sartre, L’existentialisme est un humanisme).