L’avenir appartient-il aux réactionnaires ?
- A la page 83 du Figaro Magazine (24 août), à la rubrique « débats, points de vue, libres opinions…pour aller plus loin », une question s’étale : L’avenir appartient-il aux réactionnaires ? Etant donné que s’étale aussi sur la même page une large photo d’un dénommé Harold Bernat, auteur internétique jusque-là protégé des lectures bâclées en salle d’attente, me voilà convoqué à répondre (puisque l’article en question ne le fait pas) : alors, mon bon critique à large chemise et au regard perché, le cheveu un peu long mais l’air sympa du mec qui se tient (a priori) à égale distance du début et de la fin : l’avenir appartient-il aux réactionnaires ?
- Au terme d’un voyage à vélo qui me fit traverser ce mois, en compagnie de deux olibrius, la vieille Europe, de Salzburg à Belgrade, je réponds tout de go non, trois fois non, l’avenir n’appartient pas aux réactionnaires. Encore faut-il s’entendre, a minima, sur l’extension que l’on donne à ce terme réactionnaire. Je ne voudrais pas me retrouver trop vite dans le fourre-tout des gros cochons qui pensent qu’une causerie sur la viande Hallal constitue la fine pointe de l’irrévérence en matière de politiquement correct ou incorrect, je ne sais plus ; je me débattrai durement, avec mes petits poings vengeurs, pour défendre le droit de n’avoir rien à dire à cette jeune adolescente qui s’enroule dans un grand voile noir afin de faire réagir le chaland apathique revenu du string rose apparent ; je n’irai pas aux glauques apéros saucissons pinards afin de sentir la chaleur d’un tas humain picolant que j’aurais côtoyé quelques minutes avant la fusion nationale au Franprix du coin afin d’acheter ma piquette « réactionnaire ».
- Si je ne renie cependant pas ce mot, réactionnaire, c’est qu’il n’en existe pas de meilleurs formés sur le mot réaction, saine attitude défensive face aux assauts chroniques qui mettent en danger la salubrité physique et psychique d’un organisme en santé. Cliniquement, le cadavre me paraît être l’anti-réac par excellence. Il supporte tous les sévices sans broncher. Alain-Gérard Slama n’a pas tort : le réactionnaire réagit, donc s’exprime en second. Encore faut-il préciser qu’il s’agit là certainement du trait le plus caractéristique de l’humaine condition. En d’autres termes, l’homme agit toujours, et ce depuis le cri primal, après. Freud explique bien cela dans Au-delà du principe de plaisir : la substance excitable s’excite de l’être déjà, elle se surexcite si l’on veut, se réexcite de son excitation. Cette première remarque, freudo-excitative, nous oblige à comprendre que toute réaction est historiquement située en fonction de ce à quoi elle réagit. Cela nous empêche de saisir un concept unitaire de la réaction (ou du réactionnaire) qui survivrait à travers les temps, une sorte d’essence du réac qu’il s’agirait de retrouver à travers les âges.
- Meilleure, mais plus délicate pour l’esprit congestionné du lecteur en salle d’attente, aurait été à mon avis cette autre question : les réactionnaires, autrement dit tous ceux qui trouvent un intérêt vital à réagir, arriveront-ils à se déprendre des lendemains qui chantent, à ne pas appartenir complètement à l’avenir radieux que le technofestivisme abrutissant promet à tous ou devront-ils marcher à pas forcés, leur compte Facebook sous le coude, vers le néant aseptisé que quelques critiques lucides ont pu déjà dépeindre ? Pourrons-nous trouver les moyens de ne pas en être de cet avenir-là ?
- Afin d’appartenir le moins possible à cet avenir promotionnel, une nécessité s’impose : trouver un langage, forger les mots, les concepts, les idées, les stratégies fatales, ironiques et critiques, les moyens d’échapper à cette gigantesque destruction du sens à laquelle concoure aujourd’hui toute une meute de philosophes, écrivains, journalistes, politiques dont la seule ambition sera justement de faire en sorte que cet avenir festivo-nihiliste ne leur échappe surtout pas. Loin de nous l’idée de restaurer quelque chose. Notre ambition, s’il en est, ne sera pas de causer de la grandeur de la France à la sortie de l’Ecole Républicaine à l’occasion d’une soirée saucisson pinard avec une jeune vierge. L’ambition est beaucoup plus modeste. Ainsi comprise la riposte saucissonesque est une bouffonnerie tout aussi festive que le festif qu’elle est censée pointer du bout du bouchon. La question est autrement plus vitale ou existentielle – si ces nobles mots n’avaient pas été définitivement corrompus par Charles Pépin ou Michel Onfray afin de justifier l’inanité de leur verbiage « philosophe » : comment rester encore debout ?
- Nous aurons à vivre avec cet avenir-là, le même qui recouvre de Budapest à Belgrade en passant par Novi Sad et Bratislava les murs désolés des zones péri-urbaines d’immense panneaux Amstel et PilsPlus. Gratis zu Guetta titrait à Vienne le 10 août le journal Heute. Une semaine plus tard, Belgrade accueillait le plus grand festival de la bière, le BBF, prémisse d’un grand parti européen de la bière. 20000 humains porteurs de tout l’avenir possible et inimaginable pataugeaient dans une sablière géante à la sortie de la ville, déversaient des piscines de bière au rythme de la grosse caisse dans des structures amovibles, trinquaient au worldisme et à la chute des murs dans un village Pinocchio grillagé. L’avenir leur appartient, tout l’avenir. Il se trouve que nous sommes les contemporains de tout ceci et que nous ne sommes pas encore des cadavres dans les mains de la divine science : le temps est donc à la réaction, aux joyeuses excitations secondaires.
- Les primaires, eux, n’ont pas encore fini de pisser.
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Publié le 27 août 2012 par bernat