Qui veut encore de la paix ?

Qui veut encore de la paix ?

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Le Havre après la guerre

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  • Hors du pacifisme, point de salut. Pacifisme de combat. Les mots ne tuent pas. Les bombes oui. La critique ne rase pas des villes contrairement aux Etats militarisés. Le pacifisme de combat a des ennemis. Innombrables. Celui-ci, par exemple, justifie les bombardements sur Alep au nom du réalisme politique et d’une fine causerie géopolitique, bien au chaud, tapotant sur son MacBook payé en quatre fois sans frais. Mort à crédit. Il écrit son nom sur l’ogive qui tombe sur la tête du frère de l’enfant mort. Ceux qui subissent la guerre sont les moins bavards. Ils se terrent, rampent, pissent le sang ou meurent. L’indignation est un luxe de spectateur. Un voisin paysan, il y a une vingtaine d’années, m’évoquait, les larmes aux yeux, l’instant précis, enfoncé à vie dans son crâne, où il tua un homme en algérie, un ennemi, pour sauver sa vie. Tout a été écrit sur la guerre, ses horreurs, ses humiliations. La destruction sans limite de l’homme, son anéantissement. La littérature est moins bavarde sur les connivences de chacun et de tous envers les causes de la guerre.

 

  • Le pacifisme, celui de Jaurès en 1914, de Gionot en 1938, est aux antipodes de la virilité guerrière qu’il est opportun d’afficher aujourd’hui dans les diners mondains. Avant de choisir un camp, il faut prendre le parti de la guerre. C’est justement ce parti que ne prend pas le pacifiste. Faire entendre sa voix dans le concert belliqueux, celui-là même que dénonçait Jean Jaurès dans les dernières lignes de son ultime article publié dans le journal La Dépêche le 30 juillet 1914 sous le titre « L’oscillation au bord de l’abîme. » « Partout le socialisme international élève la voix pour condamner les méthodes de brutalité, pour affirmer la commune volonté de paix du prolétariat européen. Même s’il ne réussit pas d’emblée à briser le concert belliqueux, il l’affaiblira et il préparera les éléments d’une Europe nouvelle, un peu moins sauvage. »

 

  • Mais sommes-nous prêts à payer le prix de la paix afin de préparer une Europe un peu moins sauvage ? Sommes-nous prêts à payer le prix de la vérité quand nous restons silencieux face à une nation alliée qui entre en guerre sous des prétextes fallacieux afin de punir par le feu les innocents de sa propre démence hégémonique ? Sommes-nous prêts à payer le prix de la liberté quand nous soutenons économiquement des régimes tortionnaires quitte à intenter, pour ne froisser personne, un procès à un journal satirique qui a eu le malheur de dessiner un Mahomet en pleurs sur sa couverture ? Sommes-nous prêt à payer le prix de la justice quand les contrats d’armements orientent en sous mains les choix diplomatiques d’une nation toute entière ? Sommes-nous prêt à payer le prix de la paix quand la paix se résume à la paix des commerces ?

 

  • Rares sont ceux qui soutiennent les conséquences de la guerre. Pour combien de pacifistes qui en refusent les causes ? L’homme préfère de loin la logique de la guerre en meute que la conscience esseulée de sa propre faiblesse. Les pluies de bombes ailleurs rassurent plus que les exigences de la paix ici. De la paix c’est-à-dire de la vérité, de la liberté et de la justice. Nos indignations sélectives sont les cache-misères de nos renoncements. Le renoncement de l’esprit arrive en tête. Il est la première digue rompue contre l’abrutissement collectif. Les tyrans n’ont pas besoin de Goethe ou de Shakespeare pour réveiller les belliqueux.  « Même dans les régimes de terreur, l’homme est plus sûr de lui que dans les fantaisies de la démocratie. » Si Emile Cioran a fini par renier ses écrits de jeunesse, ses constats restent : « La paresse de la pensée et la peur de s’isoler comme une monade solitaire le déterminent à accepter allègrement et avec une agréable résignation les impératifs et les commandes des dictateurs. » (1) Parmi ces impératifs, la guerre.  En guise de fantaisies démocratiques, le spectacle abruti d’une liberté pour rien. Que pèsent les animateurs de la démocratie spectacle face à la promesse de la guerre. Pas seulement pour la masse analphabète des zombies mondialisés djihadistes mais pour toutes les belles âmes raffinées qui se rachètent une énergie en se rangeant du côté du tyran viril qui fait l’histoire. Moindre mal nous dit-on. Si l’histoire est l’histoire de la guerre continuée, au pacifiste les miettes littéraires de la fiction. Emil Cioran, dans son délire contrôlé, tape juste une fois encore : « La démocratie est la plus grande tragédie des couches sociales qui ne participent pas directement à l’histoire. (…) La démocratie n’a pas pu faire d’elle un facteur actif de l’histoire, de sorte que la plèbe éternelle a été engagée dans une responsabilité pour laquelle elle n’avait aucune appétence. » Aucune appétence non plus pour le pacifisme quand le surarmement des consciences tient lieu de nouvelle identité collective. Surarmement par procuration, faible, débile, là où le premier autocrate venu fait figure de sauveur et de défenseurs des droits de l’homme contre le terrorisme mondialisé. Ceux qui combattent le pacifisme plus sûrement que les causes de la guerre sont les grands lessivés d’une liberté inutile, une liberté en trop. Ils ont désormais des intellectuels pour les seconder et des politiques pour les flatter. Les belliqueux ne veulent rien d’eux-mêmes. Ils avancent en tas, beuglent en groupes, vocifèrent en meutes, bandent en masse, crèvent en tas. C’est là le principal avantage des régimes autoritaires. Les ascensions et les déroutes sont collectives. Rien de personnel, surtout.

 

  • Pacifiste, dites-vous en souriant. De toute évidence, la peur du ridicule est moins à craindre que celle des despotes armés.

 

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(1) Emil Cioran, Apologie de la barbarie, Paris, L’Herne, 2015.

 

 

 

L’accouchement du philosophe

L’accouchement du philosophe

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  • On appelle cela l’oseille, les pépettes, la maille. Critiquer la maille ? Eux tiquent. Socrate parlait lui du comptoir des banquiers. Un endroit peu propice, il est vrai, pour pratiquer l’art d’accoucher les esprits. La maïeutique dans le jargon. Ce quelque chose dont tu me parles, mon cher Hippias d’Europe 1, est en toi. Je ne peux, hélas, te le transmettre. Mon savoir n’est pas un fluide qui pourrait couler de mon bocal dans le tien. Souviens-toi de la réponse de Socrate à la demande d’Agathon dans le Banquet : le savoir ne se transmet pas par osmose et diffusion capillaire. On ne remplit pas des vases, mon cher Hippias d’Europe 1. Ce n’est pas comme cela que ça marche. Non, il te faut pousser. L’accouchement de ta vérité sera un tantinet plus violent. Elle sortira de ta tête comme Athéna sort de celle de Zeus. Je ne peux, tel Héphaïstos, le fils difforme et forgeron, que te fendre le crâne à coups de hache pour provoquer la chose. Il te faudra malgré tout pousser fort, aller chercher loin dans ton esprit, te défaire de ton image. Tu peux le faire, cher Hippias d’Europe 1, tu en as les capacités. Il est possible que les flatteries du monde aient légèrement ramolli ton esprit mais il serait dogmatique de préjuger de ta force. Ce jour-là, le jour de ton propre accouchement en direct, nous pratiquerons l’amphidromie. Dans une messe païenne et joyeuse, forcément critique, nous chanterons ta valeur. Jamais plus tu ne demanderas que l’on t’apprenne quoi que ce soit avant de répondre. Tu répondras de toi-même. Tu auras enfin vaincu la maille dans les douleurs de l’enfantement. Tu seras philosophe. En attendant ce jour béni, je t’en conjure, pour le soin de ton esprit et le bien de la cité, pousse encore.

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Nathan Epherlove est-il Fidel ?

Nathan Epherlove est-il Fidel ?

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  • En l’état, il ne se passera plus rien – à l’exception de notre propre disparition, bien sûr. Cette disparition intellectuelle finira d’ailleurs elle aussi par passer inaperçue. L’océan publicitaire tautologique s’étend désormais à perte de vue. Sa capacité à engloutir est sans limite. D’aucuns ont pu me reprocher de ne plus faire de la Philosophie (majuscule oblige), de privilégier la polémique ou de viser directement le bonhomme. Creusons.
  • La philosophie de notre temps ne peut être qu’une critique tant les manies du présent, le jeu des rapports de force médiatiques, de connivence et de clin d’œil conspirent intégralement contre toute forme de pensée radicale, à savoir une pensée qui prendrait encore les idées à la racine. De ce point de vue – plutôt du point de vue de la tentative de constituer un point de vue dans ce vide – la critique s’impose, non comme une option parmi d’autres, mais comme la fatalité de notre condition de super-modernes modernisant dans le postmodernisme.
  • Polémique plutôt qu’analyse, dis-tu ? Disons lutte plutôt que contemplation. Encore faut-il s’entendre sur l’objet de la lutte. L’adversaire reste le système. Mais qu’est-ce que le système ? Les fétichistes du concept s’empresseront de ressaisir le mot ou de l’affubler d’une majuscule. Triomphe du signifiant. La sottise serait de penser que le système de visibilité intégrale – communément appelé publicité – peut être critiquer à coups de signifiants creux. A côté de la puissance de totalisation que constitue ce système, les totalitarismes à l’ancienne font aujourd’hui figure de piètres esquisses  – et leur critique avec. Des essais avortés en quelque sorte et cela pour une raison simple : la totalisation y procède toujours par exclusion idéologique d’un tiers. Totalisation par exclusion d’une race, d’une couleur, d’un idéal, d’une culture – si bien que nous pourrions parler de totalitarisme exclusif. L’autre à exclure, subjectivité parasitaire, ne faisant pas totalité, doit être détruit par tous les moyens, nié en tant qu’autre. Ces processus créent des lignes de fracture et des zones de résistance vis-à-vis desquels il est encore possible de se situer radicalement. Il y a de la résistance, une logique de la révolte, encore un peu de sens critique

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  • Nous n’en sommes plus là dans nos régions tempérées. Le système de la visibilité intégrale a en effet sapé la possibilité de se situer radicalement en réalisant, par l’hégémonie de la forme publicitaire, la totalisation inclusive de l’autre. Dans la perspective désidéologisée – celle de la paix des commerces, des services, des biens et du blabla philosophe – l’autre n’est plus qu’une variété du même ou le deviendra en droit. C’est ce que Philippe Muray nommait judicieusement l’Empire du Bien et Jean Baudrillard la transparence du mal, en droit et endroit d’une même liquidation : l’envers du décor. Système inclusif d’autant plus efficace qu’il se maintient durablement à l’occasion d’un chantage perpétuel : soit la totalisation inclusive de l’autre, bonne garantie de la paix des commerces ; soit le retour à la totalisation exclusive de l’autre et aux tristes leçons de l’histoire. Entre l’exclusion et l’inclusion, sommée de choisir entre deux chantages à la totalisation, la démarche critique n’a plus qu’à s’acclimater à toutes les morales provisoires et à renoncer définitivement à prendre les idées à la racine. C’est ainsi que le non choix imposé prend la forme d’un credo : tout revient au même, à condition bien sûr de se laisser réduire à une des innombrables, tolérantes et syncrétiques variétés du même. Si tout revient au même : – il faut bien vivre (Luc Ferry) ; – il faut bien jouir (Michel Onfray…) ; – il faut bien vivre, jouir et vendre (Frédéric Beigbeder) ; – il faut bien vivre, jouir, vendre et faire la morale de l’info (Raphaël Enthoven).
  • La critique affirme en creux affirmation qui passe souvent inaperçue aux yeux des imbéciles qui confondent par impuissance moutonnière ressentiment et refus – que tout ne revient pas au même, que tout n’est pas indifférent, que tout ne se vaut pas. La totalisation inclusive de l’autre, forcément philosophe, en régime de publicité intégrale, fait aujourd’hui système. C’est l’endroit du même, cette gigantesque promotion de soi que les nouveaux tauliers antitotalitaires, philosophes, écrivains, journalistes, défendront à grandes envolées de Liberté. La puissance de ce néo-totalitarisme se mesure à l’incapacité que nous avons de le briser.

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Publicité gratieusement offerte aux éditions Gallimard, à Raphaël Enthoven et à tous les amis de la Liberté. 

Qui sera le maître ?

Qui sera le maître ?

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« La question, réplique Humpty Dumpty, c’est de savoir qui sera le maître. Un point, c’est tout. »

Alice au pays des merveilles, Lewis Carroll

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  • La critique, insaisissable par nature, manifeste dans ses effets, peut-elle s’enseigner ? Derrière cette question, une autre : le critique (critique ?) est-il être un maître, lui qui ne cesse de vouloir démystifier les positions de maîtrise ? Et qu’est-ce qu’un maître ? Singeant les maîtres, le satiriste sera bientôt singé. Ses effets, ses tours, ses astuces, ses expédients se retourneraient-ils déjà contre lui ? Le satiriste s’en prend à la position du maître. Mais il y a des maîtres, il faut qu’il y ait des maîtres car tout ne se vaut pas, reprennent les redresseurs de troubles dans la hiérarchie. Dire qu’il n’y a pas de maîtres ce n’est que démagogie, clament-ils. Est-ce cela que vous voulez, la démagogie ?

 

  • C’est oublier que la possession du savoir, ce rêve de propriétaire, ne fait pas le maître. Pas plus que la culture ou la quantité de ces choses à apprendre. Il ne suffit pas de savoir dessiner pour devenir un maître en la matière. Il y a des dessineux, des cultureux, des apprentisseurs, des pédagogiques. A la différence de ces possédants, le critique prend sur lui une question plus radicale : qui sera le maître ? Qui sera le maître et non qu’est-ce qu’enseigne le maître, quel est le contenu de son savoir ? Les hommes s’arrangent avec les hiérarchies de savoir ; beaucoup moins avec les hiérarchies d’êtres. En bas de l’échelle des dénivellations, le savoir pour les nuls, pour les débutants, pour les novices. Un savoir pour ceux qui ne savent pas encore. En haut de l’échelle, le savoir pour les connaisseurs, les initiés, les compétents. Un savoir pour ceux qui savent déjà. La question qui sera le maître ?, simplement posée, remet en question la hiérarchie. Non pas la hiérarchie des objets de savoir mais la hiérarchie des êtres. Et il n’y a pas d’éducation sans hiérarchie des êtres. En d’autres termes, le disciple ne situe pas simplement le savoir du maître comme plus achevé, comme supérieur au sien. Il place le maître au-dessus de lui. Il pose la hiérarchie des êtres et non des savoirs.

 

  • Parler du maître sans parler de la hiérarchie des êtres est la façon moderne, démocratique, égalitaire de contourner la plus redoutable des questions, celle qui traverse pourtant toutes les sociétés humaines et sans laquelle nulle élévation n’est possible : qui sera le maître ? Ce contournement est une lâcheté. Sous prétexte que des tyrans, des salauds, des canailles ont usurpé dans l’histoire des hommes la position du maître, le problème de la hiérarchie des êtres est devenu tabou et la question la plus essentielle à poser, inaudible. Mille garde-fous se dressent devant elle, mille précautions de langage et encore plus de préambules. Pour que cette question puisse être à nouveau posée, et elle doit l’être, et elle le sera, il est nécessaire d’écarter quelques-unes des évidences qui la recouvrent. C’est cela le travail du satiriste ou du critique, écarter une à une les objections de principe qui empêchent de reposer sans cesse la question première : qui sera le maître ?
  • Celui qui prétend occuper la position du maître aurait-il déjà répondu à la question ? Est-il réellement le maître ou n’est-il qu’un charlatan, un de ces saltimbanques affublés d’une barbe postiche, uns de ceux qui usurpent les trônes ? Il faudrait tirer la barbe du maître, sonder ses reins, préciser la couleur de sa peau, mesurer sa taille. Les maîtres rapetissent-il? Si le nom de maître est l’autre nom de la hiérarchie des êtres, qui fixe la hiérarchie ? Qui nommera le haut, qui accusera le bas, qui attache l’échelle ?  – Moi, je suis le maître, je suis celui qui fixe les valeurs les plus hautes et je sais qui est le haut, qui est le bas, qui est le fils des hommes, qui mérite sanction. Ainsi parle le faussaire et l’usurpateur de trônes. Non pas pour avoir parlé en son nom, non pas pour avoir dit je, mais pour s’être octroyé, sans disciples, le statut de maître. Car ce sont les disciples qui font le maître. Il n’y a pas de magistère sans une grâce que les disciples accordent à celui qu’ils considèrent. C’est la croyance dans le maître qui fait le maître.

 

  • Les disciples veulent un maître. Ayant trouvé un homme parlant plus fort qu’eux, plus distinctement, ils l’érigent. Que cette croyance s’évanouisse et le maître s’évanouit à son tour. Il n’était que cela, une brume. L’homme ainsi nommé, rusé et inventif, sait ce qu’il faut faire pour que subsiste la croyance qui fait de lui un maître. Il sait que sans cette croyance, il n’y a pas d’éducation possible. Et c’est là ce qu’il veut de la plus grande force : l’éducation non le magistère. Il jouera donc à être le maître, à répondre de cette croyance. Il peut y répondre en prenant au sérieux la fonction, en prenant du bide ; il peut aussi y répondre en la démystifiant par quelques satires. C’est cela le paradoxe de la critique : le satiriste joue au maître alors qu’il ne cesse de démystifier la place du maître. Et plus il démystifie, plus les disciples font de lui un maître. Mieux, un grand maître lui qui est capable d’en démystifier un grand nombre. Il gagne même une sorte de hauteur. Il devient aérien, intouchable, perché sur une branche invisible qu’il scie sans jamais tomber. Plus il critique et plus on lui suppose de maîtrise. Une maîtrise peu commune, une maîtrise secrète et pour tout dire un peu suspecte. Pourtant, il ne montre rien d’autre que ceci : le maître n’est qu’un simulacre. Ce simulacre prend corps lorsque l’on croit en sa réalité. C’est la croyance du disciple qui donne corps à ce simulacre.
  • Le disciple veut le maître et il le trouve. Il retrouve l’idéal de maîtrise qui l’anime. Incapable, pour l’heure, de se faire maître à son tour, il accorde ses faveurs. Sa croyance était grande et au maître il demandait beaucoup. Mais l’homme derrière cette cape de maître, derrière ce simulacre, ne pouvait être à la hauteur. La vérité de l’être est une vérité banale. Alors le disciple, déçu par autant de platitude, par la banalité de ce grand maître devenu soudain tout petit, retourne les armes de la critique contre ce receleur. Il l’accuse d’être un faux maître qui se prend pour un vrai et sauve ainsi sa croyance dans le simulacre de la triste banalité de l’être découvert. Mieux vaut tuer le maître que percevoir le vide de sa défunte croyance en lui.
  • Deux solutions s’offre au disciple. La première, prendre un nouveau maître puis le couvrir de la cape d’emprunt. La seconde, revêtir soi-même la cape afin de couvrir sa propre banalité. -Tu disais être le maître ? Non, je suis le maître, affirme désormais le disciple. N’est-ce pas le sens de la leçon ? Puis le disciple, sous cape, concède : mais non, c’est encore toi le maître, et il cligne de l’œil en lui rendant la cape.  J’appelle pudeur du disciple son incapacité de voir la banalité du maître en face. J’appelle encore pudeur du disciple sa volonté de feindre sa croyance en lui, malgré tout. Quoi de plus effrayant que découvrir la banalité de l’homme que l’on rehaussait hier encore au statut de maître ? J’appelle courage du disciple l’impudeur de voir l’absence du maître en face.

Live shoot (karaoké 2017)

Live shoot

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Experts de droite, cultureux de gauche et tiers exclu

Experts de droite, cultureux de gauche et tiers exclu

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  • La dépolitisation ? Le terme vient de loin. On trouve le verbe dépolitiser dans le vocabulaire de De Gaulle affirmant, dans une conférence de presse du 16 mars 1950, qu’il est nécessaire de « dépolitiser les syndicats« . De Gaulle au Vélodrome d’hiver le 14 décembre 1948 : « Il faut de fond en comble que le syndicalisme se lave de la politique » – comme si la politique était une tache. L’objectif pour les candidats du RPF puis de l’U.N.R est bien de « dépolitiser », autant dire de ramener les problèmes nationaux, régionaux ou municipaux à une forme de neutralité idéologique propice à une gestion mesurée et circonstanciée de l’intérêt collectif. L’association entre « dépolitisation » (terme plus tardif que celui « d’apolitisme » ou de « politisation« ) et « désidéologisation » ne fait pas de doute historiquement. Dépolitiser, c’est-à-dire dépasser, en vue de l’intérêt collectif, les querelles dites « partisanes ».

  • Debré, le 15 janvier 1959, devant l’assemblée nationale : « Il est nécessaire, dans l’intérêt national, de faire échapper nos problèmes vitaux aux discussions partisanes – en quelque sorte de les « dépolitiser »… L’exigence s’impose à tous de ne pas ouvrir de litiges en revêtant les problèmes fondamentaux du manteau chatoyant du vocabulaire dit politique et, en vérité, partisan. La « dépolitisation » de l’essentiel national est un impératif majeur ». Mais la dépolitisation souhaitée par l’U.N.R est interprétée dans un sens tout à fait différent par la gauche française. Le retour de De Gaulle en 58 s’accompagne d’une abondante quantité d’articles et d’analyses sur la « dépolitisation », « la déprolétarisation », « l’américanisation » de la France, la fin des « idéologies politiques ». La gauche non communiste cherche les raisons du marasme dans une lecture non plus strictement politique de la dépolitisation mais sociologique, économique et culturelle, jouant désormais le jeu de ceux qu’elle feint de combattre.

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  • Un problème est politique lorsqu’il n’existe aucune équerre normative pour trancher en faveur d’une solution ou d’une autre. La solution choisie aura nécessairement des implications collectives. Autant dire que toute question politique implique la confrontation d’évaluations qui n’ont de comptes à rendre à aucun discours de surplomb – celui de l’économiste, du technicien, du scientifique, en un mot de l’expert. Lorsque l’affaire devient politique, il y a forcément combat. Ce qui apparaît en filigrane du discours de Debré (« La « dépolitisation » de l’essentiel national est un impératif majeur ») c’est la nécessité d’envisager un consensus sur « l’essentiel« , sur des « questions vitales« , autant dire soustraire une partie de l’interrogation collective à la lutte. Ce noyau neutralisé, sans taches, pourra être envisagé comme l’objet d’une prise en charge technicienne. Par contamination réaliste, cet essentiel va s’étendre progressivement sur le mode du fait accompli. Il est dès lors essentiel de lever toute querelles dites « partisanes » sur ce qui est essentiel à l’essentiel.
  • La dépolitisation est le résultat d’un matraquage médiatique qui consiste, au nom d’un principe réaliste d’efficacité, à soustraire des pans entiers de l’action collective à la critique politique. Que ce matraquage suscite en retour une forme de violence inédite ne surprendra que ceux qui ont fait de l’expertise politique leur fonds de commerce. Nous sommes bien en présence d’une nouvelle forme de lutte qui appelle en retour une nouvelle forme de violence critique et politique. Face à cette machine à broyer hégémonique, il nous faut inventer des stratégies inverses qui en passeront nécessairement par des formes d’humiliation symbolique. Ici, la gauche cultivée, pour préserver sa bonne conscience morale, se pince le nez. Elle ne mange pas de ce pain-là, n’éructe pas, n’humilie personne. Elle a trouvé dans la culture un petit fortin qu’elle préserve de la médiocrité galopante. Son fait de gloire ? Ne pas participer à l’abrutissement général tout en jugeant sereinement le mauvais goût politique des mécontents. L’homme de gauche c’est l’homme qui n’est pas un salaud. En ce sens, elle s’est transformée en une posture morale dépolitisée qui se distingue par ses goûts et ses dégoûts d’une masse moyenne déclassée.

  • Entre les experts de l’hégémonie crétino-libérale et les cultureux du bon goût, la haine grandissante du tiers exclu.

Amélie Nothomb, le gros dindon de l’édition

Amélie Nothomb –

Le gros dindon et le pigeon

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« Si vous avez résisté à Maurice Carême c’est que vous aimez vraiment la littérature. »

Amélie Nothomb, Les Livres de la 8, Direct8, 28 mai 2008

…….

Maurice Carême,

Je les aimais, moi, tes poèmes

Ils tenaient toujours sur la page

Des beaux cahiers des enfants sages

Devant papa, devant maman

Je récitais jusqu’à pigeon

Devant tata, devant tonton

Je la savais, moi, la leçon.

Je refermais bien le cahier

Et j’avais droit à un bisou

Ça voulait dire tu peux jouer

Mon tendre enfant, mon gros doudou

Alors quand j’entends un dindon

Qui paraît-il s’appelle Nothomb

Fardé comme au premier janvier

Cracher sur tes petits cahiers

J’attends la venue du pigeon

A bonne hauteur, tout à l’aplomb.

Le bel oiseau de la dictée

Qui tout petit faisait rêver

De son étron toujours très frais

De son caca bien présenté

Il couvrira le gros melon

Du gros dindon de l’édition.

Inactualité de Karl Kraus

Inactualité de Karl Kraus

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  • « Karl Kraus fait une chose assez héroïque, qui consiste à mettre en question le monde intellectuel lui-même. Il y a des intellectuels qui mettent en question le monde, mais il y a très peu d’intellectuels qui mettent en question le monde intellectuel. Ce qui se comprend si l’on songe que, paradoxalement, c’est plus risqué parce que c’est là que se trouvent nos enjeux, et que les autres le savent, qui s’empresseront de le rappeler à la première occasion, en retournant contre nous nos propres instruments d’objectivation. » (…)
  • « Mais c’est aussi prendre des risques, parce que lorsqu’on se met en jeu à ce point-là on ne s’engage pas seulement au sens banalement sartrien du terme, c’est-à-dire sur le terrain de la politique, des idées politiques, on s’engage soi-même, on se donne soi-même en gage, avec toute sa personne, ses propriétés personnelles, et l’on doit s’attendre à des chocs en retour. On ne fait pas des exposés, comme à l’université, on « s’expose », ce qui est éminemment différent : les universitaires exposent beaucoup dans les colloques…, ils ne s’exposent pas beaucoup. » (…)
  • « Que fait Kraus de si terrible pour susciter pareille fureur ? Une chose dont il donne le principe dans une phrase qui me paraît résumer l’essentiel de son programme : « Et même si je n’ai fait rien d’autre, chaque jour, que recopier ou transcrire textuellement ce qu’ils font et disent, ils me traitent de détracteur »  » (…)
  • « Si nous nous retrouvons évidemment dans Kraus, c’est qu’en grande partie les mêmes causes produisent les mêmes effets. Et que les phénomènes observés par Kraus ont leur équivalent aujourd’hui » (…)
  • « Un des intérêts de Kraus, c’est d’offrir une sorte de manuel du parfait combattant contre la domination symbolique. Il a été un des premiers à comprendre en pratique qu’il y a une forme de violence symbolique qui s’exerce sur les esprits en manipulant leurs structures cognitives. Il est très difficile d’inventer et surtout d’enseigner les techniques de self-defense qu’il faut mobiliser contre la violence symbolique » (…)
  • « Peut-être que, comme aujourd’hui, les limites entre le champ intellectuel et le champ journalistique étaient en train de se déplacer et que les rapports de force entre ces deux champs étaient en train de changer, avec l’ascension en nombre et en poids symbolique des intellectuels « mercenaires », directement soumis aux contraintes de la concurrence et du commerce. » (…)
  • « Ainsi, le fait que nous reconnaissons Kraus est sans doute lié à une affinité d’humeur. Mais on peut se demander s’il ne faut pas, pour être tant soit peu « moral », être un peu de mauvaise humeur, c’est-à-dire mal dans sa peau, dans sa position, dans l’univers où l’on se trouve, donc, être contrarié, voire choqué ou scandalisé par des choses que tout le monde trouve normales, naturelles, et privé en tout cas des profits de conformité et de conformisme qui échoient spontanément à ceux qui sont spontanément conformes ; s’il ne faut pas, en un mot, avoir quelque intérêt à la morale (qu’il ne faut pas cacher) » (…)

 

Pierre Bourdieu, Actualité de Karl Kraus, Un manuel de combattant contre la domination symbolique, In Pierre Bourdieu, Interventions, Marseille, Agone, 2002.