L’asile pédagogique
« Reconnaître et valoriser les initiatives des milliers d’enseignants innovants
Des milliers de professeurs créent chaque jour des documents pédagogiques, des projets, des outils nouveaux pour faire progresser leurs élèves. Le Forum rendra les meilleures de ces initiatives visibles. Il leur donnera les moyens de partager les expériences, de susciter de nouveaux projets, de créer une dynamique qu’il faudra ensuite accompagner. Il encouragera le travail en commun entre associations.
Donner à voir une Ecole qui n’est pas immobile, qui cherche à progresser.
Le discours médiatique porté sur l’Ecole est trop souvent celui du déclin et du discrédit. Il vante le retour à des méthodes traditionnelles qui bloquent la démocratisation de l’Ecole. Il fonctionne sur des logiques d’exclusion. Il se méfie des TICE alors que la culture du XXIème siècle est numérique. La manifestation projetée montrera l’Ecole telle qu’elle est : évolutive et adaptable. Nous donnerons à voir des enseignants investis personnellement dans des projets éducatifs, soucieux de la réussite de tous les élèves (nous privilégierons les projets venus des ZEP), inventifs, capables de porter la culture en utilisant les outils modernes, ceux que partagent à la fois les créateurs culturels et les jeunes, capables aussi de toucher les jeunes à travers des procédures n’incluant pas les TICE.
Reconnaître et valoriser les initiatives des associations complémentaires à l’enseignement public, faire connaître au monde éducatif et au-delà leur action. »
http://www.forum-orleans2012.net/
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- Que faire de ces tas de projets, initiatives, nouvelles pédagogies, dispositifs innovants ? Sachez, braves gens, que le monde enseignant se partage en deux catégories. D’un côté, comme le rappellent Mattea Battaglia et Aurélie Collas, dans un article tragi-comique mis en ligne sur Le.Monde.educ, « les enseignants moroses, dépassés, déprimés » ; de l’autre « la grande créativité de ces « super profs », qui ne se lassent pas de chercher, d’inventer, de tester des manières d’enseigner, et dans un seul but, faire réussir les élèves ». Il va de soi que le professeur dépressif, dépassé et morose ne peut plus rien faire pour l’élève gavé et saoulé (c’est le langage technique de la jeunesse qu’il faut sauver dare-dare avec des méthodes innovantes et des forums) qui l’observe de son œil vide en gravant PSG sur la table à l’aide d’un poinçon qu’il serait passablement rétrograde de prendre pour un compas. Mais heureusement, chantonnent les vertueux de la pédagogie de masse, il reste les « super profs » armés de leur puissante et iconoclaste créativité pédagogique.
- Créativité ? Sous le lexique éventé de l’innovation et de l’initiative, les « super profs » vantent les mérites de « la mise en réseaux », gloussent sur l’usage forcément révolutionnaire que l’on peut faire de Facebook pour commenter un texte de Maupassant avant de s’envoler pour « le Forum européen des enseignants innovants, en Ecosse, organisé par Microsoft éducation. » Par créativité entendons bien sûr soumission à ce qui se fait, se promeut et se vend tout autour de l’école. Ce qui se nomme business et parts de marchés à l’extérieur des murs, se nomme pédagogie innovante entre les murs. Pour comprendre ce phénomène de distorsion sémantique entre le dedans et le dehors le lecteur de bonne volonté n’aura qu’à penser à l’institution asilaire : ne jamais contredire le patient qui se prend pour un oiseau.
- Il va de soi que l’ambition de l’éducation nationale n’est pas d’instruire la masse des éducables. Cette ambition ne fait plus partie du « logiciel » (c’est le langage technique des gestionnaires de programmes scolaires) de l’institution. Le projet est beaucoup plus modeste : former toute une masse décervelée à sa future intégration sur le marché des techniques de communication et de la cyber soumission en réseaux. Reste à trouver, entre les murs, le petit personnel éducatif qui, dès la maternelle, pour les meilleures raisons pédagogiques du monde, dressera l’éduqué aux nécessités du dehors.
- Lisons, toujours dans le même article : « Facebook a, selon Françoise Cahen, plusieurs vertus pédagogiques. En premier lieu, celle de faire disparaître la « muraille imaginaire » des lycéens entre leur vie et la littérature ». Mattea Battaglia et Aurélie Collas ne trouvent pas opportun de commenter ce monument d’idiotie. Il va de soi, nous dit-on, que Facebook, entreprise morbide de promotion de soi et d’aliénation mentale au voyeurisme des autres, serait du côté de la vie. Rapatrions à ce titre et au plus vite la littérature du côté de Facebook à défaut de pouvoir pulvériser « l’imaginaire » Facebook avec un peu de littérature.
- La vertu pédagogique de la littérature est de pouvoir bien au contraire abattre la muraille techno-abrutissante qui éloigne les collégiens, lycéens, étudiants de tout ce qui pourrait les élever, c’est-à-dire les faire sortir d’eux-mêmes. Les promoteurs de l’anéantissement intellectuel côté en bourse à grands coups de milliards ne demandaient pas mieux que de recevoir l’improbable soutient d’un bataillon de pédagogues payés au lance pierre mais capables de justifier les instruments de la servilité comme autant de moyens incontournables à l’émancipation collective et à ses profits. Ajoutons à cela le travail de copiste (ici Mattea Battaglia et Aurélie Collas) d’une batterie de journalistes formés dès le plus jeune âge à la haute discipline du tweet et du sms afin d’obtenir en bout de pige l’apologie acritique du monde tel qu’il va et de l’éducation telle qu’elle vient. « Créative » chante l’oiseau entre les murs.
- Que les pouvoirs publics se rassurent : la nouvelle garde de pédagogues biberonnés aux fichettes pédagogiques et aux nouveaux supports de communication est en route. Créative. Elle incube. Elle se veut réactive, militante, engagée, innovante. Pour ses plus vigoureuses phalanges, Onfray fait figure de critique et la virtualité poubelle, « ça n’est pas si grave, les élèves savent faire la part des choses ». Elle finit le trimestre fatiguée et vous gâche la solitude par un « vivement les vacances » mollement glissé entre deux portes coupe-feu. Toujours aux abois, une vilaine copie d’élève à la ceinture pour se rappeler qu’elle domine encore son sujet, elle cherche des « solutions pédagogiques ». C’est ça marque de fabrique. Elle abonde en généralités sur le système éducatif. Mais quand elle n’aime pas, c’est toujours à plusieurs pour être bien certaine qu’elle n’aime pas à côté du casier. Elle connaît sur le bout de la langue la situation personnelle des apprenants, toutes leurs difficultés : qui bisouille qui, qui bisouille quoi, qui (et c’est beaucoup plus inquiétant) ne bisouille personne. Elle est incollable sur les vagues raisons psycho-sociales de la détresse de l’éducable en détresse. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle parle toujours de l’élève avec une forme de bienveillance un peu niaise. C’est sa façon d’aimer. Elle l’aime son apprenant, et elle prend grand soin de prononcer son prénom sans sourire : « Johnny un peu de silence, Lolita au tableau ».
- Difficile pourtant de dévoiler les motivations de cet amour. Est-ce par identification à quelques-unes de ses coutumes claniques ? Est-ce par dévotion à l’outil de travail ? Toujours est-il que pour la nouvelle garde de pédagogues, il est indécent de juger. Elle se serre les coudes, les bras, les mains car « on ne sait jamais ». Parfois, en reculant par peur de la ruade, elle s’enrhume : – et si c’était toi la prochaine victime d’une suppression de poste ? La nouvelle garde de pédagogues respecte tous les éducateurs car elle n’en a aucun. Dans le long parcours de sa déformation professionnelle, d’autres pédagogues, créatifs, innovants, se sont chargés de lui faire oublier la maîtrise de sa discpline.
- Elle ignore tout désormais des cruautés de la hauteur. Mais son application à bien prononcer le prénom de l’éducable ne suffit pas toujours. Dans la masse, dans ce qu’elle appelle « sa » classe, se tapit le réfractaire. D’où vient-il ? A-t-il eu un maître ? Comment a-t-il pu échapper au contrôle de la nouvelle garde de pédagogues innovants créatifs ? Est-ce un étranger ? La nouvelle garde connaît la procédure en de telles circonstances : méthode, pédagogie, nouvelles pédagogies, nouvelles méthodes créatives. Rien n’y fait ? En ultime recours, la camisole de force : la moyenne, le bac et le master.
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Publié le 24 février 2016 par bernat