Un Max immonde

Un Max immonde

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  • Bientôt, dans quelques décennies au plus, la quasi-totalité de notre patrimoine imaginaire aura été exploité. Ce qui n’était que préludes à rêveries, supports indécis de nos divagations nocturnes, se réalise, films après films, succès après succès, dans des adaptations (le mot vaut soumission) vides de sens. Les liserés silencieux qui cerclaient les images se sont ainsi remplis de bruits, de dialogues fadasses, de vertus chlorées, tissus de niaiseries à prétentions œcuméniques. L’ensemble, barbouillé d’images dites de « synthèse », se loge rationnellement dans un insipide continuum sonore qui, sur des années, vous ruinera les capacités auditives. L’adaptation cinématographique de Max et les maximonstres est un de ces cauchemars d’où l’on ne revient pas.
  • De grosses volailles synthétiques échappées d’une série japonaise des années 80, autant dire de pas grand-chose, sont supposées, dans cette débâcle de l’onirisme,  rendre charnellement ce que le coup de crayon de Maurice Sendak avait pourtant gravé dans le tendre pneuma des rêveries infantiles. Que tout puisse s’avachir en film monstre, y compris et surtout le plus fragile, voilà qui vous dissuadera à terme de fermer les yeux. Je vois déjà, par excès de confiance, l’inquiétant flamant rose de la critique, gonflé comme une baudruche de foire, se précipiter sur des résidus d’homme en carcadant comme une oie dilatée en images de synthèse.
  • Mais après le film Max et les maximonstres, tombera, sur l’imaginaire anémié des marmailles du monde surgavées à la réalité dite « augmentée », l’affreuse cascade des produits dérivés : DVD, musiques originales ( ?), gadgets PVC, jeux vidéo. La subtile création de Sendak, dont le souvenir ne tenait qu’à la vignette d’un monstre nostalgique sauvé de l’oubli par la grâce d’un emprunt au bibliobus, sera digérée en quelques mois, copiée à des millions d’échos et vomie au centuple sur les innombrables supports de l’heureuse pornographie de nos plus chers souvenirs. Ce gâchis de finesse et de fragilité laissera indifférents les adaptés, ceux que les liserés silencieux emmerdent plus sûrement encore que les salles d’attente sans musique d’ambiance. Pour ces bêtes ravagées du virtuel cela fait déjà longtemps que le vieux continent des dessins incertains ne paie plus son homme. Place aux maxieffets, aux maximonstrations. La force de l’œuvre ne tenait que sur quelques feuillets sauvagement suggestifs ? Rien n’est impossible, mon marin d’eau douce. Le vague à l’âme du Max de Sendak fera sans aucun doute un max de tunes.

  • Qui attache l’attention qu’il faudrait au fonctionnement de ces maximachines à broyer de l’imaginaire, à réduire à néant le monstrueux travail de l’esprit pour ordonner ses songes en amputant l’enfance de sa moitié nocturne ? Il y a plus qu’un monde entre l’œuvre de Sendak Max et les maximonstres et la maxiproduction cinématographique de la Warner qui en usurpe le titre. Plus qu’une mer à franchir entre la liberté du songeur en face du gros monstre nostalgique cerclé de blanc en bas de page et les grimaces odieusement réalistes de la volaille augmentée du film qui en détourne la grandeur. Dans cet écart, vous pourrez y loger la raison d’être d’un monde qui enfle et se boursoufle sur des restes de sens qui ne seront bientôt qu’archives muséales. Vous pourrez y loger, dans la redondance tératologique de ses signes, une dilatation XXL à côté de laquelle les maximonstres ne seront que nains de jardin sur la pelouse synthétique d’un maximonde.

 

 

 

 

 

Publié dans : Fin |

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