Le ninisme automnal
« A observer la rentrée des essais, cette ligne de partage se décline plutôt entre « inquiets » et « rassurants ». Du côté des premiers, Harold Bernat, qui, dans Vieux réac !, Flammarion, conspue avec un talent inspiré par le feu Philippe Muray les « moyonnaises » de la modernité, revendiquant une inadaptation volontaire au monde qui va ; du côté de seconds, Jean Claude Guillebaud (Une autre vie est possible, L’iconoclaste), qui fustige les esprits chagrins et réhabilite les vertus de « la petite fille d’espérance » (Charles Péguy). Il est bien possible que cette opposition frontale ne soit que stratégie éditoriale et elle semble déjà obsolète. La philosophie, en tout cas, risque d’être prise entre ces deux feux. Heureusement, elle sait y échapper souvent en alliant, comme le préconisait Gramsci, « le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté ». Les trois philosophes qui pensent ce mois-ci la démocratie (lire p. 86), Frédéric Gros, Etienne Tassin et Jean Claude Monod, sont, de ce point de vue, de véritables éclaireurs. Que voilà un bel automne ! »
Catherine Portevin, « Tant que j’y pense », Philosophie Magazine, octobre 2012.
…………
- Voilà donc mon nom dans le Magazine Philosophie du mois d’Octobre. C’est formidable. Une dénommée Catherine Portevin, journaliste à Télérama et taxidermiste, m’empaille dans la catégories des « inquiets« , m’accorde un talent « inspiré par… » avant de m’adouber contempteur de la mayonnaise et pourfendeur des émulsions huileuses. Si le diable se cache dans les détails, prêtons attention à celui-ci : « Il est possible que cette opposition frontale ne soit que stratégie éditoriale et elle semble déjà obsolète ».
- Qui oppose frontalement les soi-disant « inquiets » au soi-disant « rassurants » si ce n’est Catherine Portevin ? Entendons bien la petite voix : – je crée de toute pièce un décorum (« les inquiets« , les « rassurants« ), je feins d’oublier qu’il s’agit bien de mon œuvre, je m’institue critique en débusquant de la « stratégie éditoriale » afin de faire frissonner le lecteur de Philo Mag (non dupe car forcément critique et ami de la sagesse), je renvoie pour finir le tout dans « l’obsolète » (à savoir mon decorum) . Attention cependant à la « philosophie » (ici essence magique et enveloppe publicitaire du dit Magazine) qui « risque de se retrouver prise entre deux feux ». Frisson, danger, menace et trémolos. « Heureusement » – nous sommes sauvés ! – elle sait y échapper (qui pouvait douter du contraire ?), avec ce qu’on appelle des « philosophes », de « véritables éclaireurs », ceux qui ne sont pas, dès le départ, obsolètes. Pour durer, un conseil « d’inquiet » : n’hésitez surtout pas à causer démocratie. Pour la chute, un doigt d’astrologie : « Que voilà un bel automne !« .
- Roland Barthes appelle cela le ninisme. J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer cette figure mais l’enseignement est fait de redites. C’est aussi son charme. Relisons donc Roland Barthes dans ses Mythologies : « J’appelle ainsi cette figure mythologique qui consiste à poser deux contraires (« inquiets« , « rassurants« ) et à balancer l’un par l’autre de façon à les rejeter tous deux. (Je ne veux ni de ceci, ni de cela). C’est plutôt une figure de mythe bourgeois, car elle ressortit à une forme moderne de libéralisme (« Le Magazine Philosophie« ). On retrouve ici la figure de la balance : le réel est d’abord réduit à des analogues (« Bernat » – « Guillebaud« ), ensuite on le pèse (« inadaptation » – « espérance« ) ; enfin, l’égalité constatée, on s’en débarrasse (« déjà obsolète« ). Il y a ici aussi une conduite magique : on renvoie dos à dos ce qu’il était gênant de choisir ; on fuit le réel intolérable en le réduisant à deux contraires qui s’équilibrent dans la mesure seulement où ils sont formels, allégés de leur poids spécifique. Le ninisme peut avoir des formes dégradées : en astrologie, par exemple, les maux sont suivis de biens égaux (« Que voilà un bel automne !« ). »
- Alors, Catherine Portevin, Roland Barthes, plutôt inquiet, rassurant ou démocrate ?
Vivement l’hiver.
……………
PS : Un Vieux réac ! dédicacé à Catherine Portevin si le texte ci-dessus figure dans le prochain numéro de Philosophie Magazine dans la rubrique « courrier des lecteurs ».
……….
(Publié le 03 octobre 2012 par bernat)